Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Sans mention de Strasbourg le 18 juillet 1809 [Sans mention] A M. Pigalle de Lucerne, le 14 août 1809 Suiv

Zurich, le 25 juillet 1809.


Monsieur,

J Jean Baptiste Louis Georges Seroux d'Agincourt Jean Baptiste Louis Georges Seroux d'Agincourt (1730-1814)
 
e donnerais tout au monde pour avoir à cette heure une ligne de vous qui m'assurât seulement que vous vous portez bien. Voilà en vérité mille ans que je n'ai eu de vos nouvelles. Vous allez dire que c'est ma faute. Non. Quand je vous aurais écrit, jamais vos réponses ne m'eussent atteint dans les courses infinies que j'ai faites après être parti de Livourne. C'est de là que je vous adressai, ce me semble, ma dernière lettre[1]. Le seul récit de mes voyages depuis ce temps-là vous fatiguerait. Figurez-vous que si j'ai eu un moment de repos, si je me suis arrêté quelque part, ç'a toujours été sans l'avoir prévu. Ne pouvant jamais dire un jour où je serais le lendemain, quelle adresse vous aurais-je donnée ? Maintenant je suis libre, ou je crois l'être, c'est tout un, et je vais… devinez où ? à Rome. Cela n'est-il pas tout simple ? Débarrassé de mille sottises qui me tiraillaient en tous sens, je reprends aussitôt ma tendance naturelle vers le lieu où vous résidez. Voilà une phrase de physicien que quelque jolie femme prendrait pour de la cajolerie ; mais vous, Monsieur, vous savez bien que c'est la pure vérité. Il est heureux pour moi sans doute que vous habitiez justement le pays que je préfère à tout autre; mais fussiez-vous en Sibérie, dès que je me sens libre, j'irais droit à vous.
J'ai dû vous marquer, si tant est que je vous aie écrit de Milan, comme arrivé là je quittai sagement mon vilain métier. Mais à Paris, un hasard, la rencontre d'un homme que je croyais mon ami,

Et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant.

Je partis pour l'armée d'Allemagne, dans le dessein extravagant de reprendre du service. La fortune m'a mieux traité que je ne méritais, et, tout près d'être lié au banc, m'a retiré de cette galère. Je vous conterai cela quelque jour. Ce n'est pas matière pour une lettre. Dès que les chaleurs cesseront, je descendrai de ces montagnes pour aller passer l'hiver avec vous. Cependant écrivez-moi ; si peu que vous voudrez, mais écrivez-moi. Deux mots de votre main me seront un témoignage de l'état de vos yeux, et suffiront pour m'apprendre comment vous vous portez.

Réponse de M. d’Agincourt

A Monsieur Courier
Poste restante
à Strasbourg

Rome 9 août 1809

Monsieur,

J e viens de recevoir votre lettre du 15 juillet datée de Zurich ; vous croyez bien qu’avec mes yeux et mes jambes vieillissant outrageusement[2], je ne puis pas vous suivre par monts et par vaux dans les courses que vous avez faites depuis le long temps que je n’ai eu de vos nouvelles. Je ne vois plus dans tout cela que la fin qui vous rend la liberté, bonheur dont je vous félicite, et celui dont je me félicite, ce sera de vous avoir ici aussi constamment que vous me le promettez. Je vous embrasse de tout mon cœur. Voilà la ligne tracée seule de ma main dont vous avez la bonté d’assurer le plaisir, elle est sans cérémonie et celle d’une bien véritable amitié. Addio[3].
Mme Dionigi sera aussi contente que moi et l’ami Marin de même ; celui-ci vous salue et l’autre vous attend impatiemment pour la révision de ses érudits et pittoresques ouvrages.


[1] La lettre de Livourne du 15 décembre 1808.  Note1
[2] Il était né le 5 avril 1730 à Beauvais et mourut quelques années plus tard, à Rome, le 24 septembre 1814.  Note2
[3] M. d’Agincourt, malade, n’était plus guère capable de tenir une plume. La majeure partie de cette lettre est rédigée d’une autre main que la sienne, vraisemblablement celle de Mme d’Agincourt.  Note3

trait

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