Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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Haxo, successeur de Vauban

La nature a horreur du vide

Haxo, successeur de Vauban
Haxo, successeur de Vauban
 
L a nature a horreur du vide. A tout le moins Aristote le prétendait-il en opposition à Démocrite sur ce point et suivi par Descartes en personne. On sait que cette vérité n’en est pas une. Comment toutefois ne pas convenir de la justesse de cette créance en certains domaines ? Toute lacune pénalise, toute carence dessert, tout manque fait défaut. C’était le cas avec le peu de connaissances détenues sur Haxo, dont on savait juste qu’il fut connu sous le nom de Haxo Nicolas pour ne le pas confondre avec d’autres membres de sa famille. Erreur courante, on le prenait souvent pour son oncle Nicolas François Haxo1, général républicain de brigade pendant la Révolution, mort à 44 ans, le sabre à la main. Bien sûr, on ramassait ici ou là quelques miettes disséminées sur ce militaire remarqué à son époque et dont on savait qu’il fut le meilleur ami de Paul-Louis Courier  toutefois, l’ensemble conférait piètre esquisse de ce portrait qui méritait mieux que l’oubli, la négligence, l’ignorance.
C’est dire combien Yannick Guillou comble un vide en nous offrant une biographie d’Haxo.
Travail de bénédictin, mené avec quête du détail, constante minutie, souci de rendre justice à un homme peu honoré par la mémoire de la France plus attentive à se souvenir de personnalités instrumentalisées qu’à célébrer les autres. Traitée en une trentaine de chapitres selon le déroulement chronologique, manière propice à ne se point perdre non plus que dérouter ses lecteurs, cette résurrection d’un ingénieur militaire illustre à son époque rend justice à un homme qui, sans conteste, le méritait, le mérite et le méritera.

