Monuments de Véretz et Larçay
Les monuments
Le Mémorial Paul-Louis Courier
e 10 avril 1825, sa femme, Herminie, se trouvant à Paris, Paul-Louis Courier quitta la Chavonnière à pied vers 16h00 pour rejoindre son garde-chasse Louis Frémont. Il lui avait fixé le matin même un rendez-vous dans la forêt de Larçay au lieudit « la Fosse-à-la-Lande ». Les deux hommes se retrouvèrent comme prévu vers 17h00. Mais un troisième se trouvait sur les lieux ; Symphorien Dubois. Ce dernier était le charretier de Courier. Son frère, Pierre Dubois, lié de trop près à Mme Courier, avait été renvoyé par le maître en juillet 1824. Et Pierre Dubois avait juré de se venger. Symphorien partageait la haine de son aîné.
Symphorien se prit de querelle avec Courier et menaça de mort Frémont si celui-ci ne tuait pas l’homme qui les employait. Travaillé depuis plusieurs semaines par les deux frères, le bon sens édulcoré par la boisson, affolé par les imprécations de son compagnon, le garde-chasse mit en joue son maître et le tua à bout portant d’un seul coup de fusil. Alors, quatre autres comparses apparurent, trois connus dont Pierre Dubois et un étranger à la région.
Découvert le lendemain matin, le corps de l’infortuné écrivain gisant face contre terre fut transporté à la ferme du Guessier. Là, au début de l’après-midi, le médecin-légiste pratiqua l’autopsie en présence du procureur du Roi, de son substitut et du représentant du juge d’instruction.
Les obsèques furent célébrées le mardi en l’église de Véretz à 4 h de l’après-midi.
Herminie Courier arriva à la Chavonnière le 20 avril en fin de journée avec l’aîné de ses deux fils et sa propre mère, Mme Clavier. Le notaire dressa l’inventaire des biens du ménage et confirma ce qui se chuchotait ; le couple était criblé de dettes.
Stèle dans la forêt de Larçay (photo JP Lautman)
n octobre, la veuve de l’écrivain commanda une pierre tombale qu’elle fit poser au cimetière de Véretz et un monument plus important. Ce dernier fut érigé sur les lieux mêmes où Paul-Louis Courier rendit l’âme. Ensemble, les deux édifices coûtèrent 600 francs. Mme Courier fit graver les mots suivants sur une plaque noire fixée sur le monument de la forêt :
« A la mémoire de Paul-Louis Courier assassiné en cet endroit le 10 avril 1825. Sa dépouille mortelle repose à Véretz mais ici sa dernière pensée a rejoint l’éternité. »
Pendant deux années, Herminie s’évertua à administrer les propriétés. Mais elle comprit qu’elle perdait son temps et son énergie. De plus, la mort tragique de son mari, les soupçons de complicité d’assassinat qui, se concrétisèrent ultérieurement contre elle, la convainquirent de rompre avec la Touraine. Elle vendit la Chavonnière et les terres attenantes en juillet 1827 et la forêt vraisemblablement à la même époque.
Durant la dernière guerre, des maquis de résistants firent reproduire et circuler des pamphlets de Paul-Louis Courier. Les nazis s’en vengèrent stupidement puisqu’un soldat vida sa mitraillette contre la plaque du monument de la forêt. La ville de Tours réhabilita la mémoire de l’écrivain en faisant remettre en place une autre plaque identique à l’originale mais… blanche ! Faut-il y voir un symbole, celui de la transfiguration d’un homme qui inspire toutes sortes de sentiments hormis l’indifférence ?
