Causeries du Lundi
Lundi 21 juillet 1852
Portrait de Sainte-Beuve
l y a quelques jours que, causant avec un magistrat homme d’esprit, à qui ses fonctions n’ont point fait oublier les Lettres, après quelques propos sur divers sujets : « Savez-vous que c’est moi, me dit-il, qui le premier ai relevé le corps de Paul-Louis Courier dans le bois où il fut assassiné ? J’étais alors substitut à Tours ; on vint me chercher à Véretz au milieu de la nuit ; j’arrivais à l’aube… » Et j’entendis alors un récit vrai, simple, attachant, dramatique, qui me remit en mémoire cette singulière et originale figure,
et qui me tente aujourd'hui de la retracer. Moi-même j'ai vu une seule fois Courier, et c'était environ trois semaines, si je ne me trompe, avant sa mort : il était à Paris, d'où il partait le lendemain, on l'avait invité à une soirée des rédacteurs du Globe ; il y vint ; on l'entourait, on l'écoutait. Je ne dirai pas que son image s'est gravée en moi, mais il m'est du moins resté de sa personne une idée qui n'est en rien le contraire du vrai, et que le souvenir et la réflexion peuvent achever très fidèlement.
Courier n'était pas un très grand caractère, nous le verrons ; je dirai même tout d'abord que ce n'était pas un esprit très étendu ni très complet dans ses points de vue. Il voit bien, mais par parties ; il a de vives idées, mais elles ne sont ni très variées ni très abondantes : cela devient très sensible quand on le lit de suite et dans sa continuité. Ce qu'il est avant tout, en même temps qu'un homme d'humeur, c'est un homme d'art et de goût ; c'est un habile et, par endroits, un exquis écrivain :
là est sa supériorité et sa gloire. Sa vie se partage très nettement en deux parties, avant 1815 et après. Après 1815, on eut le Paul-Louis Courier soi-disant vigneron, ancien canonnier à cheval, ayant son rôle, sa blouse, son fusil de paysan et, peu s'en faut, de braconnier, tirant au noble et au capucin, guerroyant à tout bout de champ derrière la haie ou le buisson, ami du peuple, et le louant, le flattant fort, se vantant d'en être, enfin le Paul-Louis que vous savez.
Avant 1815, on a un autre Courier qui a devancé l'autre et qui l'explique, mais qui n'a rien encore de l'homme de parti ; soldat déjà trop peu discipliné sous la république, devenu incompatible et tout à fait récalcitrant sous l'Empire, mais curieux de l'étude, amateur du beau en tout ; un Grec, un Napolitain, un Italien des beaux temps, le moins Gaulois possible ; s'abandonnant tant qu'il peut à tous les caprices de sa libre vocation ; indépendant avec délices ; délicat et quinteux ;
misanthrope et pourtant heureux ; jouissant des beautés de la nature, adorant les anciens, méprisant les hommes, ne croyant surtout pas aux grands hommes, faisant son choix de très-peu d'amis. Tel il était à l'âge de quarante-trois ans, tel au fond il resta jusqu'à la fin ; mais les dix années finales (1815 - 1825) où il devint et où il fit un personnage populaire, méritent d'être comprises à part : aujourd'hui je ne m'occuperai que du premier Courier, du Courier avant le rôle et le pamphlet.
On a pour cette étude un secours inestimable, ce sont les lettres de Courier même, cent lettres rangées par lui et préparées pour l'impression, datant de 1804 à 1812, et qui composent ses vrais Mémoires durant ce laps de temps. Courier a fait pour ses lettres ce que Pline le Jeune avait fait pour les siennes, avec cette seule différence qu'il les a disposées par ordre chronologique. Il les aura sans doute retirées des mains de ceux à qui il les avait écrites pour en faire ainsi collection,
ou bien il les a refaites et corrigées à loisir, d'après ses propres brouillons conservés. Quoi qu'il en soit du procédé, on a cette suite de lettres, auquel il s'en est ajouté depuis beaucoup d'autres, et plus anciennes, et plus récentes ; de telle sorte que la vie de Courier se retrouve peinte en entier dans sa correspondance. Des lettres ainsi refaites et retouchées laissent toujours à désirer quelque chose, je le sais bien ; elles n'ont plus la même autorité biographique que des lettres toutes naïves,
écrites au courant de la plume, oubliées au fond d'un tiroir et retrouvées au moment où l'on y pense le moins : mais Courier, homme de style et de forme, n'a guère dû faire de changements à ses épîtres que pour les perfectionner par le tour ; ses retouches et ses repentirs, comme disent les peintres, n'ont pas dû porter sur les opinions et les sentiments qu'il y exprime, et le travail qu'il y met, le léger poli qu'il y ajoute n'est qu'un cachet de plus.
Paul-Louis Courier, né à Paris sur la paroisse Saint-Eustache, le 4 janvier 1772, d'un père riche bourgeois, et qui avait eu maille à partir avec un grand seigneur, fut élevé en Touraine sous les yeux et par les soins de ce père qui le destinait à servir dans le corps du génie et qui l'appliqua en attendant aux langues anciennes. 0n sait peu de choses de ses premières années et des circonstances de sa première éducation, sinon qu'elle fut toute libre, agreste et assez irrégulière.
A quinze ans, on le trouve à Paris, prenant de M. Callet sa première leçon de mathématiques et se livrant à l'étude du grec sous M. Vauvilliers, professeur au Collège de France ; cette dernière étude l'emportait de beaucoup sur l'autre dans son esprit. Son second professeur de mathématiques, Labbey, ayant été nommé à l'École d'artillerie de Châlons, Courier l'y suivit (1791) ; mais tout en poursuivant son dessein d'entrer dans une arme savante, il ne sacrifiait cependant point ses auteurs grecs et latins,
et, à chaque moment de relâche, il leur laissait reprendre l'empire. On peut juger de ce que devait être la discipline de l'École de Châlons après le 10 août 1792, au moment de l'approche des Prussiens. Courier, comme tous ses camarades, jouissait vivement de cette indépendance ; mais il en était peu qui eussent comme lui dans leur poche un Homère grec pour compagnon inséparable dans leurs courses à travers champs. Nommé lieutenant d'artillerie en juin 1793, il alla en garnison à Thionville ;
il écrivait de là à sa mère (10 septembre 1793) pour lui demander des livres, Bélidor sur le génie et l'artillerie, et surtout deux tomes de Démosthène et il ajoutait :
« Mes livres font ma joie, et presque ma seule société. Je ne m'ennuie que quand on me force à les quitter, et je les retrouve toujours avec plaisir. J'aime surtout à relire ceux que j'ai déjà lus nombre de fois, et par là j'acquiers une érudition moins étendue, mais plus solide. À la vérité, je n'aurai jamais une grande connaissance de l'histoire, qui exige bien plus de lectures, mais je gagnerai autre chose qui vaut autant, selon moi... »
Il veut parler sans doute de la connaissance morale de l'homme. Nous verrons avec les années croître chez Courier ce dégoût de l'histoire ; le dégoût deviendra de l'aversion quand il croira avoir vu la grande histoire de près et les héros à l'œuvre. Cela le mènera un jour à dire : « Il y a plus de vérités dans Rabelais que dans Mézeray ». Ou par variante : « Il y a plus de vérité dans Joconde que dans tout Mézeray ». Mais nous n'en sommes qu'à l'instinct, et pas encore à la boutade.
Dans cette même lettre à sa mère, il y a, sur la fin, un mot de sensibilité ; il regrette la vie tranquille et douce qu'il menait sous le toit domestique : « Babil de femmes, folies de jeunesse, s'écrie-t-il, qu'êtes-vous en comparaison ? Je puis dire ce qui en est, moi qui, connaissant l'un et l'autre, n'ai jamais regretté, dans mes moments de tristesse, que le sourire de mes parents, pour me servir des expressions d'un poète ». Il semble ici ne risquer sa sensibilité qu'à la faveur d'un ancien.
Courier a vingt et un ans ; il travaille, il s'occupe de ses lectures chéries, et il a aussi des moments d'entraînement vers les sociétés et les coteries, comme il les appelle. En ces veines de dissipation, il est très humilié de ne pas savoir danser, condition alors essentielle pour un jeune homme ; il reprend un maître de danse, ce qu'il a fait bien des fois avec un médiocre succès1 . Capitaine d'artillerie en juin 1795, il était au quartier général de l'armée devant Mayence, quand il apprit la mort de son père.
Il partit à l'instant sans congé, et sans prévenir personne, pour aller embrasser sa mère à La Véronique près Luynes, en Touraine. De tout temps nous lui verrons cette habitude d'indiscipline, et de partir volontiers sans congé. C'est ainsi qu'il fera finalement à la Grande Armée, à la veille de Wagram. Dans l'été de 1807, à Naples, avant eu ordre dé venir rejoindre son régiment à Vérone, il s'amusait, comme si de rien n'était, près de Portici, a traduire du Xénophon (sur la Cavalerie),
s'attardait en chemin à Rome, et n'arrivait à Vérone qu'à la fin de janvier (1808). On l'y attendait depuis près de six mois, et il fut mis aux arrêts en arrivant. Il raconte tout cela dans de petites notes fort piquantes et fort bien tournées qu'il entremêle à ses lettres. Il a l'air de s'en faire honneur : il n'y a pas de quoi ; ce n'est pas ainsi que servaient les soldats de Xénophon.