Jeunesse puis maturité

Joseph Diez Gergonne
Joseph Diez Gergonne
19 juin 1771 - 4 avril 1859
 
H axo naît à Lunéville le 24 juin 1774 de Nicolas Benoît Haxo, avocat de formation, et Marie-Catherine née Hurtevin-Montauban, son épouse en secondes noces. On donne à l’enfant les prénoms de François Nicolas Benoît. Enfance heureuse d’un fils unique sur lequel on veille de près, sa sœur née avant lui étant morte en bas âge. Le grand-père maternel de l’enfant avait occupé les fonctions de 1er valet du roi Stanislas jusqu’au décès de celui-ci. En 1782, cet aïeul disparaît ainsi que le père de l’enfant qui n’est encore âgé que de 8 ans.
Sa mère dont l’auteur nous dit qu’elle est dotée de « toutes les qualités nécessaires pour présider à son éducation » entreprend tout pour qu’il reçoive la meilleure éducation. En 1784, après admission à l’examen d’entrée, il est élève au collège de Nancy. En 1788, il bénéficie, dans ce même établissement, des cours de mathématiques de Joseph Diez Gergonne, mathématicien, professeur d’astronomie et de physique, lequel deviendra doyen de l’Académie de Montpellier en 1820 et recteur de cette même académie en 1830.
De novembre 1789 au début de l’été à août 1792, l’adolescent est scolarisé au prestigieux Collège de Navarre, situé à Paris, sur la montagne Sainte-Geneviève.
Au sortir du collège, il se présente au concours d’entrée de l’École d’artillerie de Châlons-sur-Marne. M. Guillou ne donnant pas l’ordre des 35 candidats admis, le voici : 1er Michel, 2e Demanelle, 3e Zevort, 4e Blonde de la Blossière, 5e du Vauroux, 6e Pierson, 7e Corda, 8e Tamisier, 9e Mornay, 10e Laurent, 11e Ruty, 12e Le Pin, 13e Baud, 14e Floch, 15e Riverieulx, 16e Mengin, 17e Pelgrin, 18e Evain, 19e Charbonnel, 20e Lafitte, 21e Courier, 22e Robineau, 23e Hazard, 24e Martin, 25e Valée, 26e Morio, 27e Mathieu, 28e Abraham, 29e Bolot, 30e Haxo, 31e Fantin, 32e Bonamy, 33e Coulommier, 34e Marcilly, 35e Mangin.
Pour le classement de sortie de cette promotion, le 1er est Ruty, Courier est encore 21e et Haxo est 33e.
Dans cet établissement militaire, Haxo se lie à Courier, de deux ans et demi plus âgé que lui. Ils en sortent lieutenants en second le 1er juin 1793. Les deux officiers servent la République en territoire allemand notamment au siège de Mayence durant le rude hiver 1794-95. Le métier des armes apportera consécration à l’un, anonymat pour l’autre qui gagnera ailleurs ses galons de célébrité.
Le 25 octobre 1794, Haxo est promu capitaine de 4e classe. Au terme d’une trentaine de mois de service armé au cours desquels il passe du corps de l’artillerie à celui du génie, il comprend la nécessité de renforcer son instruction pour répondre à sa nouvelle orientation. Aussi entre-t-il le 21 mars 1796 à l’École polytechnique installée sur les lieux du Collège de Navarre supprimé quelque trois années plus tôt. Il y reste un an. Pourvu de cette formation approfondie, il est définitivement affecté dans le génie.
Dès lors, l’ascension militaire lui paraît accessible. Ne lui reste plus qu’à faire ses preuves. Le sous-directeur des fortifications à Genève, son supérieur, écrit de lui en octobre 1799, nous dit Yannick Guillou :
« On doit tout espérer des talents, de la moralité et des connaissances acquises de ce jeune officier destiné, sans doute, à devenir un très habile ingénieur et un militaire distingué  il est également capable d’être utilement employé aux armées, dans les places, à la topographie et aux reconnaissances des frontières. »
Jugement lucide et perspicace. L’avenir le confirmera.
Le 6 mars 1801, Haxo est nommé chef de bataillon.
Courier est fait chevalier de la Légion d’honneur par le maréchal Jourdan à Plaisance le 14 juin 1804  le lendemain, Haxo reçoit la même distinction à Peschiera, cité italienne fortifiée située sur la pointe sud-est du lac de Garde. Tous deux doivent rédiger et signer le serment suivant :
Je jure, sur mon honneur, de me dévouer au service de l’Empire et à la conservation de son territoire dans son intégrité  à la défense de l’Empereur, des lois de la République et des propriétés qu’elles ont consacrées  de combattre, par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise tendant à rétablir le régime féodal, à reproduire les titres et les qualités qui en étaient l’attribut  enfin de concourir de tout mon pouvoir au maintien de la Liberté et de l’Égalité, bases premières de nos Constitutions.
Sans doute Haxo souscrit-il sans réserve aucune à ce serment de fidélité  pour ce qui est de son aîné, on en peut douter. Car non seulement Courier a affiché le plus grand dédain pour l’établissement de l’Empire mais il ne porte guère attention aux hochets avec lesquels on mène les hommes. Il l’exprime nettement dans la longue lettre à M. Danse de Villoison du 27 février 1805 : « Au reste, nous portons les sottises qu’on porte. C'est tout le compliment que je trouve à vous faire sur ces nouveaux brimborions qu'assurément vous honorez. Pour moi, j'ai été élevé dans un grand mépris de ces choses-là. Je ne saurais les respecter. C'est la faute de mon père. »
Laissons Courier et revenons au Lorrain.