Dans une lettre écrite de la Chavonnière le 1er octobre 1825, Herminie Courier explique à sa mère de récentes démarches par elle effectuées en mémoire de son mari :
« Je me trouve engagée en ce moment plus que je ne le voulais, et plus fort, tu en jugeras chère maman, c’est pour les deux monuments. L’un celui de Véretz, simple pierre tombale avec une plaque de marbre, contient les noms, la date et de la marge. Je n’ai rien voulu faire ajouter, l’avenir le jugera plus dignement que le présent. Celui de la forêt, lieu fatal, est plus considérable devant être moins bien défendu. C’est un cippe (est-ce bien dit ?) de quatre pieds de toutes faces, sur cinq pieds de haut et une marche d’un pied, en pierre dure, avec une plaque contenant la date de l’assassinat. On y fera des fossés à l’entour et les arbres, le bourgeon qui l’ombrageront dans deux ans seront respectés, tant que les bois seront la possession de mes enfants. Sitôt que ce sera terminé, je t’en ferai un croquis, chère maman, avec la vue de l’endroit. Si j’avais été assez riche pour mettre quelques médailles dans le monument, j’aurais été contente, mais tout cela me coûte 600 fcs, charrois, pierre, marbre, maçonnerie, inscription, et tu peux croire que j’y destine mon premier argent, avant toute chose… »
Pierre tombale de Paul-Louis Courier
De gauche à droite : Nadine Courier de Méré, Présidente de la SAPLC, Michel Bouyé, propriétaire de la Véronique et administrateur et Jean-Pierre Lautman, secrétaire.
erminie Courier se heurtait à un obstacle. Elle désirait que son époux reposât pour toujours dans le cimetière de Véretz. Or, à cette époque, les concessions à perpétuité n’étaient pas pratiquées dans ce village. Mme Courier écrivit donc en ce sens le 15 novembre 1825 au maire Archambault de Beaune pour obtenir pareille disposition.
L’autorisation se faisant attendre, elle se résolut à saisir le préfet le 18 octobre 1826.
Une ordonnance royale datée du 3 juin 1827 accorda cette concession moyennant 200 francs versés à la commune et un don de 100 francs pour les indigents. Véretz dut créer un bureau de bienfaisance pour recevoir cette dernière somme.
Paul-Etienne, fils de Paul-Louis, fut inhumé à côté de son père. A la différence de ce dernier, une petite croix est gravée sur son monument. Derrière la tombe de Paul-Louis Courier se trouve celle du docteur Herpin (et de son épouse) qui assista Herminie lors de ses deux accouchements à la Chavonnière. Le décès de Herpin fut déclaré en mairie de Véretz par… Paul-Etienne.
Dans la ligne au-dessus de celle où sont situées ces deux tombes s’en trouvent deux autres, celle de Jean-Paul Louis Courier de Méré (1866-1932), fils de Paul-Etienne et Blaise Courier de Méré (1903-1927), fils du précédent. A noter que Paul-Louis comme son père Jean-Paul et Paul-Etienne ne firent volontairement pas figurer « de Méré » après leur patronyme.
Tombe de Paul-Louis Courier et de son fils Etienne (photo O Lautman)
Le monument de la forêt de Larçay fut élevé en 1828. Il ne s’agit pas d’un cippe mais d’un bloc de maçonnerie de 1,80m sur 2,00m de hauteur. Sans doute Mme Courier changea-t-elle d’avis sur conseil de l’artisan qui réalisa les deux monuments.
Une plaque noire fut enchâssée sur une face du cénotaphe. Cette plaque fut détruite par les Allemands pendant la guerre car les Résistants tourangeaux avaient fait circuler sous le manteau des extraits de la dernière Lettre au Censeur. La ville de Tours répara ce dommage en remettant en place une plaque… blanche !
En avril 2001, à la demande de la SAPLC, la municipalité représentée par Jean Germain son maire dévoila une petite plaque en résine qui permet aux passants de connaître la signification de ce lieu de mémoire.