En résidence à Toulouse, en 1796, il se livre à la fois aux études et au monde. Un de ses camarades de ce temps, qui a donné depuis un récit, quelque peu arrangé, de ses souvenirs, nous le montre alors, grand, mince et maigre ; avec une bouche largement fendue, de grosses lèvres, un visage marqué de petite vérole, fort laid en un mot, mais d'une laideur animée et réparée par la gaieté et l'esprit de la physionomie ; se piquant de bonnes fortunes, amoureux d'une danseuse, mademoiselle Simonette,
et écrivant en grec ses dépenses secrètes sur son calepin. Il se lia fort pendant son séjour à Toulouse avec un Polonais, homme de mérite et d'érudition, M. Chlewaski. C'est à lui qu'il écrivait de Rome, le 8 janvier 1799, la première lettre (retouchée sans doute depuis) où son talent s'offre à nous dans tout son relief et toute sa grâce.
Courier, on l'a deviné déjà, n'a pas l'ardeur de la guerre, ni l'amour de son métier : homme de la Révolution et de la génération de 89, il en a tout naturellement les idées, mais non la ferveur ni la flamme ; il en aime les résultats et il les défendra un jour, mais il n'est pas de ceux qui les arrachent ni qui les conquièrent. Sa passion est ailleurs ; l'idéal de la Grèce, de bonne heure, lui a souri. Aussi, dans ces armées qui portent à travers l'Europe nos idées et des germes féconds jusqu'au sein du désordre,
il ne voit, lui, que le désordre même ; et, quand sa moderne patrie est aux prises avec l'antique, il n'hésite pas, c'est la patrie antique qu'il préfère et qu'il venge. Envoyé à Rome pendant l'occupation de 1799, témoin de cette émulation de rapines que le gouvernement du Directoire propageait partout dans les républiques formées à son image, il écrit à son ami Chlewaski qu'il a laissé à Toulouse :
« Dites à ceux qui veulent voir Rome qu'ils se hâtent, car chaque jour le fer du soldat et la serre des agents français flétrissent ses beautés naturelles et la dépouillent de sa parure... Les monuments de Rome ne sont guère mieux traités que le peuple.
La colonne Trajane est cependant à peu près telle que vous l'avez vue, et nos curieux, qui n'estiment que ce qu'on peut emporter et vendre, n'y font heureusement aucune attention2. D'ailleurs, les bas-reliefs dont elle est ornée sont hors de la portée du sabre,
et pourront par conséquent être conservés. Il n'en est pas de même des sculptures de la Villa Borghèse et de la Villa Pamphili, qui présentent de tous côtés des figures semblables au Deïphobe de Virgile3 . Je pleure encore un joli Hermès enfant que j'avais vu dans son entier, vêtu et encapuchonné d'une peau de lion, et portant sur son épaule une petite massue. C'était, comme vous voyez, un Cupidon dérobant les armes d'Hercule, morceau d'un travail exquis, et grec si je ne me trompe.
Il n'en reste que la base, sur laquelle j'ai écrit avec un crayon : Lugete, Veneres Cupidinesque, et les morceaux dispersés qui feraient mourir de douleur Mengs et Winckelmann, s'ils avaient eu le malheur de vivre assez longtemps pour voir ce spectacle.
Des soldats qui sont entrés dans la bibliothèque du Vatican, ont détruit, entre autres raretés, le fameux Térence du Bembo, manuscrit des plus estimés, pour avoir quelques dorures dont il était orné. Vénus de la Villa Borghèse a été blessée à la main par quelque descendant de Diomède, et l'Hermaphrodite (immane nefas !) a un pied brisé ».
Telle est cette gracieuse peinture qui ressemble si bien elle-même à un bas-relief antique, et qui nous montre que, si Courier avait été de l'expédition de Mummius à Corinthe, il eût certainement été de cœur pour les Corinthiens contre les Romains.
Les opinions, les sentiments de Courier à cette fin de la République et sous l'Empire, nous les savons maintenant, il vient de nous les dire, et il n'aura plus qu'à les varier et à les développer devant nous. Placé entre la République et le Consulat, ou entre le Consulat et l'Empire, il est pour Praxitèle. En écrivant à ce même M. Chlewaski qui lui avait demandé ce que c'était que le livre des Voyages d'Antenor, Courier répond que c'est une sotte imitation d'Anacharsis, c'est-à-dire d'un ouvrage médiocrement
écrit et médiocrement savant, soit dit entre nous :
« Je crois, ajoute-t-il, que tous les livres de ce genre, moitié histoire et moitié roman, où les mœurs modernes se trouvent mêlées avec les anciennes, font tort aux unes et aux autres, donnent de tout des idées fausses, et choquent également le goût et l'érudition. La science et l'éloquence sont peut-être incompatibles... »
Ici on saisit le témoignage net et hardi de ce goût pur qui ne transige pas, de ce goût exclusif comme tous les goûts très sincères et très sentis. Courier l'eut tel de bonne heure, et tel il le conserva toute sa vie, se souciant plutôt de l'aiguiser que de l'augmenter et de l'élargir. Lisant en 1812, à Frascati, les articles du docte et fin Boissonade dans le Journal de l'Empire, il lui écrivait :
« Courage, Monsieur ! venez au secours de notre pauvre langue, qui reçoit tous les jours tant d'outrages. mais je vous trouve trop circonspect ; fiez-vous à votre propre sens ; ne feignez point de dire en un besoin que tel bon écrivain a dit une sottise : surtout gardez-vous bien de croire que quelqu'un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV : la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que les Jean-Jacques, Diderot, d'Alembert, contemporains et postérieurs ;
ceux-ci sont tous ânes bâtés sous le rapport de la langue, pour user d'une de leurs phrases ; vous ne devez pas seulement savoir qu'ils aient existé. »
Courier, parmi ces écrivains du 18e siècle qu'il énumère, a grand soin d'oublier Voltaire, qui dérangerait sa théorie juste, mais excessive4 . En général, il ne faut prendre ces maximes, ces aphorismes littéraires de Courier que comme les saillies extrêmes d'un goût excellent ; c'est au jugement de chacun ensuite à les entendre sobrement et à les réduire.
Est-il besoin de dire qu'il ne faisait aucun cas de la littérature de son temps, ni de celle de l'Empire, ni, je le crains bien, de celle qui vint depuis ? Vers la fin, engagé dans le parti libéral, il a fait quelques politesses à ce qu'on appelait les jeunes talents ; mais, en réalité, il n'a jamais prisé les plus remarquables des littérateurs et des poètes de ce siècle, ni Chateaubriand, ni Lamartine, qu'il raille tous deux volontiers à la rencontre ; il leur était antipathique ;
c'était un pur Grec, et qui n'admettait pas tous les dialectes, un Attique ou un Toscan, au sens particulier du mot : « Notre siècle manque non pas de lecteurs, mais d'auteurs ; ce qui se peut dire de tous les autres arts ». C'était le fond de sa pensée. En voyant le grand acteur Talma, il goûtait médiocrement ce mélange d'énergie tragique et de naturel ; cela était trop shakespearien pour lui.
Cependant lui-même tâtonnait encore : il s'amusait assez insipidement à donner, d'après Isocrate, l'Éloge d'Hélène qu'il dédiait à madame Pipelet, depuis princesse de Salm. Ce qu'il y a de piquant en ces années, ce sont ses lettres avec tout le sel qu'il y a sous main répandu depuis. La lettre dans laquelle il raconte comment se fit à Plaisance la proclamation de l'Empire dans le régiment de d'Anthouard est célèbre : c'est la plus spirituelle parodie, la plus méprisante et la plus frondeuse,
et qui a dû être fort retravaillée à loisir. Envoyé en 1805 dans le royaume de Naples sous le général Gouvion-Saint-Cyr, Courier s'accoutume de plus en plus à prendre la guerre par le côté peu idéal et peu grandiose. Commandant d'artillerie, il ne croit pas à son métier ni à son art ; et quand il entrevoit, en s'arrêtant un moment dans une bibliothèque, l'occasion de publier et de traduire quelque ancien, il se moque encore de cette gloire-là ; mais il est évident, à la manière dont il en parle,
qu'il y croit plus qu'à l'autre. Et ici j'aborderai franchement l'objection avec Courier, et je ne craindrai pas de montrer en quoi je le trouve étroit, fermé, négatif et injuste.
Dans la Conversation chez la comtesse d'Albany, à Naples, (2 mars 1812), il agite cette question de savoir s'il y a un art de la guerre, s'il y a besoin de l'apprendre pour y réussir, s'il ne suffit pas qu'il y ait une bataille pour qu'il y ait toujours un grand général, puisqu'il faut bien qu'il y ait un vainqueur ; et il met dans la bouche du peintre Fabre sa propre opinion toute défavorable aux guerriers, tout à l'avantage des artistes, gens de Lettres et poètes.
Par un jugement aussi absolu, Courier fait fort, ce me semble, à son esprit, je ne dirai pas militaire, mais historique, et il montre qu'il n'a pas embrassé un ensemble. S'il avait voulu dire simplement qu'il y a bien du hasard à la guerre, que les réputations y sont souvent surfaites ou usurpées, que l'exécution des plans les mieux combinés dépend de mille accidents et de mille instruments qui peuvent les déjouer et les trahir, et que, dans l'art individuel du peintre et du poète,
avec toutes les difficultés qui s'y mêlent, il n'entre point de telles chances, il n'y aurait qu'à lui donner raison, et il n'aurait rien dit de bien neuf. Mais Courier va plus loin, il doute de l'art militaire même et du génie qui y a présenté dans la personne des plus grands capitaines ; il doute d'Annibal, il doute de Frédéric, il doute de Napoléon ; lui qui a l'honneur de servir sous Saint-Cyr et qui le reconnaît « le plus savant peut-être dans l'art de massacrer »,
il ne prend nul goût à s'instruire sous ce maître ; il a l'air de confondre Brune et Masséna ; la première campagne d'Italie pour lui n'est pas un chef-d'œuvre. Tranchons le mot : il y a un héroïsme et une géométrie qui s’entraident l'une l'autre, et qu'il n'entend pas.
