sur une tache faite à un manuscrit de Florence
Tivoli, le 20 septembre 1810,
’ai vu, monsieur votre notice d’un fragment de Longus nouvellement découvert, c’est-à-dire votre apologie au sujet de cette découverte, dans laquelle on vous accusait d’avoir trempé pour quelque chose. Il me semble que vous voilà pleinement justifié, et je m’en réjouirais avec vous, si je pouvais me réjouir.
Mais cette affaire, dont vous sortez heureusement, prend pour moi une autre tournure, et tandis que vous échappez à nos communs ennemis, je ne sais en vérité ce que je vais devenir.
On me mande de Florence que cette pauvre traduction dont vous avez appris l’existence au public vient d’être saisie chez le libraire, qu’on cherche le traducteur et qu’en attendant qu’il se trouve, on lui fait toujours son procès. On parle de poursuite, d’information, de témoins et l’on se tait du reste2.
Voyez, monsieur, la belle affaire où vous m’avez engagé ; car ce fut vous, s’il vous en souvient, qui eûtes la première pensée de donner au public ce malheureux fragment. Moi, qui le connaissais depuis deux ans, quand je vous en parlais à Bologne, je n’avais pas songé seulement à le lire.
Sans ce fragment fatal au repos de ma vie,
Mes jours dans le loisir couleraient sans envie3 ;
je n’aurais eu rien à démêler avec les savants Florentins, jamais on ne se serait douté qu’ils sussent si peu leur métier, et l’ignorance de ces messieurs, ne paraissant que dans leurs ouvrages, n’eût été connue de personne.
Car vous savez bien que c’est là tout le mal, et que cette tache dont on fait tant de bruit, personne ne s’en soucie4. Vous n’avez pas voulu le dire, parce que vous êtes sage.
Vous vous renfermez dans les bornes strictes de votre justification, et par une modération dont il y a peu d’exemples en répondant aux mensonges qu’on a publiés contre vous, vous taisez les vérités qui auraient pu faire quelque peine à vos calomniateurs.
À quoi vous servait en effet, assuré de vous disculper, d’irriter des gens qui, tout méprisables qu’ils sont, ont une patente, des gages, une livrée ; qui, sans être grand’chose, tiennent à quelque chose, et dont la haine peut nuire ?
Et puis ce que vous taisiez, vous saviez bien que je serais obligé de le dire, que vous seriez ainsi vengé sans coup férir, et que le diable, comme on dit, n’y perdrait rien.
Pour moi, tant que tout s’est borné à quelques articles insérés dans les journaux italiens, à quelques libelles obscurs signés par des pédants, j’en ai ri avec mes amis, sachant que, comme vous le dites très bien, peu de gens s’intéressent à ces choses, et que ceux-là ne se méprendraient pas aux motifs de tant de rage et de si grossières calomnies.
Depuis huit mois que ces messieurs nous honorent de leurs injures5, vous savez en quels termes je vous en ai écrit : c’était, vous disais-je, une canaille6 qu’il fallait laisser aboyer.
J’avais raison de les mépriser ; mais j’avais tort de ne pas les craindre, et, à présent que je voudrais me mettre en garde contre eux, il n’est peut-être plus temps.
Je fais cependant quelquefois une réflexion qui me rassure un peu : Colomb découvrit l’Amérique, et on ne le mit qu’au cachot ; Galilée trouva le vrai système du monde, il en fut quitte pour la prison.
Moi, j’ai trouvé cinq ou six pages dans lesquelles il s’agit de savoir qui baisera7 Chloé me fera-t-on pis qu’à eux ?
Je devrais être tout au plus blâmé par la cour. Mais la peine n’est pas toujours proportionnée au délit, et c’est là ce qui m’inquiète.
Vous dites que les faits sont notoires ; votre récit et celui de M. Furia s’accordent peu néanmoins. Il y a dans le sien beaucoup de faussetés, beaucoup d’omissions dans le vôtre.
Vous ne dites pas tout ce que vous savez, et peut-être aussi ne savez-vous pas tout : moi, qui suis moins circonspect, mieux instruit et d’aussi bonne foi, je vais suppléer à votre silence.
Passant à Florence, il y a environ trois ans8, j’allai avec un de mes amis, M. Akerblad, membre de l’Institut, voir la bibliothèque de l’abbaye de cette ville.
Là, entre autres manuscrits d’une haute antiquité, on nous en montra un de Longus. Je le feuilletai quelque temps, et le premier livre, que tout le monde sait être mutilé dans les éditions, me parut tout entier dans ce manuscrit.
Je le rendis et n’y pensai plus. J’étais alors occupé d’objets forts différents de ceux-là9. Depuis, ayant parcouru la France, l’Allemagne et la Suisse, je revins en Italie, et avec vous à Florence, où, me trouvant de loisir, je copiai de ce manuscrit ce qui manquait dans les imprimés.
Je me fis aider dans ce travail par messieurs Furia et Bencini, employés tous deux à la bibliothèque de Saint-Laurent, où le manuscrit se trouvait alors.
En travaillant avec eux, j’y fis, par étourderie, une tache d’encre qui couvrait une vingtaine de mots dans l’endroit inédit déjà transcrit par moi.
Pour réparer en quelque sorte ce petit malheur, j’offris, sans qu’on me le demandât, ma copie, c’est-à-dire celle que nous avions faite ensemble, moi, M. Furia et son aide, laquelle étant de trois mains, faite sur l’original même, et revue par trois personnes avant l’accident, avait une exactitude et une authenticité qui eût manqué à toute autre.
On la dédaigna d’abord, comme ne pouvant tenir lieu de l’original, et ensuite on l’exigea ; mais alors j’avais des raisons pour la refuser.
Je payai ces messieurs et m’en vins de Florence à Rome, où ayant trouvé, comme je l’espérais, d’autres manuscrits de Longus, je fis imprimer à mes frais le texte de cet auteur, avec les variantes de Rome et de Florence.
Cette édition ne se vend point, je la donne à qui bon me semble ; mais le fragment de Florence, imprimé séparément, se donne gratis à qui veut l’avoir.
Dans tout ceci, monsieur, je n’invoquerai point votre témoignage, dont heureusement je puis me passer. Je vois votre prudence ; j’entre dans tous vos ménagements, et ne veux point vous commettre avec les puissances en vous contraignant à vous expliquer sur d’aussi grands intérêts.
Si on vous en parle, haussez les épaules, levez les yeux au ciel, faites un soupir ou un sourire, et dites que le temps est au beau.
Mais, avant d’aller plus loin, souffrez, monsieur, que je me plaigne de la manière dont vous me faites connaître au public. Vous m’annoncez comme auteur d’une traduction de Longus parfaitement inconnue, brochure anonyme dont il n’y a que très peu d’exemplaires dans les mains de quelques amis ;
et, comme on ne me connaît pas plus que ma traduction, vous apprenez à vos lecteurs que je suis un helléniste, fort habile10, dites-vous. On ne pouvait plus mal rencontrer. Si je suis habile, ce n’est pas dans cette occasion que j’en ai fait preuve.
Ayant découvert cette bagatelle, qui complète un joli ouvrage mutilé depuis tant de siècles, vous voyez le parti que j’en ai su tirer. J’en fais cadeau au public, et je passe pour l’avoir non seulement volée, mais anéantie.
Vous-même, monsieur, vous en déplorez la perte. Les journaux italiens me dénoncent comme destructeur d’un des plus beaux monuments de l’antiquité ; M. Furia en prend le deuil ; sa cabale crie vengeance, et, tandis que ce supplément est, par mes soins et à mes frais, dans les mains de ceux qui peuvent le lire, on répand partout contre moi un libelle avec ce titre :
Histoire de la découverte et de la perte subite d’un fragment de Longus. Voilà mon habileté. Où tout autre aurait trouvé du moins quelque honneur, j’en suis pour mon argent et ma réputation ; et je me tiendrai heureux s’il ne m’arrive pas pis.
Croyez-moi, monsieur, les habiles en littérature sont ceux qui, comme les jésuites de Pascal, ne lisent point, écrivent peu et intriguent beaucoup11.
