Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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Pièce diplomatique
extraite des journaux anglais1

Deux larrons en foire : Courier et Béranger

De quoi pouvait-on parler en France en 1823 ? De l’explosive situation politique au-delà des Pyrénées, bien évidemment. Parmi les cinq points qu’il eut à examiner, le Congrès de Vérone se consacra surtout à l’examen des dangers de la révolution d’Espagne par rapport à l’Europe, et surtout par rapport à la France. Pendant que les coups d’El Libertador Simon Bolivar, séparaient les colonies espagnoles d’Amérique de la mère patrie, celle-ci était coupée en deux blocs antagonistes pour ou contre le roi Ferdinand. Il fallait porter secours au monarque espagnol en difficulté pour arrêter net le risque de propagation aux pays voisins du ferment révolutionnaire. Les grands d’Europe, Russie en tête, décidèrent donc de ramener par la force les Espagnols à la raison. Déjà, dans son Livret de Paul-Louis puis dans la Gazette du village, le vigneron de la Chavonnière avait dénoncé cette menace qui planait. Or, la majorité du peuple n’avait pas accès à la lecture. Aussi les chansons allaient-elles bon train, brocardant ce qui devait l’être, se gaussant des grands et des petits qui se voulaient faire grands.
Sur ce plan, le maître incontesté est Béranger. Entré pour trois mois dans la cellule quittée dix jours plus tôt par Courier, quand il en sortit le chansonnier était déterminé à en découdre avec le pouvoir. Pour ce faire, il écrivit et composa de nombreux succès parmi lesquels le Vieux sergent dont voici les trois premiers couplets :

Pierre-Jean Béranger Pierre-Jean Béranger
 

Près du rouet de sa fille chérie
Le vieux sergent se distrait de ses maux,
Et, d'une main que la balle a meurtrie,
Berce en riant deux petits-fils jumeaux.
Assis tranquille au seuil du toit champêtre,
Son seul refuge après tant de combats,
Il dit parfois : « Ce n'est pas tout de naître ;
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas ! »

Mais qu'entend-il ? Le tambour qui résonne :
Il voit au loin passer un bataillon.
Le sang remonte à son front qui grisonne ;
Le vieux coursier a senti l'aiguillon.
Hélas ! Soudain, tristement il s'écrie :
« C'est un drapeau que je ne connais pas.
Ah ! Si jamais vous vengez la patrie,
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas ! »

Qui nous rendra, dit cet homme héroïque,
Aux bords du Rhin, à Jemmapes, à Fleurus,
Ces paysans, fils de la république,
Sur la frontière à sa voix accourus ?
Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes,
Tous à la gloire allaient du même pas.
Le Rhin lui seul peut retremper nos armes.
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !

Pour le chansonnier, la seule guerre glorieuse fut celle conduite par les soldats de la liberté puis de l’épopée napoléonienne. Sa voix qui se veut celle de ceux qui n’en ont pas stigmatise donc l’expédition d’Espagne aux antipodes des aspirations de la France profonde. Pour fustiger la branche aînée des Bourbons, Béranger célébrera de plus en plus la gloire de Napoléon cependant que Courier narrera le plus grand bien de Louis-Philippe dans le Simple discours et la 1e Lettre aux anonymes.
Ces deux s’accordèrent pour saper les bases de la dynastie en condamnant avec le talent qui était le leur l’affaire d’Espagne. Bakounine l’exprimera à sa manière : Béranger était son poète [celui de la bourgeoisie] et Paul-Louis Courier son écrivain politique2. Quant à Victor Hugo, il rendra indirectement justice à la clairvoyance de Courier et Béranger en dénonçant la cécité de la Restauration3.

Nouvelle preuve, si besoin était, du talent de Courier

Remarquable ingéniosité de Courier ! La Pièce diplomatique ne dit rien de nouveau sur le fond mais revêt une forme désopilante et inusitée : il s’agit d’une construction satirique pleine de hardiesse puisqu’elle prend la forme d’une lettre prétendument écrite de la main de Louis XVIII à son cousin d’Espagne, Ferdinand VII de Bourbon. Le monarque français prodigue toutes sortes d’avisés conseils à l’apparence libérale à « son frère d’Espagne  » pour couper bras et jambes aux révolutionnaires ibériques. Sans qu’on sache jamais si ce pamphlet fut rédigé avant ou après la prise du Trocadéro par les troupes françaises, on est là continuellement dans le second degré et dans ce bain de l’antiphrase hérité de Voltaire. Effet garanti, par le non-respect affiché aux deux rois et par le cynisme omniprésent prêté à Louis XVIII. Pour affirmer l’aspect outrageant à la personne de celui-ci, Courier ajoutera au titre Pièce diplomatique extraite des journaux anglais la note suivante :

On la dit envoyée de Cadix à M. Canning par un de ses agents secrets qui l’aurait eue d’un valet de chambre, qui l’aurait trouvée dans les poches de Sa Majesté Catholique.

L’expédition d’Espagne menée par le duc d’Angoulême fut bien une opération montée pour régler une affaire intérieure franco-française. Courier retourne le procédé et, sous couvert de traiter des affaires de Ferdinand vise la dynastie de France. Il fut heureux qu’il optât pour l’anonymat, faute de quoi, il eût affronté une fois encore les charges de l’avocat général De Bröe et n’eût pas manqué de retourner faire antichambre à Sainte Pélagie.



[1] On pourra également consulter notre introduction au Livret de Paul-Louis, vigneron.  Note1
[2] Dieu et l’État, Chapitre 11, Après la révolution.  Note2
[3] Quant aux Bourbons, la guerre de 1823 leur fut fatale. Ils la prirent pour un succès. Ils ne virent point quel danger il y a à faire tuer une idée par une consigne. Ils se méprirent dans leur naïveté au point d’introduire dans leur établissement comme élément de force l’immense affaiblissement d’un crime…
Les Misérables
, Cosette, livre deuxième, chapitre III.  Note3

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