La fortune le lui rend bien : voyez comme elle le punit de sa taquinerie et de son scepticisme. En cet âge de grandes choses, elle le fait assister aux petites ; elle le jette par deux fois dans le royaume de Naples, la seconde fois sous le général Reynier, médiocre ou malheureux ; il y voit une guerre de brigands toute décousue, tout atroce, toute bouffonne. La Calabre, c'était l'Espagne en abrégé dès 1806. Courier est là loin du centre, obéissant à des ordres souvent contradictoires,
sans chances d'avancement, en danger d'être pris et pendu, n'échappant qu'à force de présence d'esprit et parce qu'il parle bien l'italien, perdant ses chevaux, son domestique, sa valise et ses nippes, toutes choses dont il croit devoir nous détailler le compte (triste état de services !), et ne rencontrant pas une seule fois dans sa vie cette victoire en plein soleil qui fait croire à Leuctres et à Mantinée, et qui, même à ne voir que le classique, lui eût expliqué Épaminondas.
Courier, qui n'a vu de la guerre que ce côté désastreux et cette lisière délabrée, juge par là de tout le reste :
« C'est là néanmoins l'histoire, écrit-il au docte critique Sainte-Croix, l'histoire dépouillée de ses ornements. Voilà les canevas qu'ont brodés les Hérodote et les Thucydide. Pour moi, m'est avis que cet enchaînement de sottises et d'atrocités, qu'on appelle histoire, ne mérite guère l'attention d'un homme sensé. Plutarque, avec
… l'air d'homme sage,
Et cette large barbe au milieu du visage,
me fait pitié de prôner tous ces donneurs de batailles dont le mérite est d'avoir joint leurs noms aux événements qu'amenait le cours des choses. »
Il renouvelle en toute occasion, à cette heure splendide, ce blasphème contre l'histoire qu'il a trop vue du fond du cul-de-sac sanglant de la Calabre :
« Oui, Monsieur, écrivait-il à M. Silvestre de Sacy en octobre 1810, j'ai enfin quitté mon vilain métier, un peu tard, c'est mon regret. Je n'y ai pas pourtant perdu tout mon temps. J’ai vu des choses dont les livres parlent à tort et à travers. Plutarque à présent me fait crever de rire : je ne crois plus aux grands hommes. »
Et encore, sur Plutarque toujours, car il faut citer et peser ces paradoxes de Courier, qui sont désormais en circulation :
« Je corrige un Plutarque qu'on imprime à Paris (août 1809). C'est un plaisant historien, et bien peu connu de ceux qui ne le lisent pas en sa langue. Son mérite est tout dans le style ; il se moque des faits, et n'en prend que ce qui lui plaît, n'ayant souci que de paraître habile écrivain. Il ferait gagner à Pompée la bataille de Pharsale, si cela pouvait arrondir tant soit peu sa phrase. Il a raison.
Toutes ces sottises qu'on appelle histoire ne peuvent valoir quelque chose qu'avec les ornements du goût. »
Avec tout le respect que l'on doit à l'un des cinq ou six hommes en Europe qui savent le grec (Courier n'en comptait pas davantage, et il en était), je ne puis croire à une telle légèreté dans Plutarque. Quand on a fait la part du rhéteur et du prêtre d'Apollon en lui, il reste une bien plus large part encore, ce me semble, au collecteur attentif et consciencieux des moindres traditions sur les grands hommes, au peintre abondant et curieux de la nature humaine.
Mais avec Courier, il faut se faire à ces extrémités spirituelles d'expression qui ne sont que des figures de pensée ; et n'est-ce pas ainsi que, dans sa passion et presque sa religion du pur langage, il disait encore : « Les gens qui savent le grec sont cinq ou six en Europe : ceux qui savent le français sont en bien plus petit nombre !».
Il y a des moments pourtant où, voyant tant de choses réelles et mémorables se faire alentour, l'artiste en lui s'éveille et se dit : Je suis peintre aussi ! Mais, pour peindre, il en revient encore aux anciens ; il voudrait, comme André Chénier, traiter un sujet moderne dans le goût antique ; et pour cela il ne faut pas que le sujet soit trop considérable ni très compliqué.
Un morceau d'histoire, un épisode détaché, où l'on pourrait mettre la concision énergique d'un Salluste ou mieux la naïveté charmante d'un Xénophon, le tenterait bien. Dans ce royaume de Naples, où il campe et chevauche à l'aventure, il écrit un jour à Clavier (juin 1805) :
« Un morceau qui plairait, je crois, traité dans le goût antique, ce serait l'Expédition d'Égypte. Il y a là de quoi faire quelque chose comme le Jugurtha de Salluste, et mieux, en y joignant un peu de la variété d'Hérodote, à quoi le pays prêterait fort ; scène variée, événements divers, différentes nations, divers personnages ; celui qui commandait était encore un homme, il avait des compagnons ; et puis, notez ceci, un sujet limité, séparé de tout le reste ;
c'est un grand point selon les maîtres : peu de matière et beaucoup d'art. »
Peu de matière et beaucoup d'art, c'est là toute la devise et le secret du talent de Courier. Mais ici encore il est déjoué ; car cette Expédition d'Égypte, qui donc la traitera ? qui saura la raconter et la peindre ? Ce n'est pas vous qui y rêvez trop pour cela, qui pensez trop à Salluste ou à Hérodote, au lieu d'étudier la chose en elle-même. Le digne et simple historien de cette Expédition grandiose, ce sera encore tout naturellement celui qui l'a faite,
Bonaparte, dont c'est la dernière dictée publiée (1847).
Que Courier laisse donc l'histoire à laquelle il n'a pas confiance et qui est trop vaste pour lui ; mais l'art, mais la nature, mais le beau sous la forme classique et antique, voilà à quoi il excelle. Laissez-le en jouir à souhait et sans dessein ; il nous en rendra ensuite avec pureté et lumière quelque fragment de tableau. Au fond de la Calabre, à cette extrémité de la Grande Grèce, près de Tarente, en face de la Sicile qu'il convoite et qu'il voit là de l'autre côté du canal,
« comme de la terrasse des Tuileries vous voyez le faubourg Saint-Germain », il a des accents et des tons pleins de chaleur et de largeur :
« Quant à la beauté du pays, les villes n'ont rien de remarquable, pour moi du moins ; mais la campagne, je ne sais comment vous en donner une idée : cela ne ressemble à rien de ce que vous avez pu voir. Ne parlons pas de bois d'orangers et de haies de citronniers ; mais tant d'autres arbres et de plantes étrangères, que la vigueur du sol y fait naître en foule, ou bien les mêmes que chez nous, mais plus grandes, plus développées, donnent au paysage un tout autre aspect.
En voyant ces rochers, partout couronnés de myrte et d'aloès, et ces palmiers dans les vallées, vous vous croyez au bord du Gange ou sur le Nil, hors qu'il n'y a ni pyramides, ni éléphants ; mais les buffles en tiennent lieu et figurent fort bien parmi les végétaux africains, avec le teint des habitants qui n'est pas non plus de notre monde... Ce n'est pas sans raison qu'on a nommé ceci l'Inde de l'Italie. »
Il est devenu lui-même Italien ; après la langue grecque, il ne trouve rien à comparer à ces idiomes si riches et si suaves des diverses contrées de l'Italie. Il vit dans ces beaux lieux, il s'y naturalise, il s'y oublie ; et, dès qu'il a quitté son harnais, comme il dit, et laissé son vil métier, il retourne y vivre et y passer les dernières années de la sécurité et du loisir (1810 -1812). Athènes par delà l'appelle ; il y aspire comme le dévot musulman au pèlerinage de la Mecque ;
mais, en attendant, Rome et Naples, avec leurs monuments, leur ciel et leur petite société d'élite, lui suffisent, le possèdent et lui tiennent lieu de tout ; grands souvenirs, beautés naturelles, c'est pour lui tout ensemble « ce qu'il y a de mieux dans le rêve et dans la réalité »
Mais il faut dire quelque chose de la grande découverte de Courier en ces années, et de sa grosse querelle au sujet d'un pâté d'encre ; sans quoi, d'ailleurs, on ne devinerait pas assez ce qu'il était dès lors, assez vif à la brouille et à la querelle, et prompt à riposter dès qu'on le piquait. Étant à Florence, en 1809, il examina, à la bibliothèque de San-Lorenzo, un manuscrit grec des Amours de Daphnis et Chloé, qu'il reconnut plus complet que ce qu'on avait imprimé jusque-là.
Le premier livre de cette gracieuse Pastorale, si connue par la traduction d'Amyot, offrait une lacune que l'on supposait n'être que de quelques lignes, et qui se trouva être de six ou sept pages, à l'endroit d'une très jolie scène de bain, puis de dispute jalouse et de baiser. Certes, pour qui sait la disette actuelle et la difficulté de rien découvrir de vraiment nouveau dans ce champ presque épuisé de l'antiquité, c'était là une jolie trouvaille, et de quoi réjouir délicieusement une âme d'érudit.
La fortune traitait cette fois Courier avec faveur : elle lui faisait trouver chez un ancien ce qu'il aurait aimé à inventer lui-même. Courier se mit aussitôt à l'ouvrage, c'est-à-dire à copier le passage inédit et à le collationner. Mais il arriva que, pendant ce travail, une feuille de papier qu'il mit dans le manuscrit, étant tachée d'encre en dessous, couvrit et tacha une page de ce manuscrit précieux. C'était une grave étourderie, et aucun bibliothécaire ne l'eût bien prise :
ceux de Florence le prirent très mal, et supposèrent à la maladresse de Courier une intention de noirceur qu'il serait bien pénible de lui supposer. Il s'ensuivit des plaintes dans les journaux du lieu, des brochures ; l'orage grossit ; on se parlait de ce pâté à l'oreille, de Rome à Paris, dans ce grand silence, un moment pacifique, de l'Empire ; et Courier jugea à propos de répondre par une Lettre publique (1810) adressée à M. Renouard, libraire, qui était à Florence lors de l'événement.
