Paul-Louis Courier

Courrierist, lampooner, polemist
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prec A M. - 13 décembre 1805 [Sans Mention] [Sans mention] A Mme Lariboisière - avril 1806 Suiv

Lago Negro … février 18061

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Double-cliquer pour revenir à état normal Copie de la lettre de Paul Louis Courier

B ataille, mes amis, bataille. Je n'ai guère envie de vous la conter. J'aimerais mieux manger que t'écrire ; mais le général Reynier en descendant de cheval demande son écritoire. On oublie qu'on meurt de faim, les voilà tous à griffonner l'histoire d'aujourd'hui ; je fais comme eux en enrageant. Figurez-vous, mes chers amis, qui avez là-bas toutes vos aises, bonne chère, bon gîte et le reste, figurez-vous un pauvre diable non pas mouillé, mais imbibé, pénétré, percé jusqu'aux os par douze heures de pluie continuelle, à cheval dès le grand matin, à jeun ou peu s'en faut, au coucher du soleil, c'est le triste auteur de ces lignes qui vous toucheront, si quelque pitié habite en vos cœurs. Buvez et faites brindisi à sa santé, mes bons amis, le ventre à table, et le dos au feu ; voici en peu de mots nos nouvelles.
Les Zapolitains ont voulu comme se battre, aujourd'hui. Mais cette fantaisie leur a bientôt passé. Ils s'en vont et nous laissent ici leurs canons, qui ont tué quelques hommes du premier d'infanterie légère, par la faute d'un butor. Tu devines qui c'est. Je t'en dirai des traits quand nous nous reverrons.
N'ayant point d'artillerie, car nos pièces de montagne c'est une dérision, je fais l'aide de camp les jours comme aujourd'hui, afin de faire quelque chose ; rude métier avec de certaines gens, quand par exemple on porte les ordres de Reynier au susdit. Il vous faut d'abord entendre Reynier, puis vous faire entendre à l'autre, être interprète entre deux hommes dont l'un s'explique peu, l'autre ne conçoit guère ; ce n'est pas trop, je t'assure, de toute ma capacité.
On doit avoir tué douze ou quinze cents Napolitains. Les autres courent et nous courrons demain après eux bien malgré moi.
Remacle2 a une grosse mitraille au travers du corps. Il ne s'en moque pas autant qu'il le disait. A l'entendre, tu sais, il se souciait de mourir comme de... mais point du tout. Cela le fâche, il nomme sa mère et son pays.
Général Jean Louis Ébénézer Reynier (1771-1814)
Général Jean Louis Ébénézer Reynier (1771-1814)
On pille fort dans la ville et l'on massacre un peu. Je pillerais aussi, parbleu, si je savais qu'il y eût quelque part à manger. J'en reviens toujours là, mais sans aucun espoir ; l'écriture continue, ils n'en finiront point. Je ne vois que le major Stroltz qui au moins songe encore à faire du feu. S'il réussit, je te plante là.
Le mouchard s'est distingué comme à son ordinaire. Fais-toi conter cela par L. qui fut témoin. Il était en avant, lui mouchard avec quelques compagnies de voltigeurs. Tout à coup le voilà qui accourt à Dufour : Colonel, je suis tourné, je suis coupé, j'ai là toute l'armée ennemie ! L'autre d'abord lui dit : quoi, vous prenez ce moment pour quitter votre poste ? On y va, il n'y avait rien.
Je me donne au diable si le Général veut cesser d'écrire. Que te marquerai-je encore ? J'ai un cheval enragé que mes canonniers ont pris. Il mord et rue à tout venant. Grand dommage, car ce serait un joli poulain calabrais, s'il n'était pas si misanthrope, je veux dire sauvage, ennemi des hommes.
Nous sommes dans une maison pillée, deux cadavres nus à la porte ; sur l'escalier je ne sais quoi ressemblant assez à un mort ; dans la chambre même, avec nous, une femme violée, à ce qu'elle dit, qui crie, mais qui n'en mourra pas, voilà le cabinet du général Reynier ; le feu à la maison voisine, pas un meuble dans celle-ci, pas un morceau de pain, que mangerons-nous ? Cette idée me trouble. Ma foi, écrive qui voudra. Je vais aider à Stroltz. Adieu.


[1] Sautelet indique : Morano, le 9 mars 1806.  Note1
[2] Capitaine d’artillerie.  Note2

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