Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Lettre sans mention de Milan - février 1809 [Sans mention][1] De M. Silvestre de Sacy le 3 mars 1809 Suiv

Milan, le 2 mars 1809


M Vincenzo Monti Vincenzo Monti (1754-1828) par Abdrea Appianii (1809)
 
a première lettre est pour vous ; du moins n'ai-je encore écrit à personne que je puisse appeler ami, et ceci soit dit afin de vous faire sentir l'obligation où vous êtes de me répondre, toute affaire ou toute paresse cessante.
En arrivant ici, j'ai demandé un congé, on me l'a refusé. J'ai donné ma démission. J'ai fait, comme vous voyez, ce que j'avais projeté. Cela ne m'arrive guère. Je projette maintenant d'aller à Paris. Mais j'attendrai pour partir que la neige soit un peu fondue sur les Alpes, et je veux les repasser avant qu'il en vienne d'autre. Car je ne puis plus vivre que dans le beau pays ove il si suona[2].
Ma lettre sans doute vous trouvera encore à Florence et au lit, je m'imagine. Car voilà un retour de froid qui va vous faire rentrer dans le duvet jusqu'au nez : non tibi Svezia parens[3].
Si vous étiez enfant du nord, vous vous ririez de nos frimas, et tout vous semblerait zéphyr en Italie. Donnez-moi bientôt de vos nouvelles. Partez-vous toujours pour Rome ? j'y serai, je crois, avant vous, si Dieu nous maintient l'un et l'autre dans les mêmes dispositions.
Lamberti a fini son Iliade, et il va la porter à l'empereur. C'est un homme heureux, Lamberti s'entend. Il a du métier littéraire les agréments sans les peines. Il vit avec ses amis, il travaille seulement pour n'être pas désœuvré. Son chagrin (car il en faut bien), c'est cette farine sur son visage

Qui fait fuir à sa vue un sexe qu'il adore.

Aimez-vous les vers ? en voilà. Le pauvre Lamberti gémit de n'oser se montrer aux belles après s'être vu leur idole. Bon homme au demeurant, d'un caractère aimable. Il sait assez de grec et beaucoup d'italien. Il a un frère qu'on vient de faire sénateur du royaume. Je ne doute pas qu'il ne le mérite autant pour le moins que Roland, qui était sénateur romain, au dire d'Arioste. J'ai appris à cette occasion que le royaume avait un sénat. Mais je ne sais trop au vrai ce que c'est qu'un sénateur.
A une lecture de Monti (c'était encore Homère, traduit par lui Monti ; et toujours de l'Homère ! je crois que j'en rêverai), il a lu justement le livre où sont les deux comparaisons de l'âne et du cochon, et j'ai été témoin d'une grave discussion, savoir si l'on peut dire en vers, et en vers héroïques, asino et porco. L'affirmative a passé tout d'une voix, sur l'autorité d'Homère appuyé de son traducteur et de son éditeur présents. Notifiez cet arrêt à vos lettrés toscans, et à tous auxquels il appartiendra : la chose intéresse beaucoup de gens qui ne pourraient sans cela espérer de voir jamais leurs noms dans la haute poésie.


[1] Sautelet précise : «A M. Akerblad » et donne pour date le 12 mars.  Note1
[2] Citation tirée de Dante et que l’on trouve déjà dans la lettre à Mme Dionigi de janvier 1809.  Note2
[3] « La Suède n’est pas ta mère » sous-entendu « tu ne supportes guère le froid vif. »  Note3

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