Je ne suis point non plus helléniste, ou je ne me connais guère. Si j’entends bien ce mot, qui, je vous l’avoue, m’est nouveau, vous dites un helléniste, comme on dit un dentiste, un droguiste, un ébéniste ;
et, suivant cette analogie, un helléniste serait un homme qui étale du grec, qui en vit, et qui en vend au public, aux libraires, au gouvernement. Il y a loin de là à ce que je fais.
Vous n’ignorez pas, monsieur, que je m’occupe de ces études uniquement par goût, ou pour mieux dire, par boutades, et quand je n’ai point d’autre fantaisie ; que je n’y attache nulle importance, et n’en tire nul profit ; que jamais on n’a vu mon nom en tête d’aucun livre ;
que je ne veux aucune des places où l’on parvient par ce moyen ; et que, sans les hasards qui m’ont engagé à donner au public un texte de quelques pages, jamais on n’aurait eu cette preuve de mon habileté ;
qu’enfin même, après cela, si vous ne m’eussiez démasqué, contre toute bienséance et sans nulle nécessité, cette habileté qu’il vous plaît de me supposer,
ou ne m’eût point été attribuée, ou serait encore un secret entre quelques personnes capables d’en juger.
Qu’est-ce, s’il vous plaît, monsieur, qu’une notice d’un livre qui ne se vend point, qu’on donne à peu de personnes, et que même on ne peut plus donner ?
et qu’importe à qui vous lit que ce livre soit bon ou mauvais, si on ne saurait l’avoir ? Que vous vous défendiez du mal qu’on vous impute en nommant celui qui l’a fait, cela est tout simple ; mais personne ne vous accusait d’avoir fait cette traduction.
Je ne veux point trop vous pousser là-dessus, ni paraître plus fâché que je ne le suis en effet. Vous avez cru la chose de peu de conséquence, et pensé fort sagement qu’un tel ouvrage ne me pouvait faire ni grand honneur ni grand tort.
Mais enfin vous eussiez pu vous dispenser de me nommer, du moins comme traducteur, et en y pensant mieux, vous n’eussiez pas dit que j’étais ni habile, ni helléniste.
Vous n’êtes pas plus exact en parlant de M. Furia. Sans autre explication, vous le désignez seulement comme bibliothécaire, gardien d’un dépôt littéraire célèbre dans toute l’Europe. Y pensez-vous, monsieur ?
Vous écrivez à Paris, vous parlez à des Français, qui, voyant dans ces emplois des gens d’un mérite reconnu, dont quelques-uns même sont Italiens, ne manqueront pas de croire que le seigneur Furia est un homme considérable par son savoir et par sa place.
Je comprends que cette erreur peut vous être indifférente, et qu’ayant apparemment plus de raison de le ménager que de vous plaindre de lui, vous lui laissez volontiers la considération attachée à son titre dans le pays où vous êtes.
Mais moi qu’il attaque, soutenu d’une cabale de pédants, il m’importe qu’on l’apprécie à sa juste valeur, et je ne puis souffrir non plus qu’on le confonde avec des gens dont l’érudition et le goût font honneur à l’Italie.
Si vous eussiez voulu, monsieur, donner une juste idée des personnages peu connus dont vous aviez à parler, après avoir dit que j’étais ancien militaire, helléniste, puisque vous le voulez, fort habile, il fallait ajouter :
M. Furia est un cuistre, ancien cordonnier comme son père, garde d’une bibliothèque qu’il devrait encore balayer, qui fait aujourd’hui de mauvais livres n’ayant pu faire de bons souliers, helléniste fort peu habile, à huit cents francs d’appointements ; copiant du grec pour ceux qui le paient ; élève et successeur du seigneur Bandini, dont l’ignorance est célèbre.
Et il ne fallait pas dire seulement, comme vous faites, que cet homme cherche des torts dans les accidents les plus simples12, mais qu’il est intéressé à en trouver, parce qu’il est cuistre en colère, dont la rage et la vanité cruellement blessée servent d’instrument à des haines13 qui n’osent éclater d’une autre manière.
Ce sont là de ces choses sur lesquelles vous gardez un silence prudent. Fontenelle, dit quelque part Voltaire, était tout plein de ces ménagements. Il n’eût voulu pour rien au monde dire seulement à l’oreille que F…14 est un polisson15.
Voltaire cachait moins sa pensée. Mais il est plus sûr d’imiter Fontenelle. Malheureusement le choix n’est pas en mon pouvoir, et je suis obligé de tout dire.
Pour commencer par les raisons que peut avoir le seigneur Furia de n’être pas aussi désintéressé qu’on le croirait dans cette affaire, il faut savoir que la découverte du précieux fragment de Longus s’est faite dans un manuscrit sur lequel, lui Furia, a travaillé de longues années, et qu’il regardait en quelque sorte comme sa propriété ;
qu’on y a fait cette trouvaille au moment précisément où le seigneur Furia venait de donner au public une notice très ample et très exacte, selon lui, de ce même manuscrit, dans laquelle est indiqué, page par page, et fort au long, tout ce que le sieur Furia y a pu remarquer ;
que son travail sur ce petit volume, annoncé longtemps d’avance, a duré six ans, pendant lesquels il n’a cessé de le feuilleter et de le décrire avec une patience peu commune ;
qu’il en a même, à ce qu’il dit, extrait beaucoup de variantes des prétendues fables d’Ésope, par lui réimprimées à la fin de sa notice ; car ces sottises de quelque moine, par où l’on commence au collège l’étude de la langue grecque, se trouvent dans ce manuscrit à la suite du roman de Longus, et le sieur Furia n’a pas manqué d’en faire son profit ;
qu’enfin, à peine achevé son ouvrage qu’il vendait lui-même, et où il pensait avoir épuisé tout ce qu’on pouvait dire du divin manuscrit, arrive par hasard quelqu’un qui, tout au premier coup d’œil, voit et désigne au public la seule chose qui fût vraiment intéressante dans ce manuscrit, et la seule aussi que le sieur Furia n’y eût pas aperçue.
On écrit aujourd’hui assez ordinairement sur les choses qu’on entend le moins. Il n’y a si petit écolier qui ne s’érige en docteur. À voir ce qui s’imprime tous les jours, on dirait que chacun se croit obligé de faire preuve d’ignorance.
Mais des preuves de cette force ne sont pas communes, et le seigneur Bandini lui-même, maître et prédécesseur du seigneur Furia, fameux par des bévues de ce genre, n’a rien fait qui approche de cela.
Nous avons des relations de voyage dont les auteurs sont soupçonnés de n’être jamais sortis de leur cabinet ; et, dans un autre genre,
Combien de gens ont fait des récits de batailles
Dont ils s’étaient tenus loin16 ?
Mais une notice d’un livre par quelqu’un qui ne l’a point lu est une bouffonnerie toute neuve, et dont le public doit savoir gré au seigneur Furia.
Je ne prétends pas dire par là qu’il ne l’ait examiné avec beaucoup d’attention. J’admire au contraire qu’il ait pu entrer dans tous ces détails et en faire deux volumes.
Son ouvrage, que je n’ai point lu (car j’en parle à peu près comme lui du manuscrit), sera quelque jour utile au relieur pour éviter toute erreur dans la position des feuillets.
En un mot, dans le compte qu’il rend de ce livre, selon lui, si intéressant, qui l’a occupé six années, il a pensé à tout, excepté à le lire.
Il est fâcheux pour vous, monsieur, de n’avoir pas été témoin de l’effet que produisit sur lui la première vue de cette lacune dans le livre imprimé, et du morceau inédit qui la remplissait dans le manuscrit.
Sa surprise fut extrême ; et quand il eut reconnu que ce morceau n’était pas seulement de quelques lignes, mais de plusieurs pages, il me fit pitié, je vous assure.
D’abord il demeura stupide17 : vous en auriez peut-être ri ; mais bientôt vous auriez eu peur, car en un instant il devint furieux. Je n’avais jamais vu un pédant enragé ; vous ne sauriez croire ce que c’est.
Le quadrupède écume et son œil étincelle18.
Si des regards il eût pu mordre, j’aurais mal passé mon temps.