Cette Lettre est célèbre : c'est, à vrai dire, le premier des pamphlets de Courier, et chacun put voir dès lors combien cette bouche qui savait si bien rire, savait mordre aussi. M. Renouard lui-même y attrapait son coup de dent au Post-scriptum, pour ne s'être pas assez vigoureusement prononcé.
Le fameux pâté se voit encore et se montre à Florence avec une attestation de la main de Courier, qui déclare l'avoir fait par étourderie. Des personnes, qui ont vu ces pièces, en ont emporté une impression qui est un peu autre, m'assure-t-on, que celle des lecteurs de la brochure ; les simples lecteurs, en effet, qui n'entendent qu'une des parties, ont peine à ne pas donner raison à Courier.
En traduisant dès lors le fragment inédit, en l'assortissant et en le joignant à la version d'Amyot qu'il publia après l'avoir corrigé en beaucoup de points (Florence, 1810), Courier entrait comme par occasion dans cet essai de style un peu vieilli, à la gauloise, qu'il s'appropriera désormais, qu'il appliquera à d'autres traductions et même à des sujets tout modernes, et qu'il fera plus tard servir à son personnage politique de paysan tourangeau.
Dès ce temps-là, il fallait regarder de bien près à la manière dont on s'y prenait avec Courier, de peur de le fâcher, même en le louant. M. Renouard, en écrivant sur ce fameux pâté, avait dit de Courier que c'était un helléniste fort habile. Helléniste, qu'est-ce que cela ? Courier se défendait fort de l'être :
« Si j'entends bien ce mot, qui, je vous l'avoue, m'est nouveau, vous dites un helléniste comme on dit un dentiste, un droguiste, un ébéniste, et, suivant cette analogie, un helléniste serait un homme qui étale du grec, qui en vit, qui en vend au public, aux libraires, au Gouvernement. Il y a loin de là à ce que je fais. Vous n'ignorez pas, Monsieur, que je m'occupe de ces études uniquement par goût, ou, pour mieux dire, par boutades et quand je n'ai point d'autre fantaisie ;
que je n'y attache nulle importance et n'en tire nul profit que jamais on n'a vu mon nom en tête d'aucun livre... »
On entrevoit ici non seulement l'indépendance et le caprice, mais un peu la prétention et le travers. C'est ainsi que plus tard Courier, en échouant aux élections de Chinon (1822), ne voulait pas qu'on dit qu'il avait été en concurrence avec le marquis d'Effiat ; il prétendait n'avoir été le concurrent de personne, n'avoir ni demandé ni sollicité d'être député, n'avoir été candidat en aucune sorte ; il est vrai qu'il aurait accepté si on l'avait élu.
Pure chicane de mots ! il n'était pas candidat ici, pas plus qu'il n'était helléniste là-bas.
Cette affaire du pâté, et les tracasseries qui s'ensuivirent, donnèrent dès lors à Courier une sorte de misanthropie, à laquelle il était assez naturellement disposé, et qui d'ailleurs n'altérait pas son humeur ; mais le mépris des hommes perce de plus en plus, à cette date, dans tout ce qu'il écrit :
« Les habiles, dit-il à ce propos, qui sont toujours en petit nombre et ne décident de rien... — Pour moi, écrivait-il au médecin helléniste Bosquillon, ces choses-là ne m'apprennent plus rien ; ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai lieu d'admirer la haute impertinence des jugements humains. Ma philosophie là-dessus est toute d'expérience. Il y a peu de gens, mais bien peu, dont je recherche le suffrage : encore m'en passerais-je au besoin.
— Je passe ici mon temps assez bien, écrivait-il encore de Rome à Clavier (octobre 1810), avec quelques amis et quelques livres. Je les prends comme je les trouve, car, si on était difficile, on ne lirait jamais, et on ne verrait personne. Il y a plaisir avec les livres, quand on n'en fait point, et avec des amis, tant qu'on n'a que faire d'eux. »
Il ne tiendrait qu'à moi de multiplier ces passages où se combinent à doses au moins égales la douceur et l'amertume. Ce que rêve Courier à cette date, ce n'est pas de noyer tout le genre humain, quoique détestable, mais de faire une arche de quelques personnes d'élite et d'y vivre entre soi. Il est impossible de découvrir en lui, à ce moment, celui qui bientôt dira au peuple qu'il est sensé et sage, et qu'un bon Gouvernement n'est qu'un cocher à qui tout le monde a le droit de dire :
Mène-moi là. Je ne prétends pas décider auquel des deux moments il eut le plus raison, mais je tiens à bien noter les deux moments dans sa vie. Vers la fin de l'Empire, il me semble voir en Courier un misanthrope studieux et délicat, un mécontent plein de grâce et parfois de bonne humeur, une espèce de Gray plus robuste et plus hardi, mais également distingué, fin et difficile5. Il a lui-même résumé sa disposition à la fois de découragement et de dilettantisme à la fin de l'Empire,
quand il écrivait à Bosquillon (novembre 1810) :
« Quant à moi, ôtez-vous de l'esprit que je songe à faire jamais rien. je crois, pour vous dire ma pensée, que ni moi ni autre aujourd'hui ne saurait faire œuvre qui dure ; non qu'il n'y ait d'excellents esprits, mais les grands sujets qui pourraient intéresser le public et animer un écrivain, lui sont interdits. Il n'est pas même sûr que le public s'intéresse à rien. Au vrai, je vois que la grande affaire de ce siècle-ci, c'est le débotté et le petit coucher. L'éloquence vit de passions ;
et quelles passions voulez-vous qu'il y ait chez un peuple de courtisans ? ... Contentons-nous, Monsieur, de lire et d'admirer les anciens du bon temps. Essayons au plus quelquefois d'en tracer de faibles copies. Si ce n'est rien pour la gloire, c'est assez pour l'amusement. On ne se fait pas un nom par là, mais on passe doucement la vie... »
En supposant que toutes les lettres qui portent la date de ces années aient été réellement écrites alors telles que nous les avons, il imitait, en effet, les anciens sans fatigue et avec un art adorable dans de petits sujets, soit qu'il adressât à sa cousine, madame Pigalle, du pied du Vésuve des contes dignes de Lucius et d'Apulée (1er novembre 1807), soit qu'aux bords du lac de Lucerne, du pied du Righi,
il envoyât à M. et à madame Thomassin (25 août et 12 octobre 1809) des idylles malicieuses et fraîches où il aime à montrer toujours, à côté des jeunes filles joueuses ou effrayées, le rire du Satyre6. Ce sont de petites scènes parlantes, achevées, faites pour être ciselées sur une coupe antique, sur une de ces coupes que Théocrite proposait en prix à ses bergers. Et là encore se vérifie le précepte favori de Courier : « Peu de
matière et beaucoup d'art ». À ces jolies bagatelles, travaillées comme une ode d'Horace, Courier donne un poli de style qui rappelle l'éclat du marbre de Paros.
Mais l'Empire, en tombant, allait ouvrir à Courier de nouveaux points de vue et une carrière. On peut dire qu'il n'avait embrassé ni senti à aucun instant l'esprit et le génie de cette grande époque ; le côté héroïque comme le côté social lui avait échappé ; il n'y avait vu partout que les excès et les désordres, les bassesses ou les ridicules. Allait-il mieux comprendre l'époque nouvelle qui succédait, et l'espèce de transaction qu'il eût convenu dès l'abord d'y ménager et d'y favoriser ?
Il comprit fortement du moins le principal des éléments qui devait y prévaloir et triompher. La passion, pour la première fois, se mêla avec suite dans sa vue pratique des choses ; son humeur d'ailleurs le rendait tout propre à l'opposition. Les mécontents et les déclassés d'un régime, quand ils sont aussi riches de fond que Courier, et aussi armés de talent, se trouvent tout préparés du premier jour pour le régime suivant.
Lundi 2 août 1852
ourier est rentré en France ; il voit ses amis les hellénistes ; un jour de douceur et de bonne humeur, il se dit, en se trouvant chez M. Clavier, et en jetant les yeux autour de lui : « Il me semble que tout ce que j'aime est ici » ; et il demande en mariage la fille aînée de son ami, laquelle était encore dans la première jeunesse. Madame Clavier, en mère avisée et qui prévoit, hésite ; on fait quelques réflexions, quelques objections ; mais Courier promet tout, d'être sage et bon sujet,
bien rangé et docile, de faire pour M. Clavier toutes les recherches qu'il voudra : « Je tâcherai d'être de l'Institut ; je ferai des visites et des démarches pour avoir des places comme ceux qui s'en soucient ». On consent, et le mariage se fait dans l'été de 1814. Courier avait quarante-deux ans. À peine marié et tout étonné de s'être lié, il part seul un matin, s'en va en Normandie, voit dans je ne sais quel port un vaisseau qui fait voile pour le Portugal, est tenté de s'y embarquer,
et s'en revient après cette première infidélité. On a ses lettres à sa femme dans les premiers temps de son mariage ; elles sont brusques et affectent même de l'être :
« Ton sermon me fait grand plaisir. Tu me prêches sur la nécessité de plaire aux gens que l'on voit, et de faire des frais pour cela ; et, comme s'il tenait qu'à moi, tu m'y engages fort sérieusement et le plus joliment du monde : tu ne peux rien dire qu'avec grâce. Mais je te répondrai, moi : Ne forçons point notre talent ; c'est La Fontaine qui l'a dit. Si Dieu m'a créé bourru, bourru je dois vivre et mourir... »
Les gens d'esprit sont souvent très singuliers ; ils croient connaître le cœur humain mieux que d'autres, et, parce qu'ils ont fait du grec avec le père et qu'ils ne sont pas tout à fait aussi vieux que lui, ils croient que c'est une raison pour être aimés de la fille, d'une toute jeune fille, et cela sans faire de frais, sans rien retrancher à leur humeur, à leur procédé rude, à leur extérieur inculte, et en se conduisant, dès le lendemain de leurs noces, comme de vieux maris.