Le monument commémoratif de Paul-Louis Courier à Véretz
Monument commémoratif de Paul-Louis Courier à Véretz (photo JP Lautman)
e promoteur du monument fut Eugène Rigault, conseiller municipal de Paris. Il fit part de son projet à ses amis politiques et reçut le soutien de personnalités comme Edmond About, Francisque Sarcey et Daniel Wilson. Une souscription fut ouverte. Le monument fut conçu par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, fils de l’homme de lettres et ami de Paul-Louis Courier Emmanuel Viollet-le-Duc. Dans l’esprit de Rigault et de ses amis, le monument devait naturellement être érigé sur l’emplacement de la tombe de Paul-Louis. Paul-Etienne Courier, fils aîné de l’illustre défunt s’y opposa. Il écrivit en ce sens de son domicile alors situé dans le Doubs au maire de Véretz le 4 juillet 1876.
La veille même de l’envoi de cette lettre, le conseil municipal de Véretz avait décidé d’affecter à perpétuité un terrain de 8 m² situé sur la place publique à dessein d’y installer le futur monument.
L’an mil huit cent soixante-seize, le dimanche 3 juillet, à une heure du soir, le conseil municipal, composé de MM. Moreau-Vincent (dit Amable), maire, Huret-Barillet, Breton-Moreau, Tuffeau, Girault-Chevrier, Desouches-Bizeau, adjoint, Pierre Huret, Girollet-Serrault et Coudreau-Roy ;
« Vu la lettre de MM. Eugène Rigault, Hérold, Wilson, Edmond About, Francisque Sarcey, Spullert, Paul Meurice, Viollet-le-Duc, Hébrard, par laquelle M. le maire est informé qu’une souscription publique, ouverte dans le but d’élever à Paul-Louis Courier un monument qui perpétue dans cette commune le souvenir de cet homme illustre, qui l’a habitée et qui y est enseveli, a produit une somme de 7 500 francs qui, dès à présent, est mise à la disposition de la commune pour la construction du monument susdit ;
Délibère ;
Un terrain de huit mètres superficiels, sis à Véretz, sur la place publique, est affecté à perpétuité par la commune de Véretz à la construction d’un monument élevé à la mémoire de Paul-Louis Courier… »
Pour faire face aux dépenses nécessitées par une fête publique donnée à cette occasion, le conseil vota la somme de quatre cents francs.
Le 16 juillet 1876, à deux heures, Pascal Duprat et Viollet-le-Duc posèrent la première pierre au son de la Lisette de Béranger. Il y eut régates sur le Cher, musique sur l’eau, retraite aux flambeaux, feu d’artifice, bal gratuit.
L’inauguration eut lieu le 28 juillet 1878. En dépit de conditions météorologiques instables, sept à huit mille personnes y assistèrent. Le monument est réalisé en pierre dure de Chagny.
En 2007, lors de la rénovation de la place, ce monument a été légèrement déplacé vers l’est et a bénéficié d’un nettoyage au laser pour ne pas abîmer la pierre.
On trouvera ci-dessous le texte intégral de l’article peu amène du Journal d’Indre-et-Loire rendant compte de l’inauguration du monument Paul-Louis Courier sur la place de Véretz. Né sous le Directoire, ce journal, le plus ancien d’Indre-et-Loire, tirait à 3500 exemplaires en 1871. Après avoir professé une intransigeante opposition au gouvernement de la Défense nationale, il se rallia à la République conservatrice de Thiers, réservant ses flèches à Gambetta qu’il qualifiera en 1872 de « croque-mort de la démocratie ». Au début de la IIIe République, ses éditoriaux étaient rédigés d’une plume alerte par le journaliste-imprimeur Jean-François Ladevèze rédacteur en chef du Journal d’Indre-et-Loire aussitôt après la Révolution de février 1848. Quelques années avant sa mort survenue à Chambray-lès-Tours en août 1884, il fut remplacé par Jules Delahaye, protégé de l’évêque d’Angers Monseigneur Freppel. Delahaye, fidèle partisan du comte de Chambord se rapprocha des bonapartistes après la mort du prétendant au trône de France. Cet antiparlementaire pourfendit les prélats désireux d’accepter le nouveau régime, ce qui ne fut pas sans provoquer de remous en Touraine, l’archevêque de Tours Mgr Meignan étant de ceux-là et Mgr Freppel en étant l’adversaire le plus résolu. Élu député de la circonscription de Chinon en 1889, confirmé en 1890 après menace d’invalidation, il siège aux côtés de Mgr Freppel contre les partisans du ralliement à la République dont le cardinal archevêque de Paris Lavigerie fut le fer de lance et que soutiendra Léon XIII en personne en février 1892... L’inauguration du monument eut lieu au moment où Ladevèze passait la main à Delahaye.