Dès lors le seigneur Furia se crut un homme déshonoré. Vous savez que Vatel se tua parce que le rôt manquait au souper de son maître19. Il avait, comme dit le roi quand on lui apprit cette mort, de l’honneur à sa manière.
M. Furia ne se tua point, parce que bientôt après il conçut l’espérance de rétablir un peu sa réputation aux dépens de la mienne ; car ce fut, je crois, le surlendemain que je fis au manuscrit cette tache, dont il me sait, dans son âme, si bon gré, quoiqu’il s’en plaigne si haut.
Après avoir copié tout le morceau inédit, j’achevai la collation du reste avec ces messieurs. Pour marquer dans le volume l’endroit du supplément, j’y mis une feuille de papier, sans m’apercevoir qu’elle était barbouillée d’encre en dessous.
Ce papier s’étant collé au feuillet, y fit une tache qui couvrait quelques mots de quelques lignes. M. Furia a écrit en prose poétique l’histoire de cet événement. C’est, à ce qu’on dit, son meilleur ouvrage ; c’est du moins le seul qu’on ait lu.
Il y a mis beaucoup du sien, tant dans les choses que dans le style ; mais le fond en est pris de la Pharsale et des tragédies de Sénèque20.
J’avoue que ce malheur me parut fort petit. Je ne savais pas que ce livre fût le Palladium de Florence, que le destin de cette ville fût attaché aux mots que je venais d’effacer ; j’aurais dû cependant me douter que ces objets étaient sacrés pour les Florentins, car ils n’y touchent jamais.
Mais enfin, je ne sentis point mon sang se glacer, ni mes cheveux se hérisser sur mon front ; je ne demeurai pas un instant sans voix, sans pouls et sans haleine. M. Furia prétend que tout cela lui arriva mais moi je le regardai bien, et je ne vis en lui, je vous jure, aucun de ces signes alarmants d’une défaillance prochaine, si ce n’est quand je lui mis, comme on dit, le nez sur ce morceau de grec qu’il n’avait pu voir sans moi.
Les expressions de M. Furia pour peindre son saisissement à la vue de cette tache, qui couvrait, comme je vous ai dit, une vingtaine de mots, sont du plus haut style et d’un pathétique rare, même en Italie.
Vous en avez été frappé, monsieur, et vous les avez citées, mais sans oser les traduire. Peut-être avez-vous pensé que la faiblesse de notre langue ne pourrait atteindre à cette hauteur je suis plus hardi, et je crois, quoi qu’en dise Horace, qu’on peut essayer de traduire Pindare et M. Furia ; c’est tout un.
Voici ma version littérale :
À un si horrible spectacle (il parle de ce pâté que je fis sur son bouquin) mon sang se gela dans mes veines ; et durant plusieurs instants, voulant crier, voulant parler, ma voix s’arrêta dans mon gosier un frisson glacé s’empara de tous mes membres stupides…
Voyez-vous, monsieur ? ce pâté, c’est pour lui la tête de Méduse. Le voilà stupide ; il l’assure, et c’est la seule assertion qui soit prouvée par son livre. Mais il y a dans cet aveu autant de malice que d’ingénuité ;
car il veut faire croire que c’est moi qui l’ai rendu tel, au grand détriment de la littérature. Moi je soutiens que longtemps avant que d’avoir vu cette affreuse tache, dont le seul souvenir le remplit d’horreur et d’indignation, il était déjà stupide, ou certes bien peu s’en fallait, puisqu’il a tenu, feuilleté, examiné, décrit et noté par le menu chaque page de ce petit volume, sans se douter seulement de ce qu’il contenait.
Lorsque son directeur, ou son conservateur, comme il l’appelle quelquefois, le seigneur Thomas Puzzini21, apprit cet étrange accident par la trompette sonore de la renommée, qui, toujours infatigable…, fit à son oreille…, bref, quand on lui conta l’aventure du pâté, il fut saisi d’horreur ; il frémit au récit d’une action si atroce.
En effet, il y a de plus grands crimes, mais il n’y en a point de plus noirs. Ailleurs, M. Furia représente Florence désolée : toute une ville en pleurs, les citoyens consternés : pour lui, dans ce deuil public, quand tout le monde pleurait, vous imaginez bien qu’il ne s’épargnait pas.
Depuis que sa voix s’était arrêtée dans son gosier, il ne disait mot, et sans doute il n’en pensait pas davantage, car il était devenu stupide. Mais la nuit, dans ses songes, cette image cruelle (il n’a osé dire sanglante) s’offrait à ses yeux.
Et il déclare dans son début que l’obligation où il est de raconter ce fait lui pèse, est pour lui un fardeau excessivement à charge, parce qu’elle lui rappelle (cette obligation) la mémoire plus vive de l’acerbité d’un événement qui, bien qu’aucun temps ne puisse pour lui le couvrir d’oubli, ce nonobstant il ne peut y repenser sans se sentir compris tout entier d’horreur.
Je traduis mot à mot. Ici c’est Virgile amplifié à proportion du sujet ; car ce que le poète avait dit du massacre de tout un peuple a paru trop faible à M. Furia pour un pâté d’encre.
N’admirez-vous point, monsieur, qu’un homme écrivant de ce style attache tant d’importance au texte de Longus, qui est la simplicité même ? c’est le zèle des bouquins qui enflamme M. Furia et le fait parler comme un prophète.
Au reste, l’hyperbole lui est familière, et c’est où il réussit le mieux. En voulez-vous un bel exemple ? Quelqu’un de ses protecteurs (car il en a beaucoup, tous brûlant du même zèle et acharnés contre moi) se charge, au refus des libraires, de l’impression d’un de ses livres :
aussitôt M. Furia le proclame dans sa dédicace le premier homme du siècle, et l’assure qu’aucun âge à venir ne se taira sur ses louanges. Cicéron en disait autant jadis aux conquérants du monde.
Or, si un homme qui dépense cinquante écus pour imprimer les sottises du seigneur Furia mérite des autels, il est clair que celui qui fait, quoique involontairement, voir et palper à chacun l’ignorance dudit seigneur, est digne de tous les supplices c’est la substance du libelle qu’il a publié contre moi.
Nous sommes d’accord sur les faits, et les circonstances qu’il raconte, la plupart de son invention, sont indifférentes au fond. Qu’importe, en effet, qu’il se soit le premier aperçu de cette tache, ainsi qu’il le dit, ou que je la lui aie montrée dès que je la vis moi-même, comme c’est la vérité ?
que ce soit lui qui m’ait indiqué ce manuscrit de Longus, ou que je le connusse longtemps auparavant, comme vous, monsieur, le savez, et tant d’autres personnes à qui j’en avais écrit et parlé ? que j’aie copié, selon ce qu’il dit, tout le supplément sous sa dictée, ou que je lui aie déchiffré et expliqué les endroits qu’il n’avait pu lire, faute d’entendre le sens, comme le prouve cette copie même ; tout cela ne fait rien à l’affaire.
J’ai fait la tache, l’horrible tache, et j’en ai donné à M. Furia ma déclaration, sans qu’il songeât, quoi qu’il en dise, à me la demander. Après lui avoir offert ma copie, qu’il me demandait tout aussi peu, je la lui ai depuis refusée.
Je suis loin de m’en repentir, et vous allez voir pourquoi.
J’offris d’abord, comme je l’ai dit, de mon propre mouvement, cette copie à M. Furia, et il accepta mon offre sans paraître en faire beaucoup de cas, observant très judicieusement qu’aucune copie ne pourrait réparer le mal fait au manuscrit.
Je continuai mon travail ; vous arrivâtes deux jours après, et vous vîtes le désastre, comme l’appelle M. Furia. Ce jour-là, autant qu’il m’en souvient, il pensait encore fort peu à la copie promise ; cependant, je vois, par votre notice, qu’il en fut question, et sans doute je la promis encore.
Ce ne fut que le lendemain, quand vous n’étiez plus à Florence, que M. Furia me demanda cette copie avec beaucoup de vivacité. Je lui dis que le temps me manquait pour en faire un double, qui me devait rester, mais qu’aussitôt achevée la collation du manuscrit, je songerais à le satisfaire.