Qu'on me pardonne cette seule observation sur le ménage de Courier ; mais le ton des lettres qu'on a publiées de lui à sa femme, autoriserait seul la remarque. Je passe, et j'en viens au ménage politique.
Courier commença à s'en mêler, non pas tout à fait, comme il le dit, le premier et seul au temps de 1815, mais à la fin de 1816. Il vivait en partie à la campagne ; il visitait ses propriétés en Touraine, et cherchait à y faire des acquisitions nouvelles. Il ne paraît point d'abord sous le charme ni des lieux, ni des gens ; les souvenirs d'enfance lui reviennent et lui font plaisir, mais le rêve passe vite et le positif l'occupe.
Après vingt ans d'absence ou de négligence, en rentrant dans l'héritage paternel, il a à défendre ses intérêts, à regagner ce qu'il a perdu par la mauvaise foi du paysan ; ses voisins ont empiété tant qu'ils ont pu sur lui et lui ont rogné ses terres ; ses fermiers le paient mal, ses marchands de bois ne le paient pas du tout ; il chicane, il menace, il montre qu'il n'est pas homme « à se laisser manger la laine sur le dos » ;
enfin, aux champs comme ailleurs, et plus qu'ailleurs, il retrouve la même espèce humaine qui obéit à ses intérêts, à ses cupidités, tant qu'elle peut et aussi longtemps qu'on la laisse faire. Il voit d'abord quelques gentilshommes du pays, et sans trop de répugnance, sans aucune du moins de leur côté. Courier, en ces années 1814 - 1815, jouissait de la meilleure réputation dans le monde royaliste de son pays ; on lui savait gré de n'avoir jamais donné dans l'Empire.
Il écrivait plaisamment à sa femme, de Tours où il était en janvier 1816, à propos d'un bal de la haute société : « Si tu t'étais trouvée ici, aurais-tu été assez pure ? Tu es de race un peu suspecte (à cause de M. Clavier, son père). On t'eût admise à cause de moi qui suis la pureté même ; car j'ai été pur dans un temps où tout était embrené ! ». Sérieusement, il n'était encore d'aucun parti à cette date de fureur presque universelle et d'incandescence.
Comment entra-t-il dans la politique ? Par le détail, par ce qu'il y a de plus particulier. Ce sont les petites choses qui l'ont décidé, les petites vexations locales, de voir des abus de pouvoir dans l'endroit, de voir un homme trop puni pour avoir manqué au curé, d'entendre ce curé défendre le cabaret aux paysans le dimanche, enfin des querelles de maire et de garde champêtre ; c'est ce qui le décida pour l'opposition ; et, une fois piqué au jeu, il y prend goût :
le talent, chez lui, qui cherchait jour et matière et qui s'ennuyait à ne point s'exercer, s'empare de ces riens et en fait à la fois des thèmes d'art achevés et de merveilleuses petites pièces de guerre.
Le premier pamphlet de Courier est sa Pétition aux deux Chambres, datée du 10 décembre 1816, et commençant en ces termes : « Je suis Tourangeau, j'habite Luynes sur la rive droite de la Loire, lieu autrefois considérable, que la révocation de l'Édit de Nantes a réduit à mille habitants, et que l'on va réduire à rien par de nouvelles persécutions, si votre prudence n'y met ordre... ».
Suit l'exposé des faits, la rencontre de Fouquet à cheval allant au moulin, et du curé avec le mort qu'on mène au cimetière, Fouquet refusant de céder le pas, d'ôter le chapeau, lâchant même un juron au passage, et, pour ce méfait, pris un matin par quatre gendarmes et conduit pieds nus et mains liées entre deux voleurs aux prisons de Langeais ; puis, quelques mois après, l'arrestation de douze personnes dans ce petit endroit de Luynes,
toutes enlevées nuitamment et jetées en prison pour propos séditieux ou conduite suspecte. C'était le moment de la réaction ultraroyaliste, et elle sévissait là comme ailleurs, s'emparant de quelques faits isolés qu'elle grossissait et exagérait. Courier, dans sa Pétition, exposait ces choses avec esprit, vivacité, une sorte de gaieté même de récit. Il y mêlait du pathétique, et il y a, tout au milieu, un vrai mouvement oratoire :
« Justice ! Équité ! Providence ! vains mots dont on nous abuse ! quelque part que je tourne les yeux, je ne vois que le crime triomphant et l'innocence opprimée... » ; ce qui, au point de vue de l'art, sent un peu trop l'avocat, le Cicéron ou le Gerbier qui plaide. Il se voit quelques disparates dans ce premier pamphlet de Courier, un peu de mélange encore de ce style qui veut être tout simple, abrupt et d'un rustique raffiné, avec la phrase réputée élégante et harmonieuse.
Parlant de cette paix que la province de Touraine avait conservée de tout temps au milieu des troubles de la France, il dira : « Mais alors, de tant de fléaux nous ne ressentions que le bruit, calmes au milieu des tourmentes, comme ces oasis entourés des sables mouvants du désert ».
Cette première Pétition eut du succès, mais elle n'engageait point encore Courier décidément dans l'opposition. Un crachement de sang, un voyage aux eaux, la mort de son beau-père, M. Clavier, l'occupèrent durant l'année 1817. En même temps, il s'établissait plus régulièrement à la campagne par l'achat de sa maison de La Chavonnière, à Véretz près de Tours. Là, il eut affaire à son maire, avec qui son garde était mal, et il entra dans les procès et les tracasseries pour n'en plus sortir.
On lui coupait des chênes dans ses bois ; son garde portait plainte et dressait procès-verbal, mais le maire n'en tenait compte. Courier fit un Placet au ministre, de ce ton qui semble toujours dire : Je m'en moque ! Étant à Paris au commencement de 1819, il vit M. Decazes qui lui promit justice : « Quand on saura à Tours, écrivait-il à sa femme, que nous avons à Paris des gens qui pensent à nous, on nous laissera tranquilles... Je vois qu'on se fait ici un honneur et une gloire de me protéger ».
Il y eut là un moment d'indécision pour Courier et qui tint à peu de chose ; on cherchait à le rallier, il n'était pas encore irréconciliable. Sa Lettre à l'Académie gâta tout.
En effet, il s'était mis sur les rangs pour succéder à son beau-père, M. Clavier, à l'Académie des Inscriptions. Il y avait trois places vacantes ; l'Académie, après avoir remis les élections à six mois, ne nomma point Courier. Il en fut outré, et, pour se venger, il publia sa Lettre à Messieurs de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, datée du 20 mars 1819. Relue aujourd'hui, cette Lettre paraîtra beaucoup moins piquante qu'on ne la trouva au moment même.
Et tout d'abord le procédé est choquant. Car de ce qu'un homme de mérite se présente aux suffrages d'une Compagnie savante et n'est point reçu une première fois, est-ce une raison à lui de saisir aussitôt la plume, d'écrire contre cette Académie, contre les membres qui en font partie et dont quelques-uns, comme les Silvestre de Sacy et les Quatremère de Quincy, sont illustres ? Est-ce de bon goût de dénigrer les hommes très inférieurs, je l'accorde, et même très indignes, qui vous ont été préférés ?
Est-ce d'une galante manière de venir les appeler tout uniment des ânes et de s'écrier : « Ce qui me fâche le plus, c'est que je vois s'accomplir cette prédiction que me fit autrefois mon père : Tu ne seras jamais rien... Tu ne seras jamais rien, c'est-à-dire tu ne seras ni gendarme, ni rat de cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien ». Deux ou trois savants hasardés sont restés marqués au front de ces flétrissures brûlantes de Courier,
mais lui-même s'est trouvé marqué aussi et atteint pour avoir cédé si complaisamment à sa colère. Il était évident que chez lui l'esprit était plus délicat que le reste.
Le pas était franchi, il n'y avait plus à douter que l'humeur de Courier déciderait toujours de sa conduite, et que son plaisir d'écrire l'emporterait sur son désir de vivre en repos. Il adressa en ce temps une suite de lettres au journal le Censeur (juillet 1819 - avril 1820). Ces lettres nous donnent toute la théorie politique de Courier. Dans cette formation du parti libéral où il entrait alors tant d'éléments divers,
Courier reste ce qu'il était de tout temps, le plus anti-bonapartiste possible, ennemi des grands gouvernants, se faisant l'avocat du paysan, l'homme de la commune, prêchant l'économie, parlant contre la manie des places, voulant de gouvernement le moins possible, faisant des sorties contre la Cour et les gens de Cour toutes les fois qu'il y a lieu, méconnaissant ce qu'il y a eu de grand, d'utile, de nécessaire dans l'établissement des Louis XIV,
des Richelieu, des grands directeurs de nations, disant en propres termes, pour son dernier mot et son idéal : « La nation enfin ferait marcher le Gouvernement comme un cocher qu'on paie, et qui doit nous mener, non où il veut, ni comme il veut, mais où nous prétendons aller, et par le chemin qui nous convient » ; disant encore, et cette fois plus sensément : « Il y a chez nous une classe moins élevée (que les courtisans), quoique mieux élevée, qui ne meurt pour personne,
et qui, sans dévouement, fait tout ce qui se fait, bâtit, cultive, fabrique autant qu'il est permis, lit, médite, calcule, invente, perfectionne les arts, sait tout ce qu'on sait à présent, et sait aussi se battre, si se battre est une science ». Pourtant il oublie trop que Georges le laboureur, André le vigneron, Jacques le bonhomme (comme il les appelle) n'ont rien qui les élève et les moralise, qui les détache de ces intérêts privés auxquels ils sont tous acharnés et assujettis ;
qu'à un moment donné, s'il faut un effort, un dévouement, une raison supérieure d'agir, ils ne la trouveront pas, et qu'à telles gens il faut une religion politique, un souvenir ou une espérance qui soit comme l'âme de la nation, quelque chose qui, sous Henri IV, s'appelait le Roi, qui plus tard s'appellera l'Empereur, qui, dans l'avenir, sera je ne sais quel nom : sans quoi, à l'heure du péril, l'esprit d'union et d'unité, le mot d'ordre fera faute et la masse ne se soulèvera pas.
