Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec Lettre à M. Clavier du 16 octobre 1801 A M. Clavier Lettre au général Duroc du 6 octobre 1802 Suiv

Au citoyen Clavier
Rue Neuve des Bons-Enfants n°6
à Paris

[Strasbourg le 2 mai 1802]

Monsieur,

Christian Gottlob Heyne (1729-1812)
Christian Gottlob Heyne (1729-1812)
J J'ai vu M. Exter, qui est à la tête de l'imprimerie Bipontine. Il se chargera volontiers de Pausanias1, qu'il a dû déjà imprimer avec des notes de M. Heyne2. C’est ce projet auquel M. Heyne avait renoncé qui a produit depuis l’édition Facine. Mais M. Exter voudrait joindre au texte de cet auteur un commentaire perpétuel, ainsi qu'il l'appelle. D'ailleurs, ayant déjà beaucoup de travaux-entrepris, comme je crois vous l'avoir écrit, il ne peut encore penser à celui-là que pour l'avenir, et c'est la réponse qu'il m'a prié de vous faire au sujet de l’Erotianus3 de M. de La Rochette4 . Rien ne presse encore, m’a-t-il dit, relativement à cet ouvrage et M. de la Rochette a tout le temps de préparer ses notes. Je crois même qu'il balance à joindre cet auteur aux romans déjà imprimés, ne sachant pas trop s'il en vaut la peine, et M. Schweighaeuser5, auquel je crois qu’il s'en rapporte, ne paraît pas faire grand cas d'Erosien. Envoyez-moi ici votre échantillon de corrections sur Pausanias, si elles sont imprimées. Je ne lis point de journaux, et elles pourraient fort bien passer dans le Magasin6 sans que je m'en doutasse. Faites-les remettre à Paris rue des Bourdonnais chez Mad. Marchand7, maison du magasin de verrerie. J'en ai déjà vu quelques-unes, de vos corrections sur cet auteur, qui me rendent fort curieux de tout ce que vous ferez en ce genre.
Il y a eu véritablement des paroles portées à M. Schweihaeuser pour un Démosthène qu'on voudrait imprimer en Angleterre. Il s'en chargerait tout comme d'Athénée8. Mais rien n'est décidé. Il pense, je crois, à Stobée9, que les Bipontins veulent donner.
Jean Schweighaeuser
Jean Schweighaeuser (1742-1830)
M. Jacobs10 de son côté fait aussi des propositions pour continuer ou recommencer l'édition interrompue, donnée je crois par un Danois. Ces deux champions à eux seuls peuvent tenir en haleine tout ce qu'il y a d'imprimeurs et de lecteurs pour le grec en Allemagne et en France. A propos de l'Athénée, savez-vous que je me suis chargé, moi, d'en rendre compte dans le journal de M. Millin ? Je travaille maintenant à cela. Par occasion, je donnerai des conjectures, explications ou corrections de certains passages qui n'ont été entendus ni de M. Schweighaeuser, ni même de Casaubon11, tout Casaubon qu'il est. Pour parler plus exactement, je ne prétends pas pouvoir expliquer ce que Casaubon n'a point entendu. Mais j'ai pu avoir des idées qui ne lui sont pas venues dans un travail aussi vaste et aussi admirable que le sien. Il y en a de ces idées, dont je suis tenté d'être content. Mais il faut voir le jugement que vous en porterez. Je vous adresserai le cahier, si vous voulez vous charger de le remettre à M. Millin. Au reste je ne sais trop comment cela se pratique et si on lui adresse ces choses-là directement. Vous me feriez grand plaisir, Monsieur, de vous en informer, ou de me marquer ce que vous en savez. Par exemple vous pourriez demander à M. Millin à quelle époque il faut que je lui envoie mon travail et les bornes que j'y dois mettre. Mes notes sont fort concises et ne peuvent être autrement, étant faites sans livre, su due piedi12, comme disent les Italiens. Mais je ne laisse pas d'en avoir un bon nombre, sur les trois premiers livres seuls, qui sont ceux dont je parlerai. Cependant le tout pourra tenir dans une vingtaine de pages du Magasin qui je crois s’imprime assez fin. Voilà Monsieur, sur quoi je vous prie de vouloir bien me guider et m’instruire. Deux lignes de votre main me mettront tout de suite au fait.
Je me promets de jolies choses de votre inscription d'Oropos13. J'ai grande foi à votre oracle pour ce genre de divination. A quoi tient-il que vous ne m'en envoyiez une copie ? Je la montrerais aux adeptes, s'il y en a en ce pays-ci, et elle pourrait aller plus loin, ou demeurer entre mes mains, selon que vous le jugeriez convenable.
Isaac Casaubon (1559-1614)
Isaac Casaubon (1559-1614)
Je suis tenté, en vérité, de vous féliciter de n'avoir point obtenu cette place que vous demandiez et d'avoir malgré vous tout le temps de vous livrer à des études qui vous font honneur et plaisir. Croyez-moi, Monsieur, tout le monde peut être juge, administrateur ou pis que, cela, mais peu de gens peuvent comme vous, être chargés de dévoiler et de rétablir dans leur pureté primitive ces beaux modèles de l'antiquité. Voilà l'emploi qui vous convient et encore un coup je me réjouis pour vous et pour nous, que l'autre, quel qu'il pût être, vous ait échappé. Si pourtant vous en êtes fâché, il faudra bien que je le sois aussi.
Je n'espère pas pouvoir me rendre à Paris avant vendémiaire prochain, à moins de certains événements possibles, mais peu probables, qui me feraient changer de garnison. Mais si je vis dans quatre mois, je serai certainement à Paris, où le grand plaisir que je me promets c'est de causer avec vous, Monsieur, et de rendre mes devoirs à Mad. Clavier. Si je pouvais croire qu'elle pensât quelquefois à moi, je serais bien heureux, car il est doux de l'occuper, même de cent lieues. Je me prosterne aux pieds de Mme de Vinche. Sûrement elle ne pense plus au voyage de Saint-Domingue ; que ferait-elle de ses nègres qui ont perdu l'habitude d'obéir aux jolies femmes, et pour avoir des esclaves, faut-il qu'elle aille si loin ? J'ai grande envie que Mad. Pipelet14 se souvienne un moment de moi. Pour cela, il faut s'il vous plaît, que vous preniez la peine de l'assurer de mon respect. C'est par vous seul que je puis avoir de ses nouvelles, car notre ami Schweighaeuser15 , quelque sommation que je lui fasse, ne m'en dit mot dans tout ce qu'il écrit à moi ou à sa mère pour moi. C’est par lui que M. Millin m’a fait dire qu’il imprimerait mes έζήνησις16 de l’Athénée. Répondez-moi, je vous en prie le plus que vous pourrez là-dessus.
Ερρωσο17
Courier


