Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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prec A M. Leduc Aîné - 1805 A M. Poydavant1 A M. - 13 décembre 1805 Suiv

Stra le 28 novembre 1805

[Mon cher ordonnateur}

A imé va vous conter notre petite drôlerie. Ce qu'il vous pourra dire, c'est qu'il dormit fort ce jour-là. Je ne sais quelle heure il pouvait être lorsqu'il apprit dans son lit qu'on s'était battu. Il se leva en grande hâte, s'habilla, ou comme disent ces messieurs, se fit habiller, et fut choisi pour vous porter l'heureuse nouvelle de l'affaire où il s'est distingué. Nous verrons cela dans les gazettes avec la croix et l'avancement. Voilà ce que c'est d'être frère du valet de chambre du fils d'un châtreur de cochons des environs de Tonneins2. Rappelez-vous Sosie.
Charles Alain Gabriel de Rohan (1764-1836)
Charles Alain Gabriel de Rohan (1764-1836)

Je dois à Monseigneur un portrait militaire
Du grand combat qui met nos ennemis à bas
Mais comment diantre le faire,
Si je ne m’y trouvai pas ?
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Nous avons pris des quinze reliques4 une division tout entière, des chevaux bons à écorcher et un prince émigré5 qui, je crois n'est bon à rien. Il a un coup de fusil dans le ventre. On s'occupe très peu de lui. On le laisse là tout blessé qu'il est et Français. Nous n'aimons pas les émigrés. A Paris on les honore fort. L'Empereur les chérit et révère. C'est sans doute qu'il n'en peut faire, comme il fait des comtes, des princes.
Vous voyez bien, mes chers amis, qu'après vous on trouve à glaner, mais de la gloire seulement. Nous voudrions quelqu’autre chose plus substantielle, plus palpable. Cela ne se peut derrière vous. Vous faites partout place nette. Il faut se payer de lauriers qui heureusement coûtent peu. Pour moi j'en quitte ma part, j'ai de la gloire in culo6 comme disent les Italiens, ou plus poliment in tasca7, depuis que j'entendis quelqu'un de notre connaissance dire : je suis couvert de gloire, et les courtisans répéter : il est couvert de gloire.
Adieu. Nous ne voulons toujours point être sous vos ordres8. En attendant une décision, nous méditons sur la carte. Nous espérons qu'on pourra bien se casser le nez à St-Polten9 ou ailleurs, et comme vous pouvez croire alors nous prendrions un autre ton.


[1] Commissaire ordonnateur en chef de l’armée de Naples. Jean-Pierre, Etienne, Charles Poydavant ou plus exactement Poeydavant naquit à Perpignan le 28 août 1769. Chevalier de la Légion d’honneur, il se maria à Naples en 1810. Élu député le 13 novembre 1820, réélu en 1821 et 1824, il siégea dans les rangs du groupe ministériel. En 1827, il abandonna toute vie politique.  Note1
[2] Il s’agirait du frère de Murat, châtreur non de cochons mais de moutons.  Note2
[3] Quatrain inspiré de l’Amphitryon de Molière, acte I, scène 1.  Note3
[4] Jeu de mots sur « Kaiserlicks  » c’est-à-dire les soldats autrichiens.  Note4
[5] Il s’agit du prince de Rohan. Né le 18 janvier au château de Versailles, Charles, Alain, Gabriel de Rohan, prince de Guéméné et duc de Montbazon, émigra comme son père en 1791. Il prit un commandement en Autriche et obtint grade de feld-maréchal-lieutenant. Blessé lors de la bataille de Castel-Franco, il survécut. Sommé de rentrer en France en 1809, il refusa d’obtempérer et fut condamné à mort par contumace. Il fut encore blessé à Wagram. Louis XVIII le créa pair de France mais il ne siégea jamais. Il mourut en Bohême, au château de Sichrow en 1836.  Note5
[6] La traduction est-elle nécessaire ?  Note6
[7] Plein le dos.  Note7
[8] Ce « nous  » est ironique. Gouvion Saint-Cyr préférait que le corps dans lequel servait Courier fût séparé des troupes qu’il commandait.  Note8
[9] Petite ville autrichienne, proche de Vienne.  Note9

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