Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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Paul-Louis Courier
jugé par la princesse de Salm-Dyck

Constance de Salm Dyck Constance de Salm Dyck
 
L e 12 juin 1810, Paul-Louis Courier écrivait, de Tivoli, à la princesse de Salm-Dyck : J’ai depuis longtemps, Madame, votre château dans la tête, mais d’une construction toute romanesque. Il serait plaisant qu’il n’y eût à ce château ni tourelles, ni donjon, ni pont-levis, et que ce fût une maison comme aux environs de Paris. J’en serais fort déconcerté ; car je veux absolument que vous soyez logée comme la princesse de Clèves ou la dame des Belles Cousines, et je tiens à cette fantaisie. Mme de Salm-Dyck envoya à son correspondant une description en vers de sa demeure rhénane à l’aspect « à la fois imposant et gothique ». On y lisait :

En le voyant d’abord il semble
Que l’on recule de mille ans ;
Au souvenir du bon vieux temps.
Ses ponts, ses fossés, ses guérites.
Ses remparts, ses portraits au regard menaçant,
De son antique revenant
Les histoires cent fois redites,
Sa chapelle, ses tours bizarrement construites,[…]

Lorsqu’elle publia ses œuvres complètes, Mme de Salm-Dyck n’omit pas cette épître et elle la fit suivre d’une note du plus grand intérêt, sur Paul-Louis Courier, que nous donnons intégralement :
« Cette description du château de Dyck ayant été insérée dans quelques recueils littéraires, j’ai cru devoir, malgré son peu d’importance, la réunir à mes poésies, et aussi entrer à cette occasion, dans quelques détails sur le caractère de Courier, dont tout ce qui a été dit dans les articles biographiques que jusqu’à présent, on a fait sur lui, ne donne pas une idée juste. Il devait faire un voyage en Allemagne, et venir à Dyck, lorsque je lui adressais ces vers en réponse à la lettre dont j’ai cité un fragment. C’était le digne et savant Clavier, dont il a depuis épousé la fille, qui me l’avait fait connaître ; il m’avait dédié un de ses premiers ouvrages [l’Éloge d’Hélène], et, quoiqu’il n’eût point alors un nom dans la littérature, j’avais deviné tout ce qu’il pouvait être à travers les bizarreries de son caractère, qui, il faut l’avouer, était presque inexplicable. Plein de feu, d’esprit, de savoir, mais naturellement et, on pourrait dire, involontairement railleur ou plutôt caustique, il poursuivait de ses plaisanteries, plus ou moins amères, tous ceux qui lui déplaisaient, ou dont il croyait avoir à se plaindre. Les fausses prétentions à l’esprit, la médiocrité astucieuse, la dignité orgueilleuse surtout, étaient sans cesse l’objet de ses sarcasmes ; il ne faisait pas même grâce à l’inconséquence ni à la simple gaucherie, et il les ridiculisait jusque dans sa propre conduite, quand il s’apercevait que, par la suite de ses distractions, ou du peu de cas qu’il faisait des formes de la société, il avait manqué aux usages reçus, ce qui lui arrivait sans cesse. Enfin, brusque, passionné, distrait, éloquent, mêlant les pensées généreuses et les raisonnements lumineux à une irritation presque continuelle, il avait dans toute sa personne, dans son langage, dans ses manières, quelque chose qui frappait, et qui faisait voir à l’instant qu’il pouvait être un homme supérieur, mais qu’il n’était qu’un homme comme un autre.
L’abondance de ses sensations, qui lui faisait dire librement, et presque malgré lui, ce qui l’agitait, m’a donné souvent l’occasion de penser que ses singularités avaient pour cause non seulement son caractère extraordinaire, mais un fonds d’orgueil qui lui donnait le besoin de se distinguer en bravant sans cesse les opinions particulières, et surtout l’opinion générale, et je ne crois pas me tromper en disant que, s’il eût vécu, il se serait fait un si grand nombre d’ennemis, que peut-être on ne lui aurait pas rendu la justice qu’on lui rend aujourd’hui.
Cependant, je dois aussi le dire, quelles que fussent ses bizarreries, elles disparaissaient aux yeux de ceux qui le connaissaient particulièrement. On ne voyait plus alors en lui que l’homme libre, droit, sensible et éclairé. Jamais non plus, et dans aucune circonstance, il ne manqua à l’affection, on pourrait dire au respect, qu’il portait à ceux en qui il reconnaissait des qualités essentielles : aussi eut-il de véritables amis »
On a publié à la suite de ses Œuvres un grand nombre de ses lettres. On les lira avec un vif intérêt, non seulement parce qu’elles sont en quelque sorte des mémoires, mais parce qu’il avait un style, des expressions et, pour tout dire, des pensées à lui, que l’on retrouve jusque dans ses moindres écrits.


[1] Œuvres complètes de Mme la princesse de Salm. Tome deuxième. Paris. Firmin-Didot frères et Arthus Bertrand. 1842 (pp. 313-316).


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