Viva España

Assaut du monastère de San Engracia
Siège de Saragosse
Assaut du monastère de San Engracia
8 février 1809
 
L es nécessités seules du service inspireraient la conduite d’Haxo. Ainsi, au printemps 1806, il est chargé d’étudier un renforcement de la défense de Peschiera. Il se met au travail avec le sérieux qui le caractérise. Son projet n’a pas l’heur de plaire à Napoléon. Celui-ci le retoque. Beaucoup se seraient inclinés  pas Haxo : il persiste et signe plutôt deux fois qu’une. L’autre reçoit ces explications, en prend connaissance, bougonne et… s’incline. Haxo a gagné.
Il s’opposera à l’empereur en d’autres circonstances, en particulier en février 1812, à propos de la défense de Magdebourg. Les deux hommes sont en désaccord mais, sûr de son fait, le subordonné tient tête. Malgré son emportement, Napoléon finira par convenir que son subordonné a raison.
Jamais Haxo ne se départit de cette fermeté de caractère  aussi son avancement traîne-t-il. Il végète dans ce grade de chef de bataillon qu’il est toujours quand il reçoit, à bras ouverts, du 11 au 25 janvier 1808 le chef de brigade Courier.
En 1807, quatre mois durant, il est chargé de renforcer les batteries du détroit des Dardanelles et d’améliorer la défense de Constantinople. Cela ne suffit pas à ce qu’il grimpe dans l’échelle militaire.
C’est l’affaire d’Espagne à qui Napoléon veut imposer son frère Joseph comme roi qui va enfin permettre à l’officier du génie d’être distingué. Nous ne nous étendrons pas sur ces deux années terribles qui courent de septembre 1808 à décembre 1810. Yannick Guillou s’y emploie mieux qu’on ne le saurait faire. Contentons-nous de dire que le féroce siège de Saragosse, ville qui résiste vaillamment aux assaillants français, va bénéficier des compétences d’Haxo. A compter de cette opération au cours de laquelle il est blessé, sa carrière prend nouvelle tournure : le 2 mars 1809, il est colonel  le 18 juillet 1809, officier de la Légion d’honneur.
Sur cette lancée, il s’illustre au siège de Lérida, sous les ordres de Suchet. Sa désignation de l’endroit de l’attaque qui conduit à la capitulation de la place, le 14 mai 1810 lui permet d’être nommé, le 23 juin suivant, général de brigade. Le 13 mars 1811, il est baron d’empire.
L’aberration de l’aventure espagnole n’aura pas dessillé les yeux de Napoléon. Il s’embarque pour une autre aventure : le 22 juin 1812, désireux de soumettre Alexandre Ier, il donne ordre à la Grande Armée de franchir le Niémen. On connaît les catastrophiques conséquences pour l’Empire et la France. Haxo en est. Il ira jusquà Moscou et en repartira. Piètre consolation pour lui, le 5 décembre 1812, jour où Napoléon, qui a depuis peu appris les dessous inquiétants de la conspiration Malet, décide de rentrer à Paris, Haxo est promu général de division. Néanmoins, une dizaine de jours plus tard, il est victime du typhus. Heureusement, un miracle l’en tire.

Après l’Empire

L es ennemis de Napoléon sonnent l’hallali et marchent vers la patrie des droits de l’homme et du citoyen. Le 30 juin 1813, au soir de la défaite française de Kulm, Haxo tombe aux mains de la coalition ennemie. Prisonnier des Autrichiens, il est détenu à Brünn, en Moravie, de nos jours Brno, capitale de la Moravie du sud, deuxième ville de la République tchèque.
Charles Lefebvre-Desnouettes
Charles Lefebvre-Desnouettes
14 septembre 1773 - 22 avril 1822
 
