Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Sans mention d'Albano 29 avril 1811 [Sans mention][1] De M. Odoux de Luynes Suiv

Avril 1812


C Les-Bergers-d-Arcadie-Nicolas-Poussin.jpg Les Bergers d'Arcadie de Nicolas Poussin
 
e matin, de grand matin , j'allais chez M. D’Hagincourt[2], et comme je montais les degrés de la Trinité-du-Mont, je le rencontrai qui descendait, et il me dit : « Vous veniez me voir ? » - Il est vrai, lui dis-je ; mais puisque vous voilà sorti… - Non, reprit-il, entrez chez moi, dans un moment je suis à vous. » Je fus chez lui, et je l'attendis, et comme il tardait un peu je descendis dans son jardin et je m'amusai à regarder les plantes et les fleurs qui sont fort belles et nombreuses et pour la plupart étrangères à ce qu'il me parut, et aussi rangées d'une façon particulière et pittoresque : car il y a beaucoup d'arbustes, dont les uns plantés fort épais, font comme une espèce de pépinière coupée par de jolies allées, les autres tapissent les murs et du pied de la maison montent en rampant jusqu'au faîte. La maison est dans un des angles du jardin, de grands arbres grêles, qui sont, je crois, des acacias, s'élèvent à la hauteur du toit, et parent les rayons du soleil sans nuire à la vue, tellement qu'on voit de là tout Rome au bas du Pincio et les collines opposées de Saint-Pierre-in-Montorio et du Vatican. Au fond du jardin aux deux angles, il y a deux fontaines qui tombent dans des sarcophages et dont l'eau coule par des canaux le long du mur et des allées en me promenant j'aperçus parmi les touffes de plantes fort hautes une tombe antique de marbre avec une inscription. Je m'approchais pour la lire, écartant ces plantes, cherchant à poser le pied sans rien fouler, quand M. D’Hagincourt, que je n'avais pas vu : « C'est ici, me dit-il, l'Arcadie du Poussin, hors qu'il n'y a ni danses ni bergers, mais lisez, lisez l'inscription[3]. » Je lus, elle était en latin, et il y avait dans la première ligne : Aux dieux mânes. Un peu au-dessous : Fauna vécut quatorze ans, trois mois et six jours. Et plus bas en petites lettres : Que la terre te soit légère, fille pieuse et bien aimée[4].


[1] Sautelet a donné un titre à ce texte : « Fragment ». Il l’a daté d’avril 1812 sans expliquer pourquoi. Visiblement, ce morceau est à rattacher au séjour de Courier à Rome de mars 1810 à juin 1812.  Note1
[2] Courier n’est pas rigoureux sur l’orthographe des patronymes. Il est pourtant proche de Jean-Baptiste Louis Seroux d'Agincourt comme le montre sa lettre du 18 février 1808.
Né à Beauvais le 5 avril 1730, J.-B. d'Agincourt sert dans sa jeunesse comme officier de cavalerie. Il abandonne la carrière militaire pour s’occuper de ses frères devenus orphelins. Louis XV le nomme fermier général. Cette fonction lui permit d’amasser une fortune considérable. A partir de 1777, il voyage beaucoup en Europe de l’ouest. A la fin de 1778, il découvre l’Italie qui enchante l’archéologue et numismate qu’il est. Il s’installe définitivement à Rome en 1778. Il y meurt le 24 septembre 1814.
Un mausolée est élevé à sa mémoire dans l’église Saint-Louis-des-Français consacrée à Louis IX et située au cœur de Rome.  Note2
[3] Partie montagneuse du Péloponnèse, l’Arcadie est symboliquement apparentée au Paradis originel.
Les bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin (1594-1665) est une huile sur toile visible au Louvre de 85cm sur 121. Elle appartint à Louis XIV. Trois bergers et un personnage féminin, peut-être une déesse, laquelle pose sa main droite sur l’épaule de l’un des bergers sont réunis autour d’une tombe. L’homme agenouillé désigne une inscription gravée dans la pierre : « Et in Arcadia ego », que l’on peut traduire par « Je suis aussi en Arcadie ». Cet énigmatique pronom personnel « Je » désigne la Mort.
D’Agincourt était un admirateur de Poussin inhumé à Rome en 1665. Il commanda un buste en marbre du peintre, qu’il fit déposer en juillet 1782 dans le Panthéon de Rome aux côtés aux côtés de ceux de Raphaël et d’Annibal Carrache. Courier ne pouvait ignorer ce fait.  Note3
[4] Sit tibi terra levis est une phrase latine inscrite sur les monuments funéraires romains. Elle peut se traduire par « que la terre te soit légère ». Elle apparaissait généralement à la fin de l’épitaphe. On trouve parfois cette forme abrégée : S T T L.  Note4

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