Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
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Conseils à un colonel
Civita Veccia Civita Veccia, port de Rome
 

L es premiers jours d’octobre 1799, les troupes françaises évacuent Rome dans laquelle entrent les Napolitains. A Civita Veccia, elles s’embarquent pour Paris via Marseille. A la fin du mois d’octobre, Courier, ou plutôt ce qu’il reste de lui car il est dans un état délabrement physique total, parvient dans la capitale. Commence pour lui une interminable période d’éloignement du service armé. Le premier semestre 1803, une rechute le contraint à nouveau repos forcé. Enfin à peu près rétabli, il rejoint en août 1803 sa compagnie à Douai. A la fin de cette même année, il reçoit sa seconde affectation pour l’Italie.
Durant sa longue convalescence, son temps libre lui a permis de peaufiner l’Éloge d’Hélène, de le publier et de travailler sur un second projet : Conseils à un colonel.
De quoi s’agit-il ? d’un plaidoyer ou plus exactement d’un réquisitoire.
Depuis dix ans, Courier sert la France. Mais alors que d’anciens camarades de l’École de Châlons sont déjà généraux, lui n’est encore que capitaine. Situation insupportable. Combien ne le valent pas et sont pourtant déjà nettement plus élevés que lui dans la hiérarchie du commandement ? Commence alors un lent travail d’éloignement d’une condition qui avait d’emblée recueilli sa sympathie mais dont désormais il s’éloigne.
Une question se pose sur-le-champ : « A qui s’adressent ces conseils ? »
Le couriériste réputé Robert Gaschet ne donne pas de nom, il se contente de croire que ces Conseils sont destinés à un condisciple de l’École de Châlons :

C’est pourquoi nous préférons croire que le colonel auquel il s’adresse n’est pas un personnage fictif mais un de ses anciens camarades de Châlons qui l’avait effectivement consulté et qui était venu de loin pour cela.[1]

De son coté, Louis Desternes pense qu’il s’agit d’un artifice, que Courier prêche pour lui, qu’il s’agit bonnement d’un plaidoyer pro domo.

Ce mot de la fin ne donne-t-il pas la clé de l’énigme ? Parmi ces gens d’esprit qui restent en bas, Paul-Louis ne se range-t-il pas, lui qui, à trente ans, est encore capitaine ? L’humeur chagrine et caustique de cette virulente diatribe semble bien provenir d’une crise personnelle de découragement et de rancune. […] C’est pourquoi, sans chercher ici à identifier le Colonel anonyme, nous soupçonnons […] le capitaine et le colonel, d’être une seule et même personne.[2]

Jacques-Alexandre-François Allix Jacques-Alexandre-François Allix de Vaux
(1768-1836) 
Pour André Lelarge, couriériste patenté, le doute n’est pas permis : il s’agit du colonel Allix.

Cet écrit paraît bien avoir été destiné à l'un des plus singuliers soldats de la Révolution et de l'Empire, Jacques-Alexandre-François Allix, colonel mis en réforme en 1803. Paul-Louis, alors aspirant, l'avait connu élève à l'Ecole d'artillerie de Châlons. II le retrouva d'abord à l'