Au début de 1814, la coalition contre Napoléon envahit la France. Le glas de l’Empire sonne. Après dix mois de détention, Haxo est libéré. Il arrive à Paris dans le courant de la 2e semaine de juin 1814 pour apprendre que l’Empereur, en détention depuis le 4 mai précédent à l’Île d’Elbe, a été remplacé par Louis XVIII.
Le 14 mai, Courier épouse Herminie Clavier. Tout nous permet de croire que libre de ses faits et gestes, non seulement Haxo eût assisté au mariage de son ami mais, de plus, en eût été le témoin. Yannick Guillou reste muet sur ce point.
La destinée d’Haxo s’ornera de beaux fleurons. La première Restauration nomme cet admirateur de Vauban inspecteur général des fortifications  le 27 juin 1814, il est fait Chevalier de l’Ordre de Saint-Louis et le 29 juillet suivant Commandant de la Légion d’honneur. Il se rallie à Napoléon de retour de l’île d’Elbe, est présent sur le champ de bataille de Waterloo. Il comprend même avant l’Empereur que celui-ci vient de commettre une funeste erreur.
Malgré ce passage au service de Buonaparte, Louis XVIII continue d’utiliser les compétences du général. Ceci débute par un événement peu lumineux pour Haxo.
La seconde Restauration ne pardonne pas les errements des uns et des autres. La Terreur blanche s’empare du pays. Le 24 juillet 1815, Louis XVIII signe l’ordonnance destinée à punir les « généraux et officiers qui ont trahi le Roi avant le 23 mars, ou qui ont attaqué la France et le gouvernement à main armée, et ceux qui par violence se sont emparés du pouvoir. » Parmi eux, Ney, Labédoyère, Mouton-Duvernet et Lefebvre-Desnouettes. Le 11 mai 1816, le cas du précédent, qui a pris la précaution de se musser, est examiné par le Conseil de guerre. La juridiction est placée sous la présidence du général Valée, ancien de l’École de Châlons, de la même promotion que Courier et Haxo  celui-ci en est membre. A l’unanimité, Lefebvre-Desnouettes est condamné à mort par contumace. Après ce verdict, rapporte Yannick Guillou, le condamné, réfugié aux Etats-Unis, laissera parler son cœur : « Ce b… d’Haxo, nous étions ensemble dans la garde  il commandait le génie, et moi les chasseurs, et quelques jours après, il me condamne à mort. »
Il y a heureusement plus honorable : la monarchie restaurée confie à Haxo mission de renforcer de nombreuses places fortes. Il s’en acquittera en mettant ses pas dans ceux de Vauban.
Comblé par les Bourbons, Haxo conserve sa liberté d’action. Ainsi, au péril de sa carrière, il n’hésite pas de rendre visite le 3 novembre 1821 à Courier condamné à purger une peine de deux mois d’emprisonnement à Sainte-Pélagie pour avoir écrit le simple discours.
Le 28 janvier 1818, à la mairie du VIIe arrondissement de Paris, Haxo épouse une jeune fille de noblesse ancienne, Pervenche Eléonore Benjamine Frotier de La Coste Messelière. Marié quelque quatre ans plus tôt dans le même lieu, le ménage Courier fréquente régulièrement le ménage Haxo. Quand, au printemps 1818, les Courier seront installés en Touraine, à la Chavonnière, Courier se rend souvent à Paris. Il continue d’y rencontrer son ami. Au printemps 1824, il informe sa femme restée à la Chavonnière que le portrait qu’elle a réalisé d’Haxo est du goût du peintre et graveur Louis Hersent. Herminie est proche de Pervenche. Sa sensibilité lui a permis de déceler le mal être de Mme Haxo que Courier a également perçu.
Tourmentés sont les rapports des deux hommes qui se fréquentent depuis presque un quart de siècle et ne se sont jamais perdus de vue. Le pamphlétaire ne ménage guère la dynastie en place  que le général sert. Les discussions sont orageuses et souvent s’achèvent par des éclats de voix. Souvent Courier se lève et claque derrière lui la porte qu’il a spontanément ouverte. Le lendemain, adouci, il réapparaît : c’est que la nuit porte conseil et que l’amitié de ces deux-là, l’un et l’autre, nobles âmes, résiste à leurs différends.
Haxo sera vivement touché par l’assassinat de son ami dans sa forêt de Touraine. Il cherchera à comprendre. N’y parviendra pas. Ce génie de l’art militaire n’avait sans doute pas le même talent pour démêler les arcanes d’une sombre affaire politico-judiciaire. Ou la tâche était insurmontable, hérissée d’infranchissables obstacles.
La victime enterrée, il devient tuteur des deux fils Courier. Il veille sur eux, sur leurs intérêts, jusqu’à ce que la mort l’emporte. Après sa propre disparition, cette mainbournie sera assurée par son beau-frère Charles Jard-Panvilliers marié à Apolline, sœur aînée de Pervenche Haxo.