Courier ne sent point le besoin de ces moyens qui sont pourtant à l'usage des hommes et surtout des Français. Lui, il indique en plus d'un endroit son idéal, son prince favori qu'il discerne déjà et qu'il désigne pour ses qualités honnêtes, bourgeoises, non courtisanesques, pour son économie surtout, et qui n'est autre que le duc d'Orléans d'alors (Louis-Philippe) : « Je voudrais qu'il fût maire de la Commune ; j'entends s'il se pouvait (hypothèse toute pure) sans déplacer personne ;
je hais les destitutions ». Il le signale en toute rencontre pour le prince de son choix, et à tel point que, s'il avait vécu, il eût été bien embarrassé ensuite pour faire autre chose que de battre des mains, tant il s'était lié à l'avance par ses éloges.
Ne demandons point à Courier une théorie politique constitutionnelle un peu élevée et compliquée, qui concilie jusqu'à un certain point les souvenirs anciens avec les intérêts nouveaux, et qui cherche à donner un point d'appui social à toutes les gloires. Les gloires, qu'en fera-t-on ? il n'y voit qu'une nouvelle noblesse de Cour qui est prête à singer l'ancienne. Et les souvenirs ? il les craint comme des privilèges, comme des droits féodaux non encore éteints et toujours prêts à renaître.
Il y avait alors dans le pays une bande noire qui achetait les grandes terres et les vieux châteaux, qui démolissait les uns et morcelait les autres. Les antiquaires, les artistes, les poètes la maudissaient et la chargeaient d'exécration : lui, il l'absout et peu s'en faut qu'il ne la bénisse : car cette bande noire qui brise et pulvérise la terre, en met les morceaux à la portée d'un chacun, et, en faisant des propriétaires, elle fait, selon lui, d'honnêtes gens,
c'est-à-dire des gens intéressés à l'ordre, à la paix, à la justice. Je ne prétends pas que ce point de vue n'ait point été alors le plus utile et le plus essentiel : on remarquera seulement combien Courier y donne exclusivement et sans y apporter aucun correctif, aucune réserve.
Le Simple discours de Paul-Louis, vigneron de La Chavonnière, aux membres du Conseil de la Commune de Véretz, à l'occasion d'une Souscription proposée par S. E. le Ministre de l'intérieur pour l'acquisition de Chambord (1821) est sorti de cette pensée, et c'est peut-être le chef-d'œuvre de son auteur. Du moment qu'on admet la branche aînée régnante, le duc de Bordeaux naissant comme par miracle pour la continuer, et l'immense joie qui dut s'en répandre parmi ce qui restait de sujets fidèles,
il est tout simple qu'il se soit rencontré quelqu'un, ou fidèle ou zélé, pour avoir l'idée de cette souscription de Chambord ; mais Courier ne croit point à la branche aînée ; il a déjà la branche cadette en vue comme plus à sa portée et à son usage ; il n'aime point les vieux châteaux, soit gothiques, soit de Renaissance ; et lui qui s'affligeait à Rome pour une Vénus ou un Cupidon brisé, il ferait bon marché en France de l'œuvre du Primatice.
Ce sont là les contradictions qui savent très bien se loger, même dans d'excellents cerveaux. Il se fait donc, et ici bien sincèrement, je le crois, aussi paysan et aussi manant que possible, et, son parti une fois pris, il va le défendre vertement et joliment, dans une langue polie, courte, sans article, saccadée et scandée, alerte et pénétrante. Qu'il y ait autre chose que du bon sens rural et de l'économie de contribuable, qu'il y ait du venin dans la brochure, il n'y a pas moyen d'en douter.
Qu'est-ce que cet exemple si complaisamment étalé du duc de Chartres envoyé au collège par son père, et qui est mis là en parallèle ou plutôt en compétition avec l'héritier du trône ? À cette éducation de collège, toute morale, toute vertueuse, il oppose les enseignements muets de Chambord, les chiffres d'une Diane de Poitiers, d'une comtesse de Châteaubriant : « Quelles instructions, s'écrie-t-il, pour un adolescent destiné à régner !
Ici, Louis, le modèle des rois, vivait (c'est le mot à la Cour) avec la femme Montespan, avec la fille La Vallière, avec toutes les femmes et les filles que son bon plaisir fut d'ôter à leurs maris, à leurs parents ». Un autre passage célèbre est celui qui commence ainsi : « Car imaginez ce que c'est. La Cour... il n'y a ici ni femmes ni enfants, écoutez : la Cour est un lieu, etc. ». C'est comme lorsque, dans un de ses derniers pamphlets, il nous peindra le confessionnal :
« Confesser une femme, imaginez ce que c'est. Tout au fond de l'église, une espèce d'armoire, etc. » Quand Courier a parlé ainsi de la confession, il voulait faire un tableau ; il se souvenait des prêtres d'Italie, et il connaissait peu ceux de France ; il avait toujours présents Daphnis et Chloé, et (religion même à part) il oubliait moralement les vertus et le voile spirituel que la foi fait descendre à certaines heures, et qui s'interposent jusque dans les choses naturelles.
Pour ce qui est de la Cour, toutes les fois qu'il a eu à en parler, il a fait aussi son tableau, un même tableau hideux, d'une seule couleur, gravé et noirci avec soin, sans compensation et sans nuance. C'est ainsi qu'ayant lu les Mémoires de Madame, mère du Régent, il dira (1822) : « On voit bien là ce que c'est que la Cour ; il n'y est question que d'empoisonnement, de débauche de toute espèce, de prostitution : ils vivaient vraiment pêle-mêle ».
Ce n'est certes pas moi qui défendrai la Cour, mais on a droit de dire à Courier : Élargissez votre vue, voyez l'homme indépendamment des classes, reconnaissez-le partout le même, sous les formes polies ou grossières. Aux champs où vous habitez et où vous êtes en guerre avec vos voisins, que voyez-vous ? Rappelez-vous La Fontaine et ces gens du bourg dont il a dit :
« O gens durs, vous n'ouvrez vos logis ni vos cœurs ! »
Voyez ce qui se passe autour de vous dans vos métairies, dans vos bois ou sous vos toits, et apprenez à mieux parler et plus décemment, sinon de Louis XIV, du moins de madame de La Vallière.
Mais l'artiste était satisfait chez Courier, c'était assez. Il arrivait à la renommée, à la popularité, et il en jouissait, tout misanthrope qu'il avait été jusque-là, avec une fraîcheur première. Ce Simple discours fut incriminé : « Sachez, avait-il dit, qu'il n'y a pas en France une seule famille noble, mais je dis noble de race et d'antique origine, qui ne doive sa fortune aux femmes : vous m'entendez ». C'était là une impertinence historique,
et qui parut attentatoire à tout l'ordre de la monarchie. Cependant Courier écrivait de Paris à sa femme (juin 1821) : « Je ne sais encore si je serai mis en jugement. Cela sera décidé demain... Je suis bien sûr de n'avoir point de tort. J'ai le public pour moi, et c'est ce que je voulais. On m'approuve généralement, et ceux même qui blâment la chose en elle-même conviennent de la beauté de l'exécution ». Deux personnes de bord différent (dont une était M. Étienne) lui ont dit
« que cette pièce est ce qu'on a fait de mieux depuis la Révolution. Ainsi, ajoute-t-il, j'ai atteint le but que je me proposais, qui était d'emporter le prix. Plus on me persécutera, plus j'aurai l'estime publique ».
Pendant ce procès où il eut M. Berville pour avocat, il logeait, rue d'Enfer, chez M. Victor Cousin qui lui donnait l'hospitalité et dont l'appartement avait vue sur les jardins du Luxembourg. Il travaillait à une dernière édition de son Longus, qu'il n'acheva que pendant sa prison, et qui parut avec ce petit post-scriptum et cette apostille épigrammatique à la dernière page : « Paul-Louis Courier est entré en prison à Sainte-Pélagie le 10 octobre, et en est sorti le 9 décembre 1821 ».
Il gravait sa vengeance, comme d'autres leurs amours, jusque sur l'écorce d'un hêtre. Il avait mis en tête du volume la Lettre à M. Renouard sur le pâté d'encre de Florence, et il en disait sous les verrous : « J'ai heureusement donné quelques touches imperceptibles à ma Lettre à Renouard, qui, sans y rien changer, raniment quelques endroits, mettent des liaisons qui manquaient. Je suis assez content de cela ».
Voilà bien l'écrivain dans l'homme politique, le littérateur que son soin curieux n'abandonne jamais. Toujours le style te démange, a dit le vieux Joachim Du Bellay.
Avant de se constituer prisonnier et aussitôt après son jugement, Courier n'avait pas manqué d'écrire l'histoire de son procès, en y joignant le discours qu'il aurait voulu prononcer pour sa défense ; il appelait cela son Jean de Broë, du nom de l'avocat général qu'il y tournait en ridicule : « Ma brochure a un succès fou, écrivait-il à sa femme ; tu ne peux pas imaginer cela ; c'est de l'admiration, de l'enthousiasme.
