Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Réponse aux anonymes II Introduction au Livret de Paul-Louis, vigneron Suiv
« Livret de Paul-Louis, vigneron,
pendant son séjour à Paris en mars 1823  »

Le Livret

« Qu’est-ce qui caractérise l’homme ? » Cette question dont Courier aurait bien ri si on la lui avait posée semble tout droit sortie d’une interrogation de l’épreuve de philo du baccalauréat. Parce qu’il se gaussait des traités ou des longues démonstrations théoriques, soporifiques et sujettes à d’interminables discussions, le vigneron de la Chavonnière en aurait tiré mille plaisanteries. Pour lui, tout doit être court et direct. Il faut parler des sujets qui les préoccupent sur l’instant pour être entendu des hommes en des termes vifs et rapides pour ne les point rebuter. Nous allons y revenir.

A sa manière franche, le Livret de Paul-Louis donne réponse sans équivoque à cette question : « le plus bel acte dont l’homme soit capable, résister au pouvoir. » Il ne s’agit surtout pas d’une profession de foi nihiliste mais d’une défiance systématique et spontanée de tout pouvoir. C’est sans doute en ce sens que certains ont pu penser que Courier appartient à la grande famille des anarchistes. Mais Courier n’est pas Bakounine (encore que sa méfiance de l’État…) et encore moins Kropotkine ou Ravachol. Aucune adhésion chez lui à l’action violente : l’esprit est le droit et l’emportera toujours sur les multiples déclinaisons de la force. En ce XXIe siècle où le désenchantement imprègne le monde comme la lumière baigne tout ce qui bouge à la surface du globe, cette croyance peut paraître naïve. Qu’importe ! elle place résolument Courier du côté des hommes et contre les systèmes, tous les systèmes dont le XXe siècle montra de quoi ils étaient capables.

Le système qu’il combat dans le Livret, c’est celui d’un ordre inique qui n’a qu’une obsession : renouer avec l’Ancien régime, avec une société constituée de la caste des privilégiés, oisifs, flagorneurs et courtisans et de la foule du labeur, de ceux qui suent pour gagner le pain qu’ils mangent et nourrir ceux qui ne suent jamais. Courier déploie dans cette brochure une nouvelle facette de son talent. Rupture ici avec les pamphlets précédents par souci d’efficacité : il faut surprendre le lecteur, le toucher au vif, emporter son adhésion : le pamphlétaire se fait maintenant propagandiste :

Le peuple hait les Bourbons, parce qu’ils l’ont trompé, qu’ils mangent un milliard et servent l’étranger... .

Ferdinand VII, roi d'Espagne Ferdinand VII, roi d'Espagne
 
Une distance infinie sépare le Simple discours condamné du Livret de Paul-Louis, plus virulent et d’une radicalité sans appel comme le prouve le constat ci-dessus dont on peut considérer qu’il prophétise la chute proche de la branche aînée des Bourbons. La forme aussi est notoirement autre. Ce sont de courts textes, peintures rapides mais accablantes, coups d’épingles plutôt que blessures graves, mises en scènes allusives et corrosives, dénonciations diverses, gausseries sans appel comme cette fantaisie qui consiste à demander à une princesse de deux ans s’il y a lieu ou non de faire la guerre en Espagne. Et comme cette petite personne de sang royal a elle aussi besoin de conseils, elle les demandera à sa poupée ! Belle marque d’insolence qui aurait pu mener de nouveau son auteur à Sainte Pélagie.

Car voilà bien le sujet qui préoccupe la France et les Français du moment avant tous les autres : partir en guerre contre l’Espagne libérale et la ramener dans le giron d’une Europe purgée des idées révolutionnaires après l’avoir été de l’usurpateur. Cette question d’actualité conditionne toutes les autres.