Ce même jour, regardant la tache dans le manuscrit, elle me parut augmentée, et je conçus des soupçons. Le soir, au sortir de la bibliothèque, M. Furia me pressa fort de passer avec lui chez moi, pour lui donner la copie.
Il la voulait sur-le-champ, parce que, disait-il, chez moi elle se pouvait perdre. Son empressement ajoutant aux défiances que j’avais déjà, je lui répondis que, toutes réflexions faites, je serais bien aise de garder par devers moi cette copie qui, étant écrite de trois mains, était la seule authentique et l’unique preuve que je pusse donner du texte que je publierais, quant aux endroits effacés.
Par cette raison même, me dit-il, c’était la seule qui convînt à la bibliothèque, où d’ailleurs, demeurant dans ses mains, elle ne courait aucun risque. Je ne lui dis pas ce que j’en pensais, mais je le refusai nettement.
Il se fâcha, je m’emportai, et l’envoyai promener en termes qui ne se peuvent écrire.
Ne vous prévins-je pas, monsieur, quand vous voulûtes enlever ce papier collé au manuscrit ? Ne vous criai-je pas : Prenez garde, ne touchez rien ; vous ne savez pas à quelles gens vous avez affaire. J’employai peut-être d’autres mots que l’occasion et le mépris que j’avais pour eux me dictaient ; mais, en gros, c’était là le sens, et vous vous en souvenez.
Ne craignez rien, monsieur, ceci ne peut vous compromettre. Vous ne m’écoutâtes point ; vous portâtes la main sur la fatale tache mal vous en a pris ; mais enfin votre conduite prouva que vous pensez toujours bien des gens en place, quelle que soit leur place.
Vous pouvez donc convenir, sans vous brouiller avec personne, que je vous avertis de ce qui vous arriverait, et vous en conviendrez, car on aime la vérité quand elle ne peut nous nuire.
Vous voyez, monsieur, que dès lors j’avais deviné leur malin vouloir ; j’ignorais encore ce qu’ils méditaient ; mais je le savais quand je refusai ma copie à M. Furia.
Pour comprendre l’importance que nous y attachions l’un et l’autre, il faut savoir comment cette copie fut faite. Le caractère du manuscrit m’était tout nouveau MM. Furia et Bencini l’ayant tenu assez longtemps pour en avoir quelque habitude, me dictaient d’abord, et j’écrivais ;
et en écrivant je laissais aux endroits qu’ils n’avaient pu lire dans l’original, parce que les traits en étaient ou effacés ou confus, des espaces en blanc. Quand j’eus ainsi achevé d’écrire tout ce qui manquait dans l’imprimé, je pris à mon tour le manuscrit, et guidé par le sens, que j’entendais mieux qu’eux, je lus ou devinai partout les mots que ces messieurs n’avaient pu déchiffrer, et eux qui tenaient alors la plume, écrivant ce que je leur dictais, remplissaient dans ma copie les blancs que j’avais laissés.
De plus, dans ce que j’avais écrit sous leur dictée, il se trouvait des fautes que je leur fis corriger d’après le manuscrit ; ce qui produisit beaucoup de ratures.
Ainsi, dans chaque page, et presque à chaque ligne, parmi les mots écrits de ma main, se trouvent des mots écrits par l’un d’eux, et c’est là ce qui constate l’authenticité du tout ; aussi voyez-vous que M. Furia, dans sa diatribe contre moi, atteste l’exactitude de cette copie, qu’il ne pourrait nier sans se faire tort à lui-même.
Plusieurs personnes à Florence, me parlant alors de la tache faite au manuscrit, me parurent persuadées que c’était de ma part une invention pour pouvoir altérer le texte dans quelque passage obscur et en éluder ainsi les difficultés.
Ces bruits étaient semés par M. Furia, qui, à toute force, voulait discréditer l’édition que vous aviez annoncée, et sur laquelle il pensait que nous fondions, vous et moi, une spéculation des plus lucratives ; car il ne pouvait ni croire ni comprendre que je fisse tout cela gratuitement et forcé de le croire à présent, il ne le comprend pas davantage.
En ce temps-là même, vous avez pu lire dans la Gazette de Milan un article fait par quelqu’un de la cabale de M. Furia, où l’on avertissait le public de n’ajouter aucune foi à un supplément de Longus qui allait paraître à Paris, attendu la destruction du manuscrit original, etc.
Vous concevez, monsieur, que, dans cet état de choses, M. Furia était le dernier à qui j’eusse confié le dépôt qu’il exigeait. Comment pouvais-je réparer le mal fait au manuscrit si ce n’est en donnant au public le texte imprimé d’après une copie authentique ?
et cette preuve unique du texte que j’allais publier, pouvais-je la remettre à l’homme qui m’accusait de vouloir falsifier ce texte ?
Notez que cette pièce, à moi si nécessaire, est, pour la bibliothèque, parfaitement inutile ; elle ne peut avoir, aux yeux des savants, l’autorité du manuscrit, ni par conséquent en tenir lieu.
S’il y a quelque erreur dans mon édition, c’est que j’ai mal lu l’original, et ma copie ne saurait servir à la corriger. Elle est inutile à ceux qui pourraient douter de la fidélité du texte imprimé, dont elle n’est pas la source ;
mais elle m’est utile à moi contre l’infidélité et la mauvaise foi du seigneur Furia, qui, s’il l’avait dans les mains, en altérant un seul mot, rendrait tout le reste suspect, au lieu que sa propre écriture le contraint maintenant d’avouer l’authenticité de ce texte, qu’il nierait assurément s’il y avait moyen.
Si M. Furia eût eu cette copie en son pouvoir, il aurait d’abord publié de longues dissertations sur les ratures dont elle est pleine.
Sa conclusion se devine assez, et la sottise de ses raisonnements n’eût été connue que des habiles, qui sont toujours en petit nombre et ne décident de rien ; aussi, loin de la lui confier, j’ai refusé même de la lui montrer ;
car s’il eût pu seulement savoir quels étaient les mots écrits de sa main, cela lui aurait suffi pour remplir les gazettes de nouvelles impertinences. En un mot, toute demande de sa part devait être suspecte, et son empressement fut le premier motif de mon refus.
Certes, la rage de ces messieurs se manifestait trop publiquement pour que je pusse me méprendre sur leurs intentions. Peu de jours après votre départ, les directeurs, inspecteurs, conservateurs du sieur Furia s’assemblèrent avec lui chez le sieur Puzzini, chambellan, garde du Musée :
on y transporta en cérémonie le saint manuscrit, suivi des quatre facultés22. Là, les chimistes, convoqués pour opiner sur le pâté, déclarèrent tout d’une voix qu’ils n’y connaissaient rien : que cette tache était d’une encre tout extraordinaire, dont la composition, imaginée par moi exprès pour ce grand dessein, passait leur capacité, résistait à toute analyse, et ne se pouvait détruire par aucun des moyens connus.
Procès-verbal fut fait du tout, et publié dans les journaux. M. Furia a écrit au long tout ce qui se passa dans cette mémorable séance : c’est le plus bel épisode de sa grande histoire du pâté d’encre, et une pièce achevée dans le style de Diafoirus ou de Chiampot-la-Perruque.
Pour moi, je ne puis m’empêcher de le dire, dussé-je m’attirer de nouveaux ennemis cela prouve seulement que les professeurs de Florence ne sont pas plus habiles en chimie qu’en littérature23, car le premier relieur de Paris leur eût montré que c’était de l’encre de la petite vertu, et l’eût enlevée à leurs yeux par les procédés qu’on emploie, comme vous savez tous les jours.
Mais que vous semble, monsieur, de cette dévotion aux bouquins ? À voir l’importance que ces messieurs attachent à leurs manuscrits, ne dirait-on pas qu’ils les lisent ?
Vous penserez qu’étant payés pour diriger, inspecter, conserver à Florence les lettres et les arts, ils soignent, sans trop savoir ce que c’est, le dépôt qui leur est confié, et se font de leurs soins un mérite, le seul qu’ils puissent avoir.
