Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec A la comtesse de Salm-Dyck d'Albano le 29 avril 1811 [Sans mention][1] Sans mention 1811 Suiv

Albano, le 29 avril 1811


Monsieur,

P Villa d'Este à Tivoli Villa d'Este à Tivoli
 
our avoir votre ouvrage je vois bien qu'il faudra que je l'aille chercher; et cependant vous êtes cause qu'on se moque de moi. Je reçois avis l'autre jour qu'un monsieur venant de Paris m'apportait un paquet de la part de M. Clavier. Je cours où l'on m'indiquait ; ce n'était pas là, c'était à l'autre bout de la ville. J'y vais, on se met à rire et on me dit : poisson d'avril. Or, imaginez que la veille j'expliquais à ces bonnes gens, à ceux mêmes qui m'ont joué ce tour-là, ce que c'est chez nous que poisson d'avril, et ils ne comprenaient pas qu'on y pût être attrapé, sachant d'avance le jour. Il faut, disaient-ils, que vos Français soient bien étourdis. Vous pouvez croire qu'on n'en doute plus après cette épreuve.
J'ai enfin quitté Rome; j'y vins pour quinze jours, il y a un an ou plus. Me voici en chemin pour Naples. Je n'y veux être qu'un mois si je puis. Mais c'est un pays où je prends aisément racine. J'y trouve quelque chose de cette ancienne Antioche de Daphné[2], dont je m'accommode fort en dépit de Julien[3] et de sa secte.
Donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles. Avez-vous répondu à Gail, comme vous le projetiez ? Où en est le Plutarque de M. Coraï ? Votre Pausanias ? M. de la Rochette nous donnera-t-il enfin cette anthologie[4] ? J'ai écrit à madame de Salm. Mais je ne sais si je sais son adresse. J'ai mis rue du Bac ; est-ce cela ? En tout cas je vous prie, Monsieur, de lui présenter mon respect, comme aussi à madame Clavier, qui ne va plus, j'espère en Bretagne.
Si vous n'avez point reçu un supplément de notes à joindre au Longus grec, envoyez-le prendre chez madame Marchand, rue des Bourdonnais, maison Combe, sans quoi votre exemplaire ne sera pas complet.
J'ai passé ce dernier mois presque tout à la campagne, mais quelle campagne, Madame ! Si vous saviez ce que c'est, vous m'envieriez. Comme je vous plains d'être confinée à Paris, ville de boue et de poussière. Ne me parlez point de vos environs. Voulez-vous comparer Albano et Gonesse, Tivoli et Saint-Ouen ? La différence est à la vue comme dans les noms. Au vrai c'est ici le paradis. Je vais pourtant trouver mieux. Dans le pays où je vais est le véritable Éden. Mais que dites-vous de ma vie ? Toujours de mieux en mieux. C'est vivre que cela.


[1] Sautelet précise « A M. et Mme Clavier, à Paris. »  Note1
[2] La cité de Daphné tient son nom de la nymphe d’une grande beauté, fille du dieu fleuve Pénée. Poursuivie de ses assiduités par Apollon, elle appela son père à l’aide. Celui-ci lui riva les pieds au sol et la fit se métamorphoser en laurier. La cité du même nom était située près de l’antique Antioche, dans l’actuelle Syrie. Les souverains Séleucides qui régnèrent sur elle vouèrent un culte privilégié au dieu Apollon.  Note2
[3] Oncle maternel homonyme de l’empereur Julien. Il mourut de maladie à l’automne 362. Si l’on en croit les auteurs chrétiens, il s’agissait là d’une punition divine parce qu’il venait de fermer au culte la principale église d’Antioche.  Note3
[4] Chardon de La Rochette (1755-1814) avait entrepris un travail de longue haleine en étudiant le manuscrit palatin de l’Anthologie. Il mourut avant que son travail fût achevé.  Note4

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