INAUGURATION DU MONUMENT DE COURIER
Viollet-le-Duc, concepteur du monument de Véretz, est, comme Courier, représenté sur une des façades de l'Hôtel de ville de Paris.
n nous écrit de Véretz, le 28 juillet ;
Encore sous l’émotion de la splendide fête à laquelle j’ai assisté, je vous adresse ces quelques lignes écrites à la hâte.
Cette fête, est-ce l’effet du hasard, est-ce l’effet d’un calcul ? coïncidait avec l’anniversaire de la mort de Robespierre et de ses complices, dont la tête tomba sous le fer de la guillotine. Hasard ou coïncidence ne font d’ailleurs rien à la chose et je ne m’attarderai pas à ces réflexions de mon sujet.
Il y a des gens qui vous diront que la journée a été bonne pour la République ; moi, je crois qu’elle a été meilleure pour les cabaretiers. Ces industriels se frottent les mains. On a vidé leurs caves et empli leur caisse et ils bénissent la mémoire de Courier. C’est le plus beau résultat de la journée.
Vous décrirai-je les splendides décorations du bourg ? Vous parlerai-je des quatre douzaines de drapeaux tricolores placés en rang d’oignons sur la voie publique ? Vous décrirai-je la magnifique baraque dressée près du monument de Courier et dans laquelle les invités doivent s’asseoir ? Non ! Vous voyez tout cela de votre bureau et vous avez déjà apprécié par intuition les efforts que l’on a faits ici pour donner à la petite parade du jour l’éclat qui lui est dû.
Inscription de la plaque (photo JP Lautman)
Un mot seulement, avant d’arriver à la cérémonie, sur le monument de Courier. Ce monument porte l’inscription suivante ;
A PAVL LOVIS
COVRIER
CHAMPION DV BON SENS
ET DE LA LIBERTÉ
HOMMAGE DE RECONNAISSANCE.
Derrière le monument sont gravés les noms des quatre députés d’Indre et Loire ; MM. Belle, Guinot, Joubert et Wilson, puis le nom de l’architecte, M. Viollet-Leduc et des sculpteurs. Pas de date. On a reconnu que ce chef-d’œuvre n’en avait pas besoin.
Façade arrière du mémorial de la Forêt de Larçay (photo JP Lautman)
On remarque dans cette souscription l’emploi des V pour des U. C’est de la part de M. Viollet-Leduc, un anachronisme inexcusable et, qui au temps où cet architecte était jeune, lui eût mérité le bonnet que vous savez.
M. Viollet-Leduc, jadis homme de sacristie, comme disaient les radicaux, et aujourd’hui républicain à tous crins, a pu se permettre ces licences lorsqu’il restaurait des églises et des pierres tombales du vieil âge ; mais on ne s’explique pas cet enfantillage erroné, sur un monument érigé au milieu du XIXe siècle. J’ajoute toutefois, que cette naïveté architecturale s’allie à merveille avec le plan si ingénieux de la petite construction ; une borne-fontaine dont le sommet imite un chapeau de gendarme; et sous ce chapeau se trouve, faisant la figure la plus piteuse du monde, le portrait de Paul-Louis Courier.
Passons à la fête. J’entends les fanfares d’Azay-sur-Cher et de Montlouis, arrivant, bannière en tête, et trombones (sic) bruyamment déployés. Elles jouent des airs patriotiques ; on les acclame ; eu égard au tapage qu’elles produisent, c’est justice, il ne faut pas nier l’évidence.