[1] Clavier travailla longtemps en vue de donner une traduction de Pausanias.  Note1
[2] Christian Gottlob Heyne (1729-1812) est un philologue et archéologue allemand.  Note2
[3] Erotianus ou Erotien, grammairien ou médecin grec contemporain de Néron.  Note3
[4] Simon Chardon de la Rochette (1753-1814). Philologue et helléniste né à Saint-Sauveur-de-Ginestoux (Lozère) en 1753, mort à Paris en 1814. A l’époque de cette lettre, il avait projet de publier le texte d’un roman grec. De son côté, Clavier travaillait sur son édition savante de Pausanias, le géographe grec réputé.  Note4
[5] Jean Schweighaeuser (1742-1830). Né et mort à Strasbourg où Courier se lia avec lui, ce fils de pasteur fut un grand philologue. Il publia l’Athénée de 1801 à 1807. Il eut neuf enfants. Jean-Geoffroy, l’aîné (1776-1844) occupa les postes de son père quand celui-ci cessa ses activités d’enseignement à l’Université.  Note5
[6] Le Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts. Revue fondée en 1792 et publiée jusqu’en 1816 (122 volumes) par l’archéologue et numismate Aubin-Louis Millin de Grandmaison (1759-1818). Cette revue publia l’article dont Courier parle ici. Fortuné, Millin put s’adonner à ses activités de prédilection. En raison de son indépendance d’esprit, il fut inquiété sous la Révolution et échappa de peu à la guillotine.  Note6
[7] Cousine de Courier, de la branche des Pigalle (1753-1832), Elisabeth-Suzanne Protais épousa Jean-Baptiste Marchand, fonctionnaire des Finances.  Note7
[8] Athénée est un grammairien grec du 3e siècle après J.-C. Il fut traduit par Schweighaeuser et édité par l’imprimerie des Deux-Ponts.  Note8
[9] Stobée (Jean de Stobes) Compilateur grec du Ve siècle. Il composa une anthologie en quatre livres qui paraissent avoir été, au Moyen âge, séparés en deux parties : Anthologicum, Florilegium, Sermones (I. III et IV); Eclogœ physicœ et ethicœ (l. I et Il). Stobée nomme plus de cinq cents auteurs grecs, et plus de poètes que de prosateurs.  Note9
[10] Chrétien Jacobs (1764-1847). Littérateur et philologue allemand.  Note10
[11] Isaac Casaubon (1559-1614). Erudit protestant genevois qui enseigna le grec à Genève puis, à partir de 1596, à Montpellier. Henri IV le nomma bibliothécaire royal en 1604.  Note11
[12] Au pied levé.  Note12
[13] Port fortifié de l’Attique où se trouve le temple d’Amphiaraos.  Note13
[14] Constance Marie de Théis (1767-1845). En 1789, elle épousa le chirurgien Jean-Baptiste Pipelet de Leury. Elle divorça en 1799 et, en 1803, épousa en secondes noces un comte allemand, Joseph de Salm-Reiffersschied-Dyck. Elle fut l’auteur de nombreux poèmes et d’une tragédie. Femme d’esprit, elle correspondit avec Courier.  Note14
[15] Il s’agit du fils.  Note15
[16] Commentaires.  Note16
[17] Adieu, portez-vous bien.  Note17

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