Mais ce zèle de la maison du Seigneur est, je vous assure, bien nouveau chez eux : il n’a jamais pu s’émouvoir dans une occasion toute récente, et bien plus importante, comme vous allez voir.
L’abbaye de Florence, d’où vient dans l’origine ce texte de Longus, était connue dans toute l’Europe comme contenant les manuscrits les plus précieux qui existassent.
Peu de gens les avaient vus ; car, pendant plusieurs siècles, cette bibliothèque resta inaccessible ; il n’y pouvait entrer que des moines, c’est-à-dire qu’il n’y entrait personne.
La collection qu’elle renfermait, d’autant plus intéressante qu’on la connaissait moins, était une mine toute neuve à exploiter pour les savants ; c’était là qu’on eût pu trouver, non pas seulement un Longus, mais un Plutarque, un Diodore, un Polybe plus complets que nous ne les avons.
J’y pénétrai enfin, comme je vous l’ai dit, avec M. Akerblad, quand le gouvernement français prit possession de la Toscane, et en une heure nous y vîmes de quoi ravir en extase tous les hellénistes du monde, pour me servir de vos termes, quatre-vingts manuscrits des neuvième et dixième siècles.
Nous y remarquâmes surtout ce Plutarque dont je vous ai si souvent parlé. Ce que nous en pûmes lire parut appartenir à la vie d’Épaminondas, qui manque dans les imprimés. Quelques mois après, ce livre disparut, et avec lui tout ce qu’il y avait de meilleur et de plus beau dans la bibliothèque, excepté le Longus, trop connu par la notice récente de M. Furia pour qu’on eût osé le vendre.
Sur les plaintes que nous fîmes, M. Akerblad et moi, la Junte donna des ordres pour recouvrer ces manuscrits. On savait où ils étaient, qui les avait vendus, qui les avait achetés ; rien n’était plus facile que de les retrouver : c’était matière à exercer le zèle des conservateurs, et nous pressâmes fort ces messieurs d’agir pour cela ; mais ils ne voulaient, nous dirent-ils, faire de la peine à personne.
La chose en demeura là. J’ai gardé la minute d’une lettre que j’écrivis à ce sujet à M. Chaban, membre de la Junte.
Livourne, le 30 septembre 1807.
« Monsieur,
« Les ordres que j’ai reçus m’ont obligé de partir si précipitamment, que j’eus à peine le temps de porter chez vous ma carte à une heure où je ne pouvais espérer de vous parler ;
manière de prendre congé de vous bien contraire à mes projets ; car après les marques de bonté que vous m’avez données, monsieur, j’avais dessein de vous faire ma cour, et de profiter des dispositions favorables où je vous voyais pour rassembler et sauver ce qui se peut encore trouver de précieux dans vos bibliothèques de moines.
Mais puisque mon service m’empêche de partager cette bonne œuvre, je veux au moins y contribuer par mes prières. Je vous conjure donc de vouloir bien ordonner que tous les manuscrits de l’abbaye soient transportés à la bibliothèque de Saint-Laurent, et qu’on cherche ceux qui manquent d’après le catalogue existant.
J’ai reconnu dernièrement que déjà quelques-uns des plus importants ont disparu ; mais il sera facile d’en trouver des traces, et d’empêcher que ces monuments ne passent à l’étranger, qui en est avide, ou même ne périssent dans les mains de ceux qui les recèlent, comme il est arrivé souvent, etc. »
On donna de nouveaux ordres pour la recherche des manuscrits. Je fus même nommé par la Junte, avec M. Akerblad, commissaire à cet effet, honneur que nous refusâmes, lui comme étranger, moi comme occupé ailleurs.
Ce soin demeura donc confié à MM. Puzzini et Furia, que rien ne put engager à y penser le moins du monde ; ils ne voulaient alors faire de la peine à personne. Ceux qui avaient les manuscrits les gardèrent, et les ont encore.
Or ces gens, si indifférents à la perte d’une collection de tous les auteurs classiques, croirait-on que ce sont eux qui aujourd’hui, pour quatre mots d’une page d’un roman, quatre mots que, sans moi, ils n’eussent jamais compris, quatre mots qui sont imprimés, et qu’ils liraient s’ils savaient lire, travaillent avec tant d’ardeur à soulever contre moi le public et le gouvernement, remplissent les gazettes d’injures et de calomnies ridicules,
et, par des circulaires, promettent à la canaille littéraire d’Italie le plaisir de me voir bientôt traité en criminel d’État. M. Puzzini en répond, il sait sans doute ce qu’il dit, et, ma foi, je commence à le croire un petit24, comme dit Sosie.
Ce qui vous surprendra, monsieur, c’est qu’aucun d’eux ne me connaît. Jamais aucun d’eux, excepté le seigneur Furia, n’a eu avec moi ni liaison ni querelle, ni rapport d’aucune espèce.
J’ai parlé un quart d’heure à M. Pulcini25, et ne me rappelle pas même sa figure ; ainsi leur haine contre moi ne peut être personnelle. Pour me faire une guerre si cruelle, et sur si peu de chose, eux qui naturellement ne veulent faire de mal à personne, leur motif est tout autre qu’une animosité, si cela se peut dire, individuelle.
L’offense que j’ai faite très involontairement au seigneur Furia lui est particulière ; la rage de toute sa clique a une cause plus générale.
Vous vous rappelez le mot des Espagnols : Non comme Français, mais comme hérétiques26. Ces messieurs disent bien ici quelque chose d’approchant ; mais je vous assure qu’ils déguisent fort peu les vrais motifs de leur haine ; tout le monde en est instruit.
Mon premier crime a été de découvrir leur ignorance, mais cela seul n’eût été rien ; car s’ils persécutaient tous ceux qui en savent plus qu’eux, à qui pourraient-ils pardonner ? le second, qui me rend indigne de toute grâce, c’est que je ne prononce pas comme eux le mot ciceri27. C’est là une sorte de péché originel que rien ne peut effacer.
Si j’avais le moindre crédit, le moindre petit emploi, quelque gain à leur promettre, quelques bribes à leur jeter, ils seraient tous à mes pieds et imagineraient autant de bassesses pour me faire la cour, qu’ils inventent aujourd’hui de calomnies pour me nuire.
Soyez assuré, monsieur, qu’avant de se décider à m’entreprendre, comme on dit, ils se sont bien informés si je n’avais point quelque appui, et comme ils ont appris que je ne tenais à rien, que je vivais seul avec quelques amis aussi obscurs que moi, que je me tenais loin des grands, et qu’aucun homme en place ne s’intéressait à moi, ils m’ont déclaré la guerre.
Avouez que ce sont d’habiles gens ; car que ces bons Espagnols fissent un auto-da-fé des Français dans la Floride, c’était quelque chose assurément, il y avait là de quoi louer Dieu ;
mais si on pouvait faire brûler un Français par les Français mêmes, quel triomphe ! quelle allégresse ! Je vois ici des gens qui lisent cette triste rapsodie de Furia contre moi : Son style est mauvais, disent-ils, mais son intention est bonne.
La découverte que j’ai faite dans le manuscrit n’est rien, au dire de ces messieurs ; c’est la plus petite chose qu’on pût jamais trouver ; mais le mal que j’ai fait est immense.
Entendez bien ceci, monsieur : le fragment tout entier n’est rien, mais quelques mots de ce fragment, effacés par malheur, font une perte immense, même alors que tout est imprimé. M. Furia a étendu cette perte le plus qu’il a pu, puisque la tache est aujourd’hui double au moins de celle que j’ai faite, si le dessin qu’en a publié M. Furia est exact.
Il l’a augmentée à ce point, afin de pouvoir dire qu’elle était immense ; car il accommode non l’épithète à la chose, mais la chose à l’épithète qu’il veut employer. Avec tout cela, il s’en faut que le dommage soit immense, et quand j’aurais noyé dans l’encre tous ces vieux bouquins et lui, le mal serait encore petit.
Cependant cette découverte, toute méprisable qu’elle est, M. Furia entend qu’elle nous soit commune, ou, pour mieux dire, il y consent ; car on voit bien d’ailleurs qu’elle lui appartient toute, puisque c’est lui, dit-il, qui m’a fait connaître, montré, déchiffré ce manuscrit, que sans lui apparemment je n’aurais pu ni trouver ni lire.
