Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec [Sans mention] de Livourne - octobre 1808 [Sans mention] [Sans mention] de Livourne - 18 octobre 1808 Suiv

Livourne, le 17 octobre 1808[1]


Monsieur,

S Jean-Baptiste-Gaspard d'Ansse de Villoison (1750-1805 Jean-Baptiste-Gaspard d'Ansse de Villoison (1750-1805)
 
uivant vos instructions, j'ai remis moi-même à M. de Gérando mon Xénophon[2], qui se recommande fort à vos bontés. Vous me faites grand plaisir de ne pas dédaigner un hommage aussi obscur que le mien. Si j'ai quelque mérite, c'est d'avoir pu vous plaire et c'est par là que je suis sûr de prévenir au moins le public en ma faveur.
Il m'importe, comme vous dites fort bien, que mon travail paraisse le plus tôt possible, non seulement à cause de M. Gail, mais encore par d'autres raisons. Je vous prie donc de le livrer à quelque libraire, aux conditions que vous jugerez convenables, ou même sans condition[3]. Je voudrais bien être assez riche pour faire les frais de l'impression et pouvoir ainsi disposer de tous les exemplaires. Ce serait une espèce de demi-publicité qui me conviendrait fort. Mais je n'ai jamais un sou ; et puis, ne se moquerait-on pas avec quelque raison d'un officier qui emploierait sa solde à se faire imprimer ? Il faut donc trouver un libraire qui se charge de tout. Vanité d'auteur à part, je ne puis croire qu'il y perde. Si le grec ne se vend guère (car entre nous les lecteurs sont cinq ou six en Europe) il se vend cher ; il y a toujours un certain nombre d'amateurs sur lesquels on peut compter, et la traduction, qui se peut séparer du texte, aura plus de débit, ne fût-ce que comme ouvrage militaire. Au reste, Monsieur, en cela comme en tout le reste, vous savez beaucoup mieux que moi ce qui se peut faire et ce qui convient, et puisque mon Xénophon a le bonheur de vous intéresser, je ne suis pas inquiet de son entrée dans le monde.
Pour le grec, l'édition devrait être soignée par quelqu'un qui l'entendît et qui voulût prendre la peine d'y ajouter les accents. J'ai l'habitude très condamnable de les omettre en écrivant. M. Boissonade, avec qui j'ai eu quelque liaison, pourrait se charger de cet ennui, s'il voulait m'obliger aussi sensiblement que Grec puisse obliger un Grec. J'hésite d'autant moins à l'en prier que je puis lui rendre la pareille, étant tout à son service pour quelque collation ou notice de manuscrits qu'il lui faille de Rome ou d'ici, je veux dire de Florence. Qu'il considère un peu de quelle conséquence il est pour les destinées futures de Xénophon que cette édition soit correcte, puisqu’étant la quintessence de tous les manuscrits, sans addition ni suppression, changement ni correction aucune, fidélité rare et peut-être unique, elle servira de base à toutes celles qu'on fera jamais de ce texte. Ce n'est donc pas pour moi mais pour Xénophon, que je lui demande cette grâce, en un mot, pour l'amour du grec[4]
Je n'ai point vu l'édition publiée en Allemagne il y a quatre ou cinq ans, et je ne la connais que par une lettre de feu M. de Villoison, qui m'en parlait fort avantageusement. Si l'éditeur, M. Weiske, a donné quelques soins au texte de ces deux traités, il ne se peut que nos conjectures se rencontrent souvent. Je ne sais même (car j'ai appris que j'étais nommé dans sa préface) s'il n'a point publié quelques-unes de mes notes, que M. Villoison a pu lui communiquer.
Je crois sans peine, Monsieur, tout ce que vous me marquez de M. Larcher, quelqu’admirable que cela soit. Sa vie est comme ses ouvrages, fort au-dessus des forces communes. Je pense lui être plus redevable que personne, car tout mon grec me vient de lui[5]. Si j'en sais peu, sans lui je n'en saurais point du tout. Ce fut son Hérodote qui m'ouvrit le chemin à ces études auxquelles je dois les meilleurs moments de ma vie. Cela vous explique pourquoi je ne cite que lui dans mes notes. Malheureusement j'ai cité quelquefois Hérodote sans pouvoir consulter sa traduction, seulement d'après mes extraits. Je travaillais en courant la poste et le plus souvent sans livres. Dieu veuille qu'il n'y paraisse pas trop. Mais quoi ? je faisais en soldat la besogne d'un soldat ; car il y fallait un homme du métier ; et qui n'eût connu que les livres n'aurait pu entendre ceux-là. Je reviens à M. Larcher pour vous prier de lui présenter mon respect. En vérité, je ne sais par où je puis être digne de l'amitié de deux hommes comme vous, si ce n'est par-mon inviolable attachement.
Je comprends la perte que vous venez de faire[6], monsieur, et j'ose à peine vous en parler. Je suis, bien peu propre à vous consoler, moi qui, depuis six ans[7] atteint d'une douleur pareille[8], la sens comme le premier jour. Je crois pourtant qu'il ne faut pas se plaire à son chagrin ni se nourrir d'une amertume qui affligerait, si elles nous voyaient, les personnes mêmes que nous regrettons.


[1] Sautelet donne pour destinataire M. de Sainte-Croix et date cette lettre du 27 novembre.  Note1
[2] Les deux livres tirés du traité sur la cavalerie, traduits par Courier à Naples.  Note2
[3] Cette précision montre l’absence totale de vénalité chez Courier.  Note3
[4]Molière, Les Femmes savantes, III, scène 3 :
         Quoi ? Monsieur sait du grec ? Ah ! permettez de grâce
         Que pour
l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse.  Note4
[5] Courier s’était épris du grec à la Véronique en accédant, dans la bibliothèque de son père, à la traduction d’Hérodote par Larcher.  Note5
[6] M. de Sainte-Croix venait de perdre sa fille.  Note6
[7] Sautelet imprime « dix ans ».  Note7
[8] Courier semble un peu brouillé avec les années. Sa mère est décédée en octobre 1801, soit sept ans plus tôt.  Note8

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