Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec A M. Bonnaud de Florence - 21 février 1808 [Sans mention]1 [Sans mention] de Livourne - 10 avril 1808 Suiv

Livourne le 6 mars 1808

Monseigneur,

D La retraite des Dix-Mille par Adrien Guignet (1816-1854) La retraite des Dix-Mille par Adrien Guignet (1816-1854)
 
epuis mon départ de Rome, j'ai couru sans m'arrêter toute l'Italie et n'ai trouvé qu'ici où reposer ma tête. Voilà pourquoi j'ai tant tardé à vous donner de mes nouvelles. Maintenant je me crois pour quelque temps à Livourne et j'y attends vos lettres comme la meilleure chose que je puisse recevoir, quelque part que je sois.
Je n'ai pas voyagé seul, mais avec mon Xénophon, c'est-à-dire en bonne compagnie. A Florence j'ai collationné trois misérables manuscrits, qui ne m'ont payé de ma peine que par la certitude acquise qu'ils ne contiennent rien qui vaille. Un des vôtres et un de Paris sont les seuls qui m'aient fourni quelques bonnes leçons. Avec ce secours et mes conjectures, j'ai rétabli plusieurs passages et j'en laisse peu à corriger. En un mot je crois avoir fait tout ce que pouvait faire un soldat expliquant aux savants ce qu'ils ne peuvent savoir, suivant la loi tractent fabrilia fabri2.
Si M. Amati a fini la collation de ce premier livre de l'Anabasis3, et que vous ayez quelque moyen de me faire parvenir son travail, adressez-le-moi ici, je vous prie, ou à Florence à M. le général Darancey, commandant l'artillerie. Par la poste, vous voyez bien que ce serait ma ruine. Si vous ne trouvez point d'autre voie, gardez-moi cela, et je tâcherai de le faire venir à moins de frais.
J'espère que vous ne perdrez rien à tous ces changements qui se font dans votre gouvernement4. L'empereur fait profession d'aimer et protéger les lettres, et votre réputation vous garantit de l'oubli de quelque gouvernement que ce soit. D'ailleurs vous avez un emploi qu'on ne peut ni supprimer, ni donner à d'autres qu'à vous. Ainsi la volonté du ciel, Monseigneur, soit faite en toute chose5 ! et le ciel ne peut vouloir qu'un homme comme vous soit malheureux dans ce monde-ci, ni dans l'autre.
Écrivez-moi bientôt ; informez-moi, je vous prie, de votre santé ; de votre état actuel, et de vos espérances pour l'avenir ; rien au monde ne m'intéresse plus que ce qui vous touche. Vous fûtes ma première connaissance, lorsque je vins à Rome et depuis je n'ai rien connu de meilleur ni à Rome ni ailleurs.


[1] Sautelet précise « A Monseigneur Marini, à Rome ».  Note1
[2] Les forgerons font des travaux de forgeron. Horace, Épîtres, II, 1, 116.  Note2
[3] L’Anabase raconte, au IVe siècle avant J.-C., l’expédition des Dix Mille, mercenaires grecs partis pour Babylone placer sur le trône de l’Empire perse Cyrus le Jeune en remplacement de son frère Artaxerxés II. Après avoir perdu leurs chefs lors de la bataille de Counaxa, ils sont contraints de faire retraite vers l’Hellespont. Composé de sept livres, le troisième et les suivants confèrent à Xénophon le premier rôle. Au travers de nombreux dangers, il ramènera l'armée grecque à bon port.  Note3
[4] Pie VII avait refusé d’adhérer au blocus contre l’Angleterre mis en place par la France et ses alliés. En représailles, Rome fut occupé militairement le 2 février 1808. Marini dut s’éloigner pour quelque temps.  Note4
[5] Allusion à Molière, Le Tartuffe, acte III, scène 7.  Note5

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