Sous la Monarchie de Juillet, Haxo donne toujours des preuves de sa solide intelligence en matière de guerre. Chassés de Belgique par les français du maréchal Gérard en 1831, les Néerlandais ont conservé un pied dans la citadelle d’Anvers réputée imprenable. La Belgique s’en émeut, appelle la France à l’aide. En novembre 1832, avec accord tacite de l’Angleterre et contre l’avis de l’Autriche, de la Russie et de la Prusse, l’armée française du Nord placée sous le commandement de Gérard pénètre en Belgique. Le 30 novembre, sommation est faite à la garnison de se rendre. Aux côtés du commandant en chef, des généraux d’armes différentes parmi lesquels Haxo. Son biographe de tirer les conclusions de cette affaire qui contraignit la garnison néerlandaise à vider les lieux : « Il acquit une nouvelle gloire avec ce siège, véritablement classique de l’une des plus fortes citadelles de l’Europe malgré l’importante garnison, la défense des assiégés et la grande rigueur de la saison hivernale. » (p. 303)
Pareils services sont reconnus en haut lieu. Aussi Haxo est-il élevé le 11 janvier 1833 à la dignité de Grand Cordon de la Légion d’honneur. Louis-Philippe le nommera Pair de France. De 1835 à 1837, il statue comme juge à la Chambre. En 1836, courent des bruits : il ferait un très bon ministre de la guerre.
Ce soldat à la vie bien remplie perd son ultime bataille en son domicile à Paris le lundi 25 juin 1838, vers 3 heures du matin.

Notoriété d’Haxo

Germain Sarrut
Germain Sarrut en 1835
20 avril 1800 - 30 octobre 1883
 
U ne question brûle inévitablement la langue : ce grand commis de l’armée et de l’État se soucie-t-il du régime en place ou est-il prêt à servir n’importe qui ? N’a-t-il pas dispensé ses talents auprès de la République, du Directoire, du Consulat, de l’Empire, la monarchie restaurée, celle de Juillet. Oubliant que c’est l’expédition d’Espagne qui a propulsé Haxo sur une scène qui le plaça au milieu des meilleurs, certains lui ont reproché son opportunisme – les lettres de Courier restent muettes sur ce point - tels Germain Sarrut et B. Saint-Edme, alias Edme-Théodore Bourg qui, nous révèle Yannick Guillou en pages 454-455, écrivent dans le 3e tome de leur Biographie des hommes du jour :

Il y a deux hommes dans M. le lieutenant-général Haxo, l’homme de guerre et l’homme de cour. Le premier est généralement estimé et jouit de la réputation d’officier de génie supérieur à la plupart de ses collègues par la profondeur de son érudition, la variété de ses connaissances et l’aptitude toute spéciale de son esprit. L’homme de cour, au contraire, a été constamment en butte aux accusations des hommes indépendants, dont les récriminations furent réfutées en peu de mots par un journal patriote lorsqu’en 1832 M. le général Haxo fut élevé à la pairie. « M. le lieutenant-général Haxo, dit la Tribune, a servi tous les drapeaux, cultivé toutes les amitiés, assoupli son caractère à toutes les formes. » Nous dirons, nous, que la vie de M. Haxo nous paraît justifier les éloges et les récriminations.