Pendant ce temps, les trains venant de Tours et autres lieux déversent dans le bourg des masses de promeneurs. La place où se dresse le monument est envahie et à 2 heures une foule que l’on évalue de cinq à six mille personnes se presse, comme des harengs dans leur caque, dans l’étroit boyau que l’on appelle, un peu piteusement, la place de Véretz. Bientôt un cri retentit ; « les voilà ! Les voilà ! »
On aperçoit en effet, à la tête du port de Véretz, MM. les organisateurs de la fête et leurs invités. Ils sont au nombre de 250 environ. A leur tête s’avancent MM. Wilson et Belle, avec toute la dignité voulue pour la circonstance ; M. Belle, rayonnant de santé ; M. Wilson, le teint pâle, tournant peut-être un peu au jaune. M. Wilson est souffrant, que voulez-vous ! c’est un effet des travaux et des veilles et peut-être de l’organisation laborieuse des fêtes ! Espérons, ô mon Dieu ! que cette indisposition n’aura pas de suites graves !
Organisateurs et invités se placent dans la tribune ou baraque dont je vous ai parlé. Cela demande un certain temps ; car, ce qui vous surprendra peut-être par ce temps d’égalité, on opère un triage qui met en lumière certains personnages, tandis que d’autres sont relégués aux dernières places. Au centre, et aux places d’honneur, j’aperçois MM. Belle, Guinot, Joubert, Noël Parfait, Tassin, de Mahy, Cantagrel, Fouquet, Laisant, Léon Renault, députés ; Jules Simon, Garnier, Palotte, Lucet, sénateurs ; des membres du conseil municipal de Paris ; M. Daunassens, préfet d’Indre et Loire ; le sous-préfet de Loches.
Un voisin obligeant me signale encore la présence de MM. les adjoints du maire de Tours, de plusieurs membres du conseil municipal de cette ville, des maires et adjoints des communes des environs, de quelques professeurs du lycée de Tours et d’un certain nombre de journalistes.
Détail du monument sur la place de Véretz (Photo JP Lautman)
Deux personnages attirent plus particulièrement les regards ; ce sont deux Arabes, vêtus de leur costume national. Quels sont-ils ? Qui les a amenés ? J’avoue mon ignorance à ce sujet et je ne veux pas m’en préoccuper.
La séance est ouverte. M. Belle, président, se lève, il va parler. Silence.
M. Belle remercie d’abord les invités qui ont bien voulu répondre à l’appel de M. Wilson, et de sa main finement gantée il fait un geste qui accompagne le plus gracieusement du monde l’expression de sa gratitude. Mais tout à coup son front se rembrunit ; des éclairs passent dans ses yeux ; la foudre va gronder ; l’orateur évoque le passé avec des éclats de voix qui font trembler sur sa base le monument de Courier. Il rappelle ces temps où, certes, un ministère affreusement réactionnaire n’aurait pas toléré la réunion qui se tient aujourd’hui et se félicite de la situation actuelle et de l’ère de liberté qui s’est ouverte. Après avoir pulvérisé ses ennemis, il veut prendre le soleil comme point d’une comparaison qu’il veut faire. Mais le soleil refuse d’être son complice ; il se cache, le traître, derrière les nuages. M. Edmond About, placé derrière l’orateur, sourit malicieusement en entendant cette originale invocation au soleil, tandis que M. Belle poursuit sa démonstration, à laquelle l’auditoire ne comprend absolument rien. Espérons que l’orateur l’aura mieux comprise que nous.