C’est là, au vrai, le but principal de son libelle, et à quoi tendent tous les détails, par lui inventés, dont son récit est rempli. Sans y mettre beaucoup d’art, il a trouvé ses lecteurs disposés à le croire et à lui adjuger la moitié de cet honneur ; car tout pour un seul, ce serait trop.
Que de haines accompagnent la renommée ! qu’il est difficile d’échapper à l’oubli et à l’envie! De tous les chemins qui mènent au temple de Mémoire, j’ai suivi le plus obscur : huit pages de grec font toute ma gloire, et voilà qu’on me les dispute !
M. Furia en veut sa part ; il crie dans les gazettes, il arrange, il imprime un tissu de mensonges pour arriver à ce mot : Notre commune découverte. Vous, monsieur, vous voyez la fourbe, et bien loin de la découvrir, vous tâchez d’en profiter pour vous glisser entre nous deux. Vous semblez dire à chacun de nous :
Souffre qu’au moins je sois ton ombre. Furia y consentirait ; mais moi je suis intraitable je veux aller tout seul à la postérité.
La gloire aujourd’hui est très rare : on ne le croirait jamais ; dans ce siècle de lumières et de triomphes, il n’y a pas deux hommes assurés de laisser un nom. Quant à moi, si j’ai complété le texte de Longus, tant qu’on lira du grec, il y aura toujours quatre ou cinq hellénistes qui sauront que j’ai existé.
Dans mille ans d’ici, quelque savant prouvera, par une dissertation, que je m’appelais Paul-Louis, né en tel lieu, telle année, mort tel jour de l’an de grâce… sans qu’on en ait jamais rien su, et pour cette belle découverte il sera de l’académie.
Tâchons donc de montrer que je suis le vrai, le seul restaurateur du livre mutilé de Longus : la chose en vaut la peine ; il n’y va de rien moins que de l’immortalité.
Vous savez, monsieur, ce qui en est, quoique vous n’en disiez rien, et M. Clavier le sait aussi, à qui j’écrivis de Milan ces propres paroles :
Milan, le 13 octobre 1809.
« Envoyez-moi vite, monsieur, vos commissions grecques ; je serai à Florence un mois, à Rome tout l’hiver, et je vous rendrai bon compte des manuscrits de Pausanias.
Il n’y a bouquin en Italie où je ne veuille perdre la vue pour l’amour de vous et du grec. Je fouillerai aussi pour mon compte dans les manuscrits de l’abbaye de Florence.
Il y avait là du bon pour vous et pour moi, dans une centaine de volumes du neuvième et du dixième siècle ; il en reste ce qui n’a pas été vendu par les moines :
peut-être y trouverai-je votre affaire. Avec le Chariton de Dorville28 est un Longus que je crois entier ; du moins n’y ai-je point vu de lacune quand je l’examinai ; mais, en vérité, il faut être sorcier pour le lire.
J’espère pourtant en venir à bout, à grand renfort de bésicles, comme dit maître François29. C’est vraiment dommage que ce petit roman d’une jolie invention, qui, traduit dans toutes les langues, plaît à toutes les nations, soit dans l’état où nous le voyons.
Si je pouvais vous l’offrir complet, je croirais mes courses bien employées, et mon nom assez recommandé aux Grecs présents et futurs. Il me faut peu de gloire ; c’est assez pour moi qu’on sache quelque jour que j’ai partagé vos études et votre amitié… »
M. Lamberti30 lut cette lettre, où il était question de lui, et me promit dès lors de traduire le supplément, comme il pouvait faire mieux que personne. Il se rappelle très bien toutes ces circonstances et voici ce qu’il m’en écrit :
Della speranza che avevate di scoprire nel codice Fiorentino il frammento di
Longo Sofista, voi mi parlaste sino dai primi momenti del vostro arrivo in Milano.
Questa cosa fu da me in quel tempo ancor detta ad alcuni amici, che non possono averne perduto la
rimembranza. Si parlò ancora della traduzione italiana che sarebbe stato bene di
farne, quando non fossero riuscite vane le speranze dellà scoperta ; ed io, per
l’infinita amicizia che vi professo, mi vi obligai con solenne promessa per un tale
lavoro. A gran ragione adunque mi dovettero sorprendere le ciancie del signor Furia,
che nel suo scritto si voleva far credere come cooperatore e partecipe di quello
scoprimento…31
Enfin, voici une lettre de M. Akerblad, qui montre assez en quel temps je vis ce manuscrit pour la première fois :
« …Je me rappelle effectivement qu’il y a trois ans nous allâmes ensemble voir la bibliothèque de l’abbaye de Florence, où, entre autres manuscrits, on nous montra celui qui contient le roman de Longus, avec plusieurs autres érotiques grecs.
Je me souviens très bien aussi que, pendant que j’étais occupé à parcourir le catalogue de ces manuscrits, dont les plus beaux ont disparu depuis, vous vous arrêtâtes assez longtemps à feuilleter celui de Longus, le même qui vous a fourni l’intéressant fragment que vous venez de publier. »
Ainsi bien avant que ce manuscrit passât dans la bibliothèque de Saint-Laurent de Florence, je l’avais vu à l’abbaye je savais qu’il était complet, je l’avais dit ou écrit à tous ceux que tout cela pouvait intéresser.
Depuis, dans la bibliothèque, M. Furia me montra ce livre que je lui demandais, et que je connaissais mieux que lui, sans l’avoir tenu si longtemps, et moi je lui montrai dans ce livre ce qu’il n’avait pas vu en six ans qu’il a passés à le décrire et en extraire des sottises.
On voit par là clairement que tout le récit de M. Furia, et les petites circonstances dont il l’a chargé pour montrer que le hasard nous fit faire à tous deux ensemble cette découverte, qu’il appelle commune, sont autant de faussetés.
Or si, dans un fait si notoire, M. Furia en impose avec cette effronterie, qu’on juge de sa bonne foi dans les choses qu’il affirme comme unique témoin ; car à ce mensonge, assez indifférent en lui-même, il joint d’autres impostures, dont assurément la plus innocente mériterait cent coups de bâton.
C’était bien sur quoi il comptait pour être un peu à son aise, comme l’huissier des Plaideurs. J’aurais pu donner dans ce piège il y a vingt ans ; mais aujourd’hui je connais ces ruses, et je lui conseille de s’adresser ailleurs.
J’ai très bien pu, par distraction, faire choir sur le bouquin la bouteille à l’encre ; mais frappant sur le pédant, je n’aurais pas la même excuse, et je sais ce qu’il m’en coûterait.
Depuis l’article inséré dans la Gazette de Florence32, par lequel vous annonciez une édition du supplément et de l’ouvrage entier, j’étais en pleine possession de ma découverte, et plus intéressé que personne à sa conservation.
Tout le monde savait que j’avais trouvé ce fragment de Longus, que j’allais le traduire et l’imprimer ; ainsi mon privilège, mon droit de découverte étaient assurés ; on ne saurait donc imaginer que j’aie fait exprès la tache au manuscrit, pour m’approprier ce morceau inédit qui était à moi.
C’est néanmoins ce que prétend M. Furia cette tache fut faite, dit-il, pour le priver de sa part à la petite trouvaille (vous voyez, par ce qui précède, à quoi cette part se réduit), et afin de l’empêcher, lui ou quelque autre aussi capable, d’en donner une édition. Cela est prouvé, selon lui, par le refus de la copie.
Ce discours ne peut trouver de créance qu’auprès de ceux qui n’ont nulle idée d’un pareil travail ; car qui eût pu l’entreprendre à Florence, quand même votre annonce n’eût pas appris au public et la découverte et à qui elle appartenait ?
Ne m’en croyez pas, monsieur, consultez les savants de votre connaissance, et tous vous diront qu’il n’y avait personne à Florence en état de donner une édition supportable de ce texte d’après un seul manuscrit. Il faut pour cela une connaissance de la langue grecque, non pas fort extraordinaire, mais fort supérieure à ce qu’en savent les professeurs florentins.
