Paul-Louis Courier

Courrierist, lampooner, polemist
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prec A M. Clavier De M. Akerblad A la comtesse de Salm-Dyck Suiv

Rome, 22 décembre 1812.

M carlo_fea Carlo Domenico Francesco Ignazio Fea
 
on cher ami, j'ai eu dernièrement de vos nouvelles par M. de Sacy qui m'a instruit de l'aventure qui vous est arrivée. Cette petite admonition vous était nécessaire pour vous apprendre à connaître le prix d'un passeport, chose qu'on n'a jamais pu vous mettre dans la tête. Je voudrais qu'en même temps cela vous dégoûtât d'un pays où l'on coffre le monde pour si peu de chose, et vous décidât à revenir en Italie où votre bout de ruban rouge vous a toujours servi de passeport. D'ailleurs, avouez franchement que vous n'êtes pas aussi bien à Paris que vous l'étiez à Frascati ou à Rocca di Papa. Vous m'aviez promis de m'écrire de Paris; mais depuis six ou sept mois que vous y êtes, vos amis de Rome sont tout à fait oubliés. Que dis-je vos amis ? Ni la princesse1, ni Mad. Millingen, ni même votre maîtresse2, ne reçoivent de vos nouvelles. La pauvre Rose dépérit à vue d'œil, et si elle ne .se pend pas, elle finira au moins par mourir de consomption ; tout cela pour vos beaux yeux. Quant à moi j’ai moins à me plaindre qu’un autre, car enfin vous m’avez écrit de Florence, et peut-être en répondant à votre lettre aurais-je pu en extorquer une autre de vous. Si je n’en ai rien fait, c’est que j’ai toujours attendu la découverte d’une belle statue, d’une longue inscription grecque, d’un beau manuscrit, pour vous en faire part, mais rien de tout cela ne s’est trouvé. En effet, de quoi pouvais-je vous parler ? des fouilles? mais elles ne vous intéressent que faiblement ; du muséum Bergia que j’ai dernièrement estimé ? vous ne donneriez pas deux sous pour tout cela. Devais-je vous rendre compte des disputes qui ont eu lieu entre les antiquaires d’abord au sujet de la statue de Pompée et ensuite sur l'arène de l'amphithéâtre ? Mais cela aurait demandé des volumes, et les combattants en préparent qui seront bientôt imprimés. Je ne sais cependant s’ils feront mention de tous les somaro, bestia et cozaccio3 qu’ils se sont dits mutuellement, et d’un cazotto4 qu’un architecte milanais donna à l’antiquaire Féa5 ; tout cela pour l’amour du Colisée. J’aurais pu à la vérité, vous parler d’un bout d’inscription assez curieuse qui se trouve sur une plaque de plomb que Dodwell6 a rapportée d’Athènes il y a six ans, et dont il ne s’est aperçu qu’à présent ; mais de cela vous saurez quelque chose une autre fois, si ma paresse me permet de m’en occuper. En attendant c’est déjà un tour de force d’avoir déchiffré cette inscription qui était presqu’invisible. J’aurais encore pu vous donner une bonne nouvelle de Naples, si vous ne la savez pas, c'est qu'on va publier tous les papyri déroulés, sans traduction, notes, ni commentaires. C'est à Millin que vous devez cette bonne œuvre, mais l’idée en est due à votre serviteur qui en fit part à Millin, qui en parla à la Reine. Cela fait enrager les Napolitains, qui avaient spéculé sur ces papyri, dont la publication, à leur manière, demandait au moins trois ou quatre siècles ! C’est un capital qu’on leur enlève. Et me voilà au bout de mes nouvelles, si toutefois vous ne voulez que, faute de mieux, je vous parle d’Amati. Le pauvre homme a eu la fièvre l’été passé, à plusieurs reprises. Un jour que j’avais envoyé demander de ses nouvelles il me répondit par ce distique, dont les trois quarts sont volés à Epictète :
[Ici se succèdent trois passages en grec que nous ne reproduisons pas.]
Lorsqu’enfin il vint me voir, je lui fis l’observation qu’il y a dans ses vers des mots qui ne sont pas grecs ; un homme comme moi, dit-il, peut bien créer des mots qui manquent à la langue. – Tout cela ne vous amuse guère, cependant au risque de vous ennuyer je vous parlerai encore d’Amati. Le roi d'Espagne, c'est-à-dire le ci-devant, voulut l'autre jour visiter la bibliothèque vaticane. Là-dessus grands préparatifs, avec ordre aux scrittori de se mettre en gala le jour fixé pour la visite. Or, vous savez qu'Amati, qui se passe de chemise, n'a jamais eu d'autre habit que la redingote que vous lui connaissez. Ses trois camarades aussi philosophes que lui, ne sont pas plus élégants, ainsi, point de toilette extraordinaire ce jour-là. M. l'intendant qui devait accompagner le roi, fort offensé de l'accoutrement de messieurs les scrittori, leur ordonne sévèrement de ne pas paraître devant S. M., au grand chagrin de mes quatre philosophes. Moi qui ne savais rien de tout cela, j’avais en attendant fait un dessin qui devait représenter Battaglini7 qui présente au roi les quatre scrittori. De la bouche de chaque personne sort un écriteau dans sa langue respective, c.à.d. le roi parle espagnol, Battaglini italien, le juif hébreu, l’Allemand sa langue et Assemani8 arabe. Je vous fais grâce des autres.
[…]
Au reste il faut se rappeler qu’à Rome les mendiants d’une certaine qualité, lorsqu’on leur refuse de l’argent, vous demandent ordinairement une prise de tabac.
Adieu, mon cher ami, j'attends avec impatience de vos nouvelles. Parlez-moi de vous, de votre Xénophon, de Coraï, de Clavier, etc. Mille choses à ces messieurs et à l'aimable et savant Ω. Si vous me faites la faveur de m’écrire, remettez je vous en prie, votre lettre à M. de Sacy, rue Hautefeuille n°9. Négligez pas (sic) de voir de temps à autre cet excellent ami qui est de ceux quales neque candidiores, terra tulit, neque quis me sit devinctior alter. ἐῤῤωσε9


[1] Selon toute vraisemblance, la princesse Gaetani.  Note1
[2] Rosa Mongiu surnommée « La belle blanchisseuse ».  Note2
[3] Respectivement âne, bête et coup de corne.  Note3
[4] Coup de poing.  Note4
[5] Carlo Fea (1753-1836) fut avocat et archéologue. Pie VII le nomma commissaire aux antiquités de Rome, poste qu’il occupa pendant trente-six ans. Il sauva de nombreux monuments de la destruction.  Note5
[6] Né à Dublin dans une ancienne et riche famille irlandaise, l'archéologue et peintre Edward Dodwell (1767-1832) étudia les classiques et l'archéologie au Trinity College de Cambridge. Disposant d’une belle fortune, il se consacra à l'étude des cultures méditerranéennes.  Note6
[7] Sous la direction de Gaetano Marini, (lequel était décédé en 1815 et avait été l’ami de Courier), Gaetano Battaglia était l’un des conservateurs des archives du Vatican.  Note7
[8] Simon Assemani (Rome 1752-Padoue 1821) est un savant orientaliste d’origine libanaise et maronite.  Note8
[9] Dont la terre n’en porte pas de plus loyaux ni de plus dévoué. ἐῤῤωσε : Adieu  Note9

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