Du reste ce n’est pas un discours que j’entends. C’est une suite de phrases sonores, retentissantes, s’égarant à droite et à gauche sans but bien déterminé. Une analyse est impossible. Je retiens cependant ceci ; M. Belle félicite les Tourangeaux qui l’écoutent d’avoir, dans les élections, donné un démenti à un stupide proverbe disant que les gens du pays étaient mous. Molles Turones. Quelle énergie au contraire n’ont-ils pas montrée en portant leur vote à l’urne électorale ; voyez combien il leur a fallu de courage pour nommer leurs députés ! Là-dessus quelques voix crient ; Vive M. Belle ! et M. Belle s’assoit sur ses lauriers. Si ses paroles avaient été soigneusement recueillies par des sténographes, je gage que deux phrases sur vingt ne supporteraient pas la lecture. Cela ne se tient pas debout. Toutes les règles du discours ont été méconnues. Mais demain vous lirez sans doute dans les feuilles préposées à ce genre de publication, l’allocution de l’orateur, complètement remaniée, mise à neuf, de façon à comparaître décemment devant les abonnés du journal... et l’on dira que c’était une improvisation.
Après un petit air de musique, joué par la fanfare de Montlouis, M. Belle donne la parole à M. Raoul Rigault. Mais il se reprend et dit ; M. Eugène Rigault. M. Rigault membre du comité d’organisation de la fête, nous donne lecture d’une sorte de rapport imprimé dans lequel il administre de singuliers éloges à ses collègues. Il leur passe généreusement la casse ; tout à l’heure, en bons camarades, croyez le bien, on lui passera libéralement le séné.
A qui le tour ? C’est à M. Edmond About qui, lui aussi, nous fait une petite lecture. La chose est imprimée, ce sera plus facile à lire. Mais la voix de l’orateur s’enroue aux premiers mots ; la gorge s’embarrasse ; on demande un verre d’eau, qui se fait passablement attendre. L’orateur boit et se livre ensuite à l’éreintement des cléricaux en se servant des divers passages qu’il cueille dans les pamphlets de Courier. Je me permettrai de lui signaler un petit oubli ; Dans ses citations, il a négligé d’indiquer une bonne phrase du célèbre pamphlétaire, disant que de son temps, il y avait des gens « qui se tournaient toujours du côté où l’on mange. » Courier aurait-il prévu, par hasard, le cas de certain personnage que M. About connaît bien et qui, après s’être tourné du côté du palais de Napoléon III, où il avait mangé à belles dents, est allé du côté de la République, où il continue de manger avec non moins d’appétit.
Après M. About, M. Léon Renault prend la parole. Nous voilà cette fois en présence d’une œuvre sérieuse. On peut ne pas partager les opinions et les appréciations de l’orateur ; mais tout le monde reconnaîtra qu’il a prononcé un discours parfaitement écrit et de forme très élégante. Il s’est attaché surtout à faire ressortir l’influence que Courier avait exercée par ses écrits sur les événements de son temps. Au milieu des détails historiques et biographiques dans lesquels il lui était nécessaire d’entrer, il a dit quelques mots de la vie militaire de son héros. M. Léon Renault fera bien de relire quelques bonnes biographies de Courier, afin de s’édifier un peu plus complètement sur ce point.
Passons à un autre discours ; c’est le cinquième de la fête, et j’entends dire qu’il y a encore quelque chose derrière le rideau.
Le nouvel orateur est M. Jules Simon.
C’est un talent connu, très souple, très adroit ; mais il ne faudrait pas asseoir son jugement sur l’échantillon qu’il nous a donné aujourd’hui. Cet échantillon est en effet des plus maigres ; et je me demande si M. Jules Simon, n’a pas voulu s’amuser un peu aux dépens de son auditoire. Il s’est montré si familier que cela ressemblait fort à une petite comédie de salon, à une parade.
L’orateur commence par féliciter tout le monde de la belle réussite de la cérémonie. Il interpelle divers invités en les appelant ses vieux camarades ; mon vieux camarade About ! Mon vieux camarade Lesguillon ! Mon ami M. Belle, un républicain sincère, dit-il ; et il donne des petites tapes amicales sur l’épaule de M. Belle, assis près de lui. Si celui-ci eût été debout, sans nul doute, M. Jules Simon lui eût tapé sur le ventre ! C’était tout à fait gai et sans façon ! Et l’auditoire riait...
M. Wilson a aussi sa part dans cette distribution de familiarités, de félicitations. Deux ou trois voix sur la place crient ; Vive Wilson !