En effet, concevez, monsieur, huit pages sans points ni virgules, partout des mots estropiés, transposés, omis, ajoutés, les gloses confondues avec le texte, des phrases entières altérées par l’ignorance, et plus souvent par les impertinentes corrections du copiste.
Pour débrouiller ce chaos, Schrevelius33 donne peu de lumière à qui ne connaît que les Fables d’Ésope34. Je ne puis me flatter d’y avoir complètement réussi, manquant de tous les secours nécessaires ;
mais hors un ou deux endroits, que ceux qui ont des livres corrigeront aisément, j’ai mis le tout au point que M. Furia lui-même, avec ma traduction et son Schrevelius, suivrait maintenant sans peine le sens de l’auteur d’un bout à l’autre.
Tout cela se pouvait faire par d’autres que moi, et mieux, à Venise ou à Milan, mais non à Florence.
Les Florentins ont de l’esprit, mais ils savent peu de grec et je crois qu’ils ne s’en soucient guère il y a parmi eux beaucoup de gens de mérite, fort instruits et fort aimables ; ils parlent admirablement la plus belle des langues vivantes avec cela on se passe aisément du grec.
Quelle préface aurait pu, je vous prie, mettre à ce fragment M. Furia, s’il en eût été l’éditeur ? il aurait fallu qu’il dît : Dans le long travail que j’ai fait sur ce manuscrit, dont j’ai extrait des choses si peu intéressantes, j’ai oublié de dire que l’ouvrage de Longus s’y trouvait complet ; on vient de m’en faire apercevoir.
Et là-dessus, il aurait cité votre article de la gazette. Vous voyez, monsieur, par combien de raisons j’avais peu à craindre que ni lui ni personne songeât à me troubler dans la possession du bienheureux fragment.
J’en ai refusé à M. Furia, non une copie quelconque, qui lui était utile comme bibliothécaire, mais une certaine copie dont il voulait abuser comme mon ennemi déclaré ; et l’abus qu’il en voulait faire n’était pas de la publier, car il ne le pouvait en aucune façon ;
mais de l’altérer, pour jeter du doute sur ce que j’allais publier. Tout cela est, je pense, assez clair.
Mais si l’on veut absolument que, contre mon intérêt visible, j’aie mutilé ce morceau, que je venais de déterrer et dont j’étais maître, pour consoler apparemment M. Furia du petit chagrin que lui causait cette découverte, encore faudrait-il avouer que les adorateurs de Longus me doivent bien moins de reproches que de remerciements.
Si ce texte est si sacré, pour l’avoir complété je mérite des statues. La tache qui en détruit quelques mots dans le manuscrit ne saurait être un crime d’État, que la restauration du tout dans les imprimés ne soit un bienfait public : mais si tout l’ouvrage, comme le pensent des gens bien sensés, n’est en soi qu’une fadaise, qu’est-ce donc que ce pâté dont on fait tant de bruit ?
En bonne foi, le procès de Figaro, qui roulait aussi sur un pâté d’encre, et la cause de l’Intimé, sont, au prix de ceci, des affaires graves.
Et quand il serait vrai, que par pure folie
J’aurais exprès gâté le tout ou bien partie
Dudit fragment, qu’on mette en compensation
Ce que nous avons fait depuis cette action,35
et l’édition du supplément qui se distribue gratis, et celle du livre entier donnée aux savants, et enfin cette traduction dont vous rendez compte, qui certes éclaircit plus le texte que la tache ne l’obscurcit.
On ne vous soupçonnera pas, monsieur, de partialité pour moi. Vous trouvez que j’ai complété la version d’Amyot si habilement, dites-vous, qu’on n’aperçoit point trop de disparate entre ce qui est de lui et ce que j’y ai ajouté, et vous avouez que cette tâche était difficile.
Je ne suis pas ici en termes de pouvoir faire le modeste : un accusé sur la sellette, qui voit que son affaire va mal, se recommande par où il peut, et tire parti de tout. Cette traduction d’Amyot est généralement admirée, et passe pour un des plus beaux ouvrages qu’il y ait en notre langue.
On ferait un volume des louanges qui lui ont été données seulement depuis trois ou quatre ans, tant dans les journaux que dans les différents livres. L’un la regarde comme le chef-d’œuvre du genre naïf ; l’autre appelle Amyot le créateur d’un style qui n’a pu être imité ;
un troisième déclare aussi cette traduction inimitable, et va jusqu’à lui attribuer la grande réputation du roman de Longus. Or ce chef-d’œuvre inimitable, ce modèle que personne n’a pu suivre dans le plus difficile de tous les genres, je l’ai non seulement imité, selon vous, assez habilement, mais je l’ai corrigé partout, et vous n’osez dire, monsieur, qu’il y ait rien de perdu.
L’entreprise était telle qu’avant l’exécution, tout le monde s’en serait moqué, parce qu’en effet il y avait très peu de personnes capables de l’exécuter. Les gens qui savent le grec sont cinq ou six en Europe ; ceux qui savent le français sont en bien plus petit nombre.
Mais ce n’est pas seulement le grec et le français qui m’ont servi à terminer cette belle copie, après avoir si heureusement rétabli l’original ; ce sont encore plus les bons auteurs italiens, d’où j’ai tiré plus que des nôtres, et qui sont la vraie source des beautés d’Amyot ; car il fallait, pour retoucher et finir le travail d’Amyot, la réunion assez rare des trois langues qu’il possédait et qui ont formé son style.
Ainsi cette bagatelle, toute bagatelle qu’elle est, et des plus petites assurément, peu de gens la pouvaient faire.
Je comprends, monsieur, que votre jugement n’est pas celui de tout le monde, et que ce qui vous a plu semblera ridicule à d’autres ; mais l’ouvrage n’étant connu que par votre rapport, la prévention du public doit, pour le moment, m’être favorable ;
et si cette prévention en faveur de ma traduction peut me faire absoudre du crime de lèse-manuscrit, je me moque fort qu’après cela on la trouve bonne ou mauvaise.
Qu’on examine donc si le mérite d’avoir complété, corrigé, perfectionné cette version que tout le monde lit avec délices, et donné aux savants un texte qui sera bientôt traduit dans toutes les langues, peut compenser le crime d’avoir effacé involontairement quelques mots dans un bouquin que personne avant moi n’a lu, et que jamais personne ne lira.
Si j’avais l’éloquence de M. Furia, j’évoquerais ici l’ombre de Longus, et, lui contant l’aventure, je gage qu’il en rirait, et qu’il m’embrasserait pour avoir enfin remis en lumière son œuvre amoureuse. Vous pouvez penser la mine qu’il ferait à M. Furia, qui le laissait manger aux vers dans le vénérable bouquin.
J’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.
Tivoli, le 20 septembre 1810.
P.S. Est-ce la peine de vous dire, monsieur, pourquoi je ne vous envoyai ni le texte, ni la traduction que je vous avais promise ? Accusé de spéculer avec vous sur ce fragment, dont je vous faisais présent, comme vous en convenez, le seul parti que j’eusse à prendre, n’était-ce pas de le donner moi-même au public ?
Je vous avoue aussi que votre ambition m’alarmait. Si, pour m’avoir accompagné dans une bibliothèque, vous disiez et vous imprimiez à Milan : Nous avons trouvé, et nous allons donner un Longus complet, n’était-il pas clair qu’une fois maître et éditeur de ce texte, vous auriez dit, comme Archimède : Je l’ai trouvé.
Vous et M. Furia vous alliez vous parer de mes plus belles plumes, et je restais avec ma tache d’encre que personne ne me contestait. J’avais pensé faire deux parts ; le profit pour vous, l’honneur pour moi vous vouliez avoir l’un et l’autre, et ne me laisser que le pâté. Une pareille prétention rompait tous nos arrangements.
[1] Les notes complètement en italique qui accompagnent ce texte proviennent de la première édition des œuvres de Courier, peut-être sont-elles même de Courier en personne. Les autres émanent de nous.