En quelques mots, de quoi s’agit-il ? Après la chute de Napoléon et sa relégation sur l’île d’Elbe, Ferdinand VII, descendant de Louis XIV, est rétabli dans ses droits. On aurait pu dire « restauré ». Mais son obscurantisme réveille les esprits acquis aux idées libérales : le 1er janvier 1820, un pronunciamiento est lancé à Cadix contre l’absolutisme. Ferdinand doit composer comme naguère son cousin Louis XVI. Mais ne va-t-il pas subir le même sort et la monarchie essuyer des coups mortels ? L’Europe peut-elle tolérer cela sans réagir ? Le maître artisan qui va nouer toute cette affaire contre l’avis de l’Angleterre est Chateaubriand. Nommé ministre des affaires étrangères le 29 décembre 1822, il s’empresse d’aller à Vérone où tous les représentants des grands pays d’Europe discutent et que son prédécesseur Mathieu de Montmorency vient de quitter. Là, déployant des trésors de persuasion pour emporter l’adhésion d’une intervention en Espagne et faire également pression sur Villèle, président du Conseil, hostile à cette intervention. Il l’emportera sur l’Angleterre et obtiendra des alliés de mandater la France pour rétablir l’ordre au-delà des Pyrénées.

François René de Chateaubriand François René de Chateaubriand
 
Le 7 avril, c’est-à-dire quelques jours après parution du Livret de Paul-Louis, forte de 100 000 hommes avec à leur tête le duc d’Angoulême, l’armée française entre en Espagne… Les farouches hommes qui avaient combattu Napoléon vont de nouveau se dresser contre l’envahisseur étranger. Mais cette fois, les jeux ne sont plus égaux. Les libéraux seront écrasés et Ferdinand se livrera à de si horribles massacres que le duc d’Angoulême, authentique catholique, en sera révulsé et quittera sur-le-champ cette Espagne salie et martyrisée par son cousin. Un peu plus d’un siècle plus tard, la voix solennelle de Bernanos s’élèvera contre son camp pour dénoncer de semblables horreurs perpétrées en Espagne.

Bien sûr, Courier ne vouera pas aux gémonies cette seule lamentable (et future) expédition ; il portera d’autres coups au pouvoir auquel tout homme digne de ce nom doit résister sous peine de perdre son humanité. Il n’oublie pas l’Église déjà attaquée par lui dans la 2e lettre aux anonymes et dans la Pétition pour des villageois et sait qu’il risque gros, très gros :

Ce matin, me promenant dans le Palais Royal, M…ll…rd passe, et me dit : Prends garde, Paul-Louis, les cagots te feront assassiner. – Quelle garde, veux-tu, lui dis-je, que je prenne ? ils ont fait tuer les rois…

Qu’un homme dont on sait qu’il sera assassiné deux ans après les avoir rapportées ait prononcée ces paroles devait inévitablement ouvrir la porte à mille suppositions post mortem.

L a Proclamation

A l’origine, la Proclamation ne faisait pas partie de ce pamphlet d’un type nouveau. C’était un tract politique clandestin dont la police eut vent et qui inspira le rapport suivant du préfet de police de Paris pour le ministre de l’Intérieur :

« J’ai été informé que le Comité directeur avait ordonné l’impression à un très grand nombre d’exemplaires :

1° Une Proclamation à l’armée, tendant à lui prouver que son intérêt était d’abandonner la cause du Roi pour défendre celle de la Révolution d’Espagne, et l’inciter à la révolte ou à la défection…
… J’espère être instruit du moment de la publication, et découvrir au moins en partie, les ateliers où s’impriment ces libelles, mais je crois devoir communiquer cet avis à votre excellence pour qu’elle soi à même, dans les cas où mes recherches n’obtiendraient pas le succès que j’ai lieu d’attendre, d’ordonner aux autorités locales des départements les mesures qu’elle jugera convenables pour faire saisir les envois qui doivent être faits et empêcher la distribution de ces écrits… »

Ce n’est qu’après la mort de Courier et lors de la première édition de ses œuvres que la Proclamation sera rattachée au Livret.



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