Le croirez-vous ? Ce cri ne trouve pas d’écho parmi les invités. On se réserve probablement pour ce soir, après le bon dîner qui est en train de mijoter à Chenonceau.
La série de félicitations étant épuisée, M. Jules Simon nous conduit à l’Exposition universelle ; il nous parle d’un marteau et d’une enclume, des merveilles de la photographie, et ensuite des travaux exposés par les Écoles de France. Puis il veut bien s’occuper de Courier et nous dit que si celui-ci pouvait revivre un instant il serait bien étonné de se voir fêter par des républicains, lui qui, assurément, n’était pas républicain.
Cette réflexion de l’orateur jette un peu de froid parmi les frères et amis, qui le regardent avec un certain étonnement et se disent ; « Mais, puisqu’il n’était pas républicain, que faisons-nous là ? On nous a donc trompés ! »
Et M. Jules Simon se hâte d’ajouter que si Courier n’était pas républicain, il a énormément travaillé, (sans le vouloir) pour la république en traçant des écrits qui ont hâté l’avènement d’une ère de liberté.
A ces derniers mots, on crie ; Vive la République ! et voilà les bons rouges réconciliés avec l’orateur qui, heureux d’avoir trouvé la bonne voie, continue à user jusqu’à l’abus des expressions de liberté et de République.
Une des fanfares, celle d’Azay-sur-Cher, joue la Marseillaise, et aussitôt après, un acteur de Paris, M. Coquelin, vient déclamer une pièce de vers dédiée à Courier et qui est due à M. Poucher ou Foucher.
Sur ce beau morceau que la foule écoute avec l’indifférence la plus complète, la séance est levée, et les invités se dirigent allègrement vers la gare où les attend le train qui les conduira à Chenonceau.
Véretz, 29 juillet.
Je ne vous dirai rien des réjouissances qui ont eu lieu hier soir à Véretz après le départ des invités. Elles ne présentaient qu’un médiocre intérêt ; et puis, la pluie s’est mise à tomber et a fait fuir un bon nombre d’habitants de Tours qui étaient venus à la fête. On s’apitoyait fort, ici, sur les conséquences que cette pluie pouvait sur les préparatifs faits à Chenonceau. Il paraît, en effet, qu’elle a empêché une partie de l’illumination. Mais le feu d’artifice a tenu bon contre l’humidité ; il a assez bien réussi.
D’après ce qui m’est rapporté par un voisin, il y avait à Chenonceau plus de 15000 personnes. Dans les parcs on ne pouvait se mouvoir au milieu de la foule. Une vingtaine de jeunes filles, toutes vêtues de blanc, et ayant des ceintures roses ou bleues, vendaient des gâteaux ; c’était tout à fait poétique. Les curieux qui avaient eu la chance d’avoir des cartes d’entrée ont pu pénétrer dans le château... après le dîner des invités de Mme Pelouze et de M. Wilson et contempler le beau service et les innombrables verres dont on avait fait usage. Un buffet largement pourvu s’offrait aux amateurs. On pouvait y prendre et manger à son aise, et sans bourse délier, des gâteaux, des fruits et autres bonnes choses. Des liqueurs, des vins exquis étaient offerts à profusion, et l’on pouvait s’en mettre jusqu’aux yeux, toujours sans payer. Nombre de gens ont largement profité de cette bonne aubaine et j’aime à croire qu’à un moment donné, au bon moment, vous m’entendez, ils se montreront reconnaissants.
A 11 heures, ou 11 heures 1/2, tout ce bruit a cessé, tous ces feux qui embrasaient la vieille demeure de Catherine de Médicis, se sont éteints, et les invités se sont dirigés, en chemin de fer, les uns vers Paris, les autres vers Tours.
J.A.
JOURNAL D’INDRE ET LOIRE, lundi 29 et mardi 30 juillet 1878
D’après Geneviève Viollet-le-Duc et Jean-Pierre Lautman, membres de la SAPLC
|