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[2] Hémistiche de Corneille, allusion hardie à l’intervention de l’auguste princesse, au refus de la dédicace, et autres faits connus alors de tout le monde à Florence, et peut-être même dans les faubourgs. Cf. Cinna, acte IV, scène 4.
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[3] Adaptation des vers 57 et 58 de la Satire II, A M. de Molière, de Nicolas Boileau:
Sans ce métier, fatal au repos de ma vie,
Mes jours dans le loisir couleraient sans envie
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[4] Affirmation injustifiée : le bibliothécaire del Furia et son adjoint, et c’est bien le moins, s’en soucièrent.
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[5] Le premier article relatif à cette affaire parut anonymement dans le Corriere Milanese du 14 janvier 1810. Son compte rendu était des plus abscons et pointait plus Renouard que Courier. Le 5 février suivant, del Furia mit publiquement en cause Courier et Renouard.
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[6] Canaille, des chambellans ! Ceci parut un peu fort, et quelques personnes voulaient que l’auteur le supprimât.
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[7] L’équivoque sur le terme employé est bien d’un lecteur assidu de Boccace.
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[8] Voir notre introduction.
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[9] Idem.
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[10] Dans la première phrase de la notice de Renouard se trouve l’expression visée par Courier : Cette édition, imprimée à soixante exemplaires, qu’on a eu l’intention de numéroter (…) a été faite aux frais et par les soins de M. Courier, de Paris, ancien officier d’artillerie, et helléniste fort habile.
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[11] Dans sa 3e Provinciale, Pascal écrit : Et c’est ce qui a fait dire à un savant théologien : « Que les plus habiles d’entre eux sont ceux qui intriguent beaucoup, qui parlent peu et qui n’écrivent point. » Au début du paragraphe suivant, Courier se souvient encore de Pascal qui, dans la 1e Provinciale disait du « pouvoir prochain » : Ce mot me fut nouveau et inconnu.
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[12] Dans sa notice, Renouard avait écrit : […] on y voit aussi que M. Furia ne demande pas mieux que de trouver des torts, et qu’à défaut de faits il se jette sur les plus menus incidents…
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[13] Les Français alors de là les monts étaient détestés comme le sont maintenant les Allemands. Le gouvernement n’en savait rien et ne voulait en rien savoir. Ce passage et d’autres pareils ci-dessous firent en Italie une très vive sensation, et déplurent à l’autorité, qui redoute surtout qu’on imprime ce que chacun pense.
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[14] Il s’agit de Fréron, l’une des bêtes noires de Voltaire.
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[15] La mémoire de Courier était hors norme. Toutefois, il ne vérifiait pas le mot à mot des citations et se contentait de les adapter à ses besoins. Pour celle qui concerne Voltaire, on peut y voir allusion à l’Épître 88 à M. de la Porte, laquelle dit :
Il ne faut point tant de courage
Pour se battre contre un poltron,
Ni pour écraser un Fréron,
Dont le nom seul est un outrage.
Un passant donne au polisson
Un coup de fouet sur le visage :
Ce n’est que de cette façon
Qu’on corrige un tel personnage
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[16] Citation adaptée de l’Amphitryon de Molière, acte I, scène 1 où on lit :
Combien de gens font-ils des récits de batailles
Dont ils se sont tenus loin ?
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[17] Je demeure stupide. Corneille, Cinna, acte I, scène 1.
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[18] La Fontaine, Le Lion et le Moucheron, Fables, Livre deuxième, IX.
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[19] « Contrôleur général de la Bouche » au château de Chantilly, François Vatel était chargé par le Grand Condé, propriétaire des lieux, de tout ce qui concernait les réceptions. Le jeudi 23 avril, Condé donna une somptueuse fête de trois jours pour se faire pardonner son rôle durant la Fronde des princes et rentrer dans les bonnes grâces de Louis XIV. Le lendemain, jour du vendredi saint, ne voyant pas arriver sa commande de poissons et de coquillages, Vatel monta dans sa chambre et se perça par trois fois le corps de son épée. Âgé de 40 ans, il avait sauvé son honneur mais perdu la vie.
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[20] Le factum de del Furia auquel se réfère Courier est daté de Florence 5 février 1810.
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[21] Son vrai nom était Puccini. L’auteur, se voulant divertir, en a fait Puzzini, sobriquet italien qui signifie putois, puant, puantini, et s’appliquait au personnage ; car, comme dit Regnier, il sentait bien plus fort, mais non pas mieux que rose. Le nom lui demeura, il n’y a si mauvaise plaisanterie qui ne réussisse contre la cour, les chambellans, la garde-robe.
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[22] Boileau, Satire III, 152.
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[23] Allusion à la tentative le 5 décembre 1809 non couronnée de succès de Giuseppe Gazerri, professeur de chimie au lycée impérial de Florence, de dissoudre la tache au moyen d’un acide.
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[24] Molière, Amphytrion, acte I, scène 2.
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[25] C’est son nom encore estropié, mais d’une autre façon. Pulcini veut dire poussin (petit poulet) ; on en a fait Pulcinella, Polichinelle chez nous. Ces lazzi, qui ne demandaient pas assurément beaucoup d’esprit, chagrinèrent plus que tout le reste le pauvre chambellan.
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[26] Les Espagnols, dans la Floride, firent pendre les Français protestants, avec cet écriteau : « Non comme Français, mais comme hérétiques » ; à quoi les flibustiers, depuis, répondirent en massacrant les Espagnols : Non comme Espagnols, mais comme assassins.(note de Courier)
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[27] Ceci fait allusion aux vêpres Siciliennes, où, pour connaître les Français, on les obligeait de dire ce mot. Ceux qui ne le prononçaient pas bien étaient massacrés.
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[28] L’helléniste Jacques Philippe Dorville ou D’Orville (1696-1751) a laissé la 1e édition avec important commentaire publiés en 1750 du roman de Chariton d’Aphrodisias. Longtemps présenté comme un auteur tardif, celui-ci dont on sait peu de choses est aujourd’hui considéré comme le premier auteur de roman dont nous aurions conservé le texte. Il serait originaire d’Aphrodisias et aurait vécu au IIe siècle. La seule œuvre connue de lui est Le Roman de Chairéas et de Callirhoé. Elle narre dans un style sobre, dépouillé et plein d’humour, les amours d’une jeune fille, Callirhoé et d’un jeune homme, Chairéas, tous deux beaux comme des dieux et originaires de Syracuse. Ce pathos erotikon est le prétexte à un voyage dans tout le monde méditerranéen, de Syracuse jusqu’à Babylone en passant par Milet et l’Euphrate. Larcher donna une traduction de ce roman en 1795.
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[29] Il s’agit évidemment de Rabelais qui use de cette expression à la fin du premier chapitre de son Gargantua.
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[30] Ami de Courier, helléniste et poète italien, Luigi Lamberti (1756-1813) était conservateur de la bibliothèque de Brera, à Milan où il tenait un cénacle littéraire.
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[31] C’est-à-dire en français : « L’espoir que vous aviez de trouver dans les manuscrits de Florence un texte complet de Longus me fut annoncé par vous dès les premiers moments de votre arrivée ici, et j’en parlai à quelques amis qui n’en peuvent avoir perdu le souvenir. Nous parlâmes aussi de traduire le supplément en italien ; à quoi je m’obligeai envers vous par une promesse fondée sur l’amitié qui nous unit tous deux. Ainsi, ce ne fut pas sans beaucoup d’étonnement que je vis depuis l’étrange folie et le bavardage de M. Furia, qui, dans sa brochure, prétendait avoir part à cette découverte. »
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[32] Article daté du 11 novembre 1809.
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[33] Né à Haarlem, le philologue du 17e siècle Cornelis Schrevelius est l’auteur d’un dictionnaire grec-latin (Lexicon Manuale graeco-latinum et latino-graecum …) assez médiocre mais connu du temps de Courier faute d’un meilleur.
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[34] Coup de griffe à del Furia qui travaillait depuis plusieurs années sur les fables d’Esope que contenait la liasse où se trouvait le Longus dont il n’avait pas remarqué la particularité.
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[35] Passage du plaidoyer de l’Intimé dans les Plaideurs adapté par Courier.
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