Quelques personnes voudraient que je fusse député et y travaillent de tout leur pouvoir ». Son bon sens pourtant lui disait qu'il ne convenait à aucun parti, et on lui doit cette justice qu'il craignait de s'engager dans aucune cabale. À peine établi à Sainte-Pélagie, il y reçut visites et félicitations, plus qu'il n'en voulait : « Tout le monde est pour moi, écrivait-il à sa femme avec une sorte d'épanouissement ; je peux dire que je suis bien avec le public.
L'homme qui fait de jolies chansons (Béranger) disait l'autre jour : À la place de M. Courier, je ne donnerais pas ces deux mois de prison pour cent mille francs ». — C'était l'âge d'or de l'incarcération politique. O trompeuses douceurs !
Cependant Courier, une fois sorti de prison et rendu aux champs, jure qu'on ne l'y prendra plus. Ce serment, comme celui de tous les gens possédés d'un démon, faillit être vain, et sa jolie Pétition à la Chambre des Députés pour des Villageois que l'on empêche de danser (juillet 1822) lui valut un nouveau procès : il en fut quitte pour la saisie de l'ouvrage. Depuis ce jour, averti par le danger, il n'imprima plus en son nom, mais il laissait tomber dans la rue ses ouvrages manuscrits,
que le premier venu ramassait, disait-il ; et ils s'imprimaient d'eux-mêmes. Toutefois, il s'arrangeait pour en corriger avec grand soin les épreuves. Il travaillait si bien et si fortement sa prose, qu'il en débitait de mémoire des fragments à ses amis, très avides de telle nouveauté.
En lisant cette prose de Courier si méditée et si savante, on est tenté d'en étudier le secret. Pour moi, je crois qu'il ne faut pas se l'exagérer. Courier a le sentiment du style antique et grec, et, de plus, il possède bien son seizième siècle par Amyot, par Montaigne et par d'autres encore ; il a lu particulièrement les vieux conteurs. Son style est un combiné de tous ces styles ; c'est de l'Amyot plus court, plus bref et plus aiguisé ; c'est du Montaigne moins éclatant et plus assoupli.
Un lecteur attentif de Courier me fait remarquer combien il y a de vers tout faits mêlés à sa prose, par exemple dès les premières lignes du Discours sur Chambord :
Nos chemins réparés, nos pauvres soulagés...
Notre église d'abord, car Dieu passe avant tout...
De notre superflu, lorsque nous en aurons...
Mais d'acheter Chambord pour le duc de Bordeaux,
Je n'en suis pas d'avis et ne le voudrais pas...
Et en tournant le feuillet :
Mais quoi ! Je vous le dis : ce sont les gens de cour,
Dont l'imaginative enfante chaque jour
Ces merveilleux conseils...
Cette observation, que je dois à l'un de mes lecteurs, est très vraie, et j'avais noté moi-même, chemin faisant, des vers qui sont tout poétiques :
J'abandonnai des lieux si chers à mon enfance.
(Pétition pour les Villageois)
Il s'abreuve, imprudent ! du poison de ses yeux.
(Deuxième réponse aux Anonymes)
J'en conclus seulement que Courier n'évitait pas les vers quand ils se présentaient dans sa prose, et qu'il les recherchait plutôt ; cela lui rendait le style plus alerte et plus sautant : il aimait mieux, en écrivant, le pas des tirailleurs de Vincennes, que la marche plus uniforme et plus suivie de la ligne, — de la phrase française ordinaire. À la longue pourtant, cette série de petites phrases si prestes fatigue un peu ;
elles rentrent dans le même moule, et la plus grande preuve que Courier a une manière, c'est qu'il n'a pas été très difficile et de faire de lui des pastiches qui ont trompé l'œil.
Dans sa Pétition pour des Villageois, qui est une pièce des plus achevées, il se pose tout à fait en vieux soldat laboureur, devenu bûcheron et vigneron, ami de la vieille gloire nationale ; et, quand ce jeune curé d'Azai ou de Fondettes, sorti du séminaire de Tours où il a été élevé par un frère Picpus, interdit la danse sur la place de l'endroit, Courier s'écrie : « Ainsi, l'horreur de ces jeunes gens pour le plus simple amusement,
leur vient du triste Picpus, qui lui-même tient d'ailleurs sa morale farouche. Voilà comme en remontant dans les causes secondes on arrive à Dieu, cause de tout. Dieu nous livre au Picpus. Ta volonté, Seigneur, soit faite en toute chose ! Mais qui l'eût dit à Austerlitz ! ». Et s'emparant des bruits de guerre qui circulaient alors (1822), il finit par une image belliqueuse, et se demande « s'il est temps d'obéir aux moines et d'apprendre des oraisons,
lorsqu'on nous couche en joue de près, à bout touchant, lorsqu'autour de nous toute l'Europe en armes fait l'exercice à feu, ses canons en batterie et la mèche allumée ».
Certes, voilà Paul-Louis plus belliqueux et plus grognard qu'il ne l'a jamais été quand il y avait le plus lieu de l'être. C'est ainsi qu'il se pose, dans sa Défense devant l'avocat général Broë, comme étant du peuple et soldat : « Mais je suis du peuple ; je ne suis pas des hautes classes, quoi que vous en disiez, Monsieur le Président ; j'ignore leur langage et n'ai pas pu l'apprendre. Soldat pendant longtemps, aujourd'hui paysan, n'ayant vu que les camps et les champs... ».
Il dira un peu plus loin dans cette même Défense : « Foi de paysan ! » et, en tournant la page, vous le voyez se vantant de passer sa vie à lire Aristote, Plutarque, Montaigne, etc. Cette légère incohérence du rôle, et que toute l'habileté du jeu ne saurait couvrir, se retrouve un peu dans l'expression même, qui reste sensiblement artificielle et sans une complète fusion ; style de campagnard manié par un docte. Il s'en tire à merveille durant une page, mais à la longue cela s'aperçoit ;
durant tout un livre, ce serait intolérable.
Il le sentait bien au reste ; dans son Pamphlet des Pamphlets il a fait sa théorie tout à sa portée et à son usage ; mesurant la carrière à son haleine, il a posé en principe qu'il fallait faire court pour faire bien : « La moindre lettre de Pascal, dit-il, était plus malaisée à faire que toute l'Encyclopédie... Il n'y a point de bonne pensée qu'on ne puisse expliquer en une feuille, et développer assez ; qui s'étend davantage, souvent ne s'entend guère, ou manque de loisir,
comme dit l'autre, pour méditer et faire court ». Il a tracé là l'idéal de sa manière, et en se mettant à côté de Pascal, Franklin, Cicéron, Démosthène, tous faiseurs de pamphlets selon lui, il croyait, en définitive, ne prendre que sa place : elle me semble, ne lui en déplaise, un peu au-dessous. Et ne dites pas que c'est assez s'il est le Franklin de notre pays : il y a dans Franklin, avec peu de souci d'art, une bien autre sève abondante et saine de bon sens utile et sans âcreté.
J'ai quelquefois pensé qu'à cette époque où Courier se servait de ces instruments et de ces prétextes rustiques pour en faire des malices exquises aux gens d'en haut, il y avait en France un autre vrai laboureur et vieux soldat, que je ne donne pas comme un modèle d'atticisme, et qui aurait peu, je crois, goûté Longus, mais qui voulait sans rire l'amélioration du labour et de la terre, et le bien-être du laboureur en lui-même.
Le colonel Bugeaud, pendant ces années, pratiquait sincèrement l'agriculture ; vaillant soldat pour qui le nom d'Austerlitz n'était en rien une métaphore. Il tenait la charrue tout de bon, et il en devait sortir ce qu'on l'a vu, rude, plus aguerri encore et endurci, mais avec ces qualités supérieures qui ont forcé la destinée, et qui valu la gloire à sa vigoureuse vieillesse.
J’ai quelquefois rêvé à un Dialogue des morts entre Paul-Louis Courier et le maréchal Bugeaud, et, en même temps qu’ils seraient d’accord sur plus d’un point, le dernier dirait à l’autre en style moins poli quelques vérités franches.
J'ai imaginé aussi (car c'est mon plaisir d'opposer ces noms à la fois voisins et contraires), j'ai plus d'une fois, dans le courant de ce travail, imaginé à Paul-Louis Courier un interlocuteur et un contradicteur plus savant et non moins fait pour lui tenir tête, dans la personne de l'illustre et respectable Quatremère de Quincy, cette haute intelligence qui possédait si bien le génie de l’antiquité, mais qui résistait absolument aux révolutions modernes.
Dans le dialogue original et vif qu'on supposerait de l'un à l'autre, ils ne seraient d'accord que sur le Jupiter Olympien et contre Napoléon; tous deux hommes d'humeur et ne voyant qu'un côté des choses; mais Quatremère de Quincy plus élevé, et, au nom même de l'art antique et de la religion du goût, faisant honte à Courier de sa popularité politique, de mettre ainsi un talent d'Athénien au service des gens de la Minerve,
et d'avoir pu dire sérieusement, dans une lettre adressée au Drapeau blanc : « Le peuple m'aime; et savez-vous, Monsieur, ce que vaut cette amitié ? il n'y en a point de plus glorieuse; c'est de cela qu'on flatte les rois. » On croit entendre l'éclat de voix du vieux Quatremère tonnant contre ces fausses et flagorneuses banalités.
