Paul-Louis Courier

Korrespondent, Pamphletist, Hellenistische
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prec Sans mention de Tivoli le 3 mai 1810 De la comtesse de Salm Dick de M. Clavier le 7 mai 1810 Suiv

Paris le 6 mai 1810.

J Hôtel de Segur, place Vendôme à Paris Hôtel de Segur, place Vendôme à Paris
 
’ai reçu votre lettre et votre traduction avec grand plaisir, Monsieur ; cette preuve de votre souvenir m’est très précieuse ; vous n’étiez effacé du mien d’aucune façon, car j’ai souvent lu et fait lire les choses aimables que vous aviez inscrites sur mon album[1]. Plus je vais en avant et plus j’aime ce cher album qui consacre et me garde ainsi, les expressions des sentiments de tous ceux qui m’intéressent.
J’ai lu votre Daphnis que je connaissais depuis longtemps, mais qui est embellie de la nouvelle parure que vous lui avez donnée. Les savants que je vois goûtent fort ce que vous y avez ajouté. Vous autres messieurs faites grand état d’un mot de plus ou de moins dans ce genre de traduction ; moi j’y vois grossièrement, et j’y admire plus de perfection ; mais tout cela revient au même puisque le résultat est de faire l’éloge de l’aimable et savant traducteur, ce que nous avons tous fait après avoir lu votre Daphnis. J’ai de plus pensé que ce genre de travail avait d’égayer votre philosophie, et je vous en fais mon compliment ; car la vie est courte, elle est plus voilée de peines que de plaisirs, et il ne faut pas négliger l’occasion de l’occuper de ce qui plaît. C’est autant de pris sur l’avenir.
Je ne sais si depuis que je vous ai vu vous avez été heureux ; moi j’ai éprouvé je crois la plus grande douleur de ma vie : j’ai eu le malheur de perdre ma sœur dans le moment même où je la croyais rétablie d’une maladie dangereuse qu’elle avait éprouvée. Depuis ce moment cruel mon bonheur est entièrement couvert d’un nuage épais qui me semble avoir donné la réponse à tout le reste de ma vie ; une âme forte est un mauvais présent du ciel, car elle sent aussi la douleur fortement, et la douleur n’a pas de bornes comme la joie. Elle agit toujours en dedans. Le sort se joue véritablement de vous : c’est dans le moment de mon plus grand bonheur qu’il m’envoie ce terrible chagrin auquel je n’avais même jamais pensé. Veuillez ne pas me répondre sur tout ceci ; je dois, pour tout ce qui m’est cher éviter ce qui me rappelle ce triste événement qui, depuis 5 mois, est encore aussi présent à mes pensées qu’au moment même. Ma santé commence pourtant à se rétablir ; j’ai fait une assez grande diversion à mes pénibles pensées en quittant mon logement, mon quartier que j’avais pris en horreur ; je suis maintenant rue du Bac n°87, dans une maison que j’ai achetée, que j’arrange[2], qui est peine d’ouvriers, qui me ruine, tout cela m’occupe . Je travaille aussi ; c’est presque la seule chose qui me distraie véritablement ; je viens de terminer l’Éloge de Lalande[3] ; je le connaissais beaucoup, il m’avait presque arraché la promesse de faire son éloge. C’était un homme trop peu connu et apprécié sous le rapport des qualités et même des vertus sociales. Je voudrais pouvoir vous envoyer cet éloge ; dites-moi comment il faudra m’y prendre. Je le demanderai aussi à Clavier.
Je ne néglige pas non plus la poésie ; oui, le travail de l’esprit est un des plus grands bonheurs de la vie. J’ai dit autrefois dans ma Sapho[4] :

Occuper son esprit c’est soulager son cœur.

Je ne m’en dédis pas.
Adieu, Monsieur, voilà une triste lettre, je ne veux pas même la relire, je ne vous l’enverrai pas. Si vous me répondez, sachez que je serai encore ici deux mois, et ensuite dans un vieux et magnifique château, à Dyck, par Neuss, Dépt de la Röer, route d’Aix-la-Chapelle. Si quelque bon hasard vous amenait de ce côté, j’aurais bien grand plaisir à vous y voir. A peu ne tient que je n’y passe l’hiver ; dans la situation d’esprit où je me trouve, je le désire pour la première fois de ma vie. Pourtant la raison me dit qu’un hiver passé dans cette solitude serait par trop anéantissant. Je suis près de Cologne, de Bonn, etc. Il y a trois lieues seulement de Düsseldorf mais le Rhin entre deux. Voilà ma position géographique.
Mille assurances d’estime et de sincère considération.

Constance de S.

Je ne vous dis rien de la part de mon mari, il ne vous connaît pas mais il serait bien charmé de vous voir.


[1] Constance de Théis épousa en 1789 un chirurgien riche et distingué, Jean-Baptiste Pipelet de Leury ; elle lui donna une fille unique, Agathe. Les Pipelet divorcèrent en 1802. L’année suivante, elle se remaria avec Joseph de Salm-Reiffercheidt-Dyck, comte de Salm-Dyck et du Saint-Empire. En 1809, le couple s’installe à Paris. La comtesse y tint salon littéraire très brillant jusqu’en 1824. Elle avait pour habitude d’inviter ses hôtes à laisser trace de leur venue chez elle en écrivant ou dessinant sur son album. De passage dans son salon un an plus tôt, le 4 mai 1809, avant de repartir aux armées, Courier y tourna avec esprit un quatrain élogieux pour elle.  Note1
[2] De nos jours, cette maison ou plutôt cet hôtel particulier qui existe toujours et fut classé aux Monuments historiques en 1982 occupe le n° 97.  Note2
[3] Jérôme de La Lande, astronome réputé mourut à Paris en 1807. En 1804, celui-ci aurait demandé à Mme de Salm d’écrire son éloge. Elle se soumit à cet exercice avec son Éloge historique de M. de La Lande, publié chez Sajou, en 1810. Ce texte contient 42 pages qui se terminent par ce jugement : « malgré quelques bizarreries, il était un homme aimable en société ; sa conversation remplie de traits saillants, une sorte de familiarité qui lui était propre, une philanthropie franche et brusque qu’il savait pourtant modifier à propos, tout annonçait en lui dès l’abord qu’il n’était pas un homme ordinaire ».  Note3
[4] Constance Pipelet, future comtesse de Salm-Dyck se fera connaître en 1794, grâce à Sapho, tragédie mêlée de chants, en trois actes et en vers. Elle en termine ainsi sa préface : « Je serai satisfaite, si ce premier essai de mes talens dramatiques, fruit d'une année de travail, est lu avec autant d'intérêt qu'il a été entendu. »
La partie musicale de cette œuvre fut assurée par Johann Paul Aegidius Schwarzendorf, dit Martini (1741-1816), par ailleurs compositeur de l’air du célèbre Plaisir d'amour. La princesse de Salm publia en 1842 un Éloge de Martini reproduit dans le tome IV de ses Œuvres complètes.  Note4

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