Jugement de Normand que celui de ces deux auteurs, qui pourrait s’appliquer à la plupart des hommes. Faut-il penser qu’Haxo a toujours fait passer ses intérêts avant ceux de la France et que c’est dans cet esprit qu’il vota la condamnation de Lefebvre-Desnouettes ? Ou croire l’inverse comme l’exprime nettement Joseph Aubernon dans son Éloge historique de M. le lieutenant-général du génie Baron Haxo prononcé à la séance du 25 mai 1839 à la Chambre des pairs : « Le cœur et le dévouement du général Haxo était toujours là où il voyait la France, son cœur à défendre, son indépendance à faire respecter. »
Il y a là matière à se longuement chicaner, quereller, disputer. Transposons à cette question ce qu’Haxo en personne écrivait d’une opinion littéraire du général Saint-Cyr, dans sa lettre du 18 septembre 1835 à Rœderer2, trois mois avant la mort de ce dernier : « Je ne sais pas si je suis de son avis ou du vôtre  mais, à tout prendre, j’aime assez qu’on dise trop de bien de ceux dont, peut-être, certains ont parlé trop mal. »
A l’exemple du biographe d’Haxo qui reste en marge de ce débat, gardons-nous d’opiner dans un sens ou l’autre : Le livre des Psaumes nous le rappelle : Scrutans renes et corda Deus, sous-entendu (seul) Dieu sonde les cœurs et les reins.

L’objectif de Yannick Guillou est de faire connaître Haxo  il ne convient donc pas de lui reprocher de ne pas révéler d’informations nouvelles pour qui s’intéresse à Courier. Son mérite est tout autre : les vastes zones parcourues par cette biographie aux nombreuses ramifications nous permettent, entre autres, de mieux appréhender ces deux hommes que tout ou presque oppose. Abeille industrieuse, ce biographe collecte, récolte, amasse, puise d’une source à une autre pour donner chair à l’histoire nationale que trop souvent l’École réduit à un squelette pour petits esprits. Haxo, successeur de Vauban fournit de nombreuses informations sur tel ou tel événement, telle ou telle bataille, telle ou telle guerre ou campagne, sur certains personnages. Un seul exemple parmi des dizaines pour illustrer cette affirmation : comment ne pas être étonné d’apprendre qu’Haxo fut meilleur joueur d’échecs que… Napoléon ? Ou tenez, second exemple : Hugo a cité deux fois Haxo dans Les Misérables et Alexandre Dumas père également dans son Napoléon publié en 1840.
Enfin, au-delà de l’accès jusque-là impossible à cette vie, on gagne sur bien des plans, ne serait-ce qu’avec les illustrations, le glossaire militaire proposé en fin de volume pour qui n’est pas spécialiste des armes, la généalogie du général, le devenir de son fils et de son épouse, les croisements de thématiques d’une réalité foisonnante et pas toujours simple à cerner, etc. Bref, on trouvera de belles pépites dans cette mine biographique si riche  et si l’on persiste à y regarder à deux fois et cependant avec moins de temps qu’il en a fallu à l’auteur pour collecter ces précieux matériaux, on en découvrira d’autres. Pépites souvent insoupçonnées.

Jean-Pierre Lautman

Yannick Guillou, Haxo, successeur de Vauban, Editions Edhisto, 532 pages, 206 illustrations, 69 cartes et plans, prix 21 €.

 



[1] Objet des travaux de Yannick Guillou, une biographie de 290 pages de ce général républicain mort au combat en Vendée le 21 mars 1794 est sortie en 2009 aux éditions Edhisto sous le titre : Nicolas Haxo. Un général vosgien en Vendée à la poursuite de Charrette, 21 €.  Note1
[2] Dans son article Roederer tiré du Dictionnaire de la Révolution Française, sous la direction d’Albert Soboul, p. 924, J.-R. Suratteau place ce mot dans la bouche de Rœderer : « «J'ai passé auprès de Louis XVI la dernière nuit de son règne  j'ai passé auprès de Bonaparte la première nuit du sien. »  Note2

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