Courier, en vieillissant, et par disette de sujets, serait sans doute revenu à de pures applications d'art ; il nourrissait un grand projet sur Hérodote, et il en a donné un essai de traduction très-remarqué. Selon lui, l'antiquité jusqu'ici nous a toujours été présentée plus ou moins masquée ; une copie de l'antique, en quelque genre que ce soit, est encore à faire ; la langue de Cour, la langue d'Académie s'est mêlée à tout et a tout gâté.
Pour traduire Hérodote, il faut unir certaines qualités de science et de simplicité : « Un homme séparé des hautes classes, dit-il, un homme du peuple, un paysan sachant le grec et le français, y pourra réussir si la chose est faisable ; c'est ce qui m'a décidé à entreprendre ceci où j'emploie, comme on va voir, non la langue courtisanesque, pour user de ce mot italien, mais celle des gens avec qui je travaille à mes champs, laquelle se trouve quasi toute dans La Fontaine. ».
Il y a pourtant cette différence entre la prose de Courier et la poésie de La Fontaine, que celle-ci paraît couler sans effort et sans que le bonhomme s'avertisse à tout moment qu'il est bonhomme, tandis que Courier s'avertit trop souvent qu'il est paysan et prend garde à l'être. Quant à savoir s'il a réussi à bien traduire son auteur, je le laisse à de plus doctes et ne dirai que mon impression. Sa traduction peut paraître très exacte, et fidèlement calquée sur l'original,
mais par cela même que c'est si exact, et en ce style vieilli après coup, il s'y répand et il y règne un air de parodie. Est-ce l'effet que doit faire la fidèle traduction d'un ancien ? La tentative de Courier a laissé indécise la question qu’il s'était posée.
Dans un de ces petits Livrets que Courier laissait tomber de sa poche vers 1823, et qui sont comme ses Guêpes (une méchante et trop facile littérature), il se faisait dire par un homme de sa connaissance, qu’il rencontrait au Palais-Royal : « Prends garde, Paul-Louis, prends garde ! les cagots te feront assassiner. » — Quelle dut être l'impression première, lorsqu'on apprit tout à coup à Paris que Courier avait été trouvé assassiné, en Touraine, dans son bois de Larçay !
L'assassinat avait dû avoir lieu dans l'après-midi du dimanche, 10 avril 1825, une demi-heure environ avant le coucher du soleil : un fort coup de fusil avait été entendu par plusieurs personnes à distance. Le magistrat qui releva le corps de Courier (M. Valmy Bouïc, alors substitut au tribunal de Tours), en constatant qu'il était percé de plusieurs balles, retira une partie de la bourre qui était restée dans les blessures ;
ce papier, développé et examiné, se trouva être le morceau d'un journal que recevait Courier. L'assassinat était domestique. Madame Courier, absente et à Paris au moment de l'assassinat, soupçonna à l'instant et désigna Frémont, le garde même de son mari. Mais Frémont, mis en jugement, fut acquitté à l'unanimité par le jury devant la Cour d'assises de Tours, le 3 septembre 1825. Un grand doute régnait toujours sur cette fin tragique et laissait place à toutes les conjectures.
Ce ne fut qu'au mois de juin 1830 que le mystère cessa, et qu'il dut être clair pour tous que cette mort n'était point un coup de parti ni une vengeance politique, mais quelque chose de plus simple et de plus commun, le guet-apens et le complot de domestiques grossiers, irrités et cupides, voulant en finir avec un maître dur et de caractère difficile. Cette reprise du procès, avec la solution finale, n'étant pas aussi connue que le reste, je résumerai les points incontestables.
Le meurtre de Courier exécuté par son propre garde Frémont, assisté, encouragé et peut-être contraint par deux ou trois autres domestiques ou charretiers de Courier, par deux surtout , lesquels avaient plus d'intérêts à sa mort que le garde, avait eu un témoin innocent et resté inconnu. Une bergère du lieu, la fille Grivault, revenant avec un jeune homme d’une assemblée de dimanche, s'était trouvée dans le bois sous la feuillée, au moment du coup ; elle avait tout vu et n'avait rien dit.
Mais, cinq années après, comme elle passait à cheval près du lieu funeste qu'elle évitait d'ordinaire et où un monument avait été élevé, le cheval eut peur, fit un écart et faillit la renverser. En rentrant chez son maître, elle dit : « Mon cheval a eu grand'peur ; il a eu aussi grand'peur que moi quand on a tué M. Courier. » Ce premier mot échappé sans dessein en amena d’autres, et la justice obtint de cette fille une révélation entière.
L'embarras était que le jeune homme qu'elle désignait pour avoir été avec elle dans le bois et qui avait tout vu comme elle, marié depuis, niait tout et ne voulait reconnaître en rien sa bergère de ce temps-là.
Pourtant la déposition de la fille Grivault était trop nette, trop circonstanciée, trop naïve, pour qu'on en pût douter. Le garde Frémont alors fut rappelé, non plus comme accusé (il était couvert par sa précédente absolution), mais comme témoin. Il avait vieilli en peu d'années ; il avait remords d'avoir tué son maître qui avait plus de confiance en lui qu'en tout autre, et d'avoir cédé à des suggestions, peut-être à des menaces, dans l'exécution du meurtre.
Il comparut devant la justice, il s'y traîna, n'avouant d'abord qu'à demi ; mais bientôt, pressé par les magistrats et par sa conscience, sa déposition se rapprocha de plus en plus de celle de 1a fille Grivault, au point de n'en plus différer que sur des circonstances très secondaires. Frémont chargeait alors directement les deux frères Dubois, anciens charretiers de M. Courier, et dont l'un était déjà mort au moment de ce second procès ;
il les accusait de l’avoir poussé à l'acte, de l'y avoir conduit et d'avoir fait de lui leur instrument, eux présents sur les lieux et lui forçant la main ; il prétendait prouver qu'ils avaient à cette mort plus d'intérêt que lui. Cette dernière partie de la déposition de Frémont, devenu à son tour accusateur, ne fut point admise, et celui des frères Dubois qui survivait fut acquitté par le jury à égalité de voix (14 juin 1830).
Frémont, épuisé d'une si longue lutte et assiégé de terreurs, sortit de l'audience en chancelant. Quatre jours après (18 juin), il mourut d'apoplexie sous le coup de son effroi et de ses remords. Ainsi, dans ces bois si célébrés par Courier en ses Pamphlets et Gazettes villageoises, et dont il faisait un asile de bonnes gens, il y avait place, sous forme grossière, pour les Euménides.
Courier, quelle que soit l'idée qu'on se fasse de sa personne morale et de ses qualités sociales, restera dans la littérature française comme un type d'écrivain unique et rare. Il était de ces individus distingués à qui il a été donné d'arriver à la perfection dans leur genre et de mettre le fini à leur nature : ils ont fait peu, mais ce peu est parfait et terminé. Les vrais amateurs, aujourd'hui, et désormais, je le pense, aimeront mieux Courier dans ses Lettres que dans ses Pamphlets ;
je le goûte plus, pour mon compte, quand il est de la famille de Brunck ou d'Horace que quand il veut se rattacher à celle de Swift ou de Franklin. N'oublions jamais toutefois que c'est par ce dernier côté qu'il a eu prise sur son temps, qu'il a fait son service public à certain jour, et qu'il est entré dans la pleine possession de lui-même. On ne connaîtrait que son talent et non point tout son caractère, si on ne l'avait vu façonner à plaisir et limer ses aiguillons.
Les traits de raillerie échappaient d'eux-mêmes de ses lèvres comme par un ressort irrésistible, mais il n'était content que quand il les avait polis à loisir et serrés les uns contre les autres en faisceau. Il appellerait par plus d'un endroit la comparaison avec Béranger qui, jusque dans la polémique, n'a pas moins de curiosité, d'arrangement et d'art. Et si quelqu'un s'avisait que je n'ai pas donné à Courier assez d'éloges,
je m'autoriserais de ce que lui-même, parlant de Béranger, n'a trouvé à dire que ceci : « J'ai encore dîné hier avec le chansonnier, écrivait-il de Sainte-Pélagie (octobre 1821) : il imprime le Recueil de ses chansons qui paraît aujourd’hui... Il y a de ces chansons qui sont vraiment bien faites : il me les donne. » C'est ainsi, j'imagine, qu'en Grèce, avant l'âge des éloges et des panégyriques, et quand on était de l'école de Xénophon, on louait ses amis par un mot juste et léger, dit en passant.
SAINTE-BEUVE
[1] Un scrupule me vient : une dame, contemporaine de la jeunesse de Courier, assure qu’il
avait fini par très bien danser.
|
[2] La colonne Trajane elle-même l’avait échappé belle ; on avait songé à l’enlever et à la
transporter à Paris. Daunou, envoyé comme commissaire à Rome, écrivait au directeur La Révellière
(30 mars 1808) : « Il paraît que vous renoncez à la colonne Trajane ; au fond, ce serait
une entreprise extrêmement dispendieuse ». Il ajoutait dans une autre lettre :
« En général, je vois qu’il est bon de s’en tenir aux trois cents cinquante caisses, il n’est ni
juste ni politique de trop multiplier les enlèvements de cette nature ».
|
[3] Le Deïphobe, fils de Priam, qu’Énée retrouve aux enfers tout mutilé du sac de Troie,
sans mains, sans oreilles, sans nez (et trunca inhonesto vulnere nares).
|
[4] Il n’oublie pas moins l’excellent styliste épistolaire de Madame du Deffand, de celle
que M. Villemain appelle spirituellement la femme Voltaire.
|
[5] Quand je dis que Courier est plus hardi que Gray, cela doit s’entendre de la hardiesse à se produire
et à tenir tête au monde ; car, en ce qui est du goût, Gray a plus de hardiesse que Courier.
|
[6] Ces pages de Courier ont été, dans le temps, très bien appréciées par M. Charles Magnin, au tome 1er, pages 397-399,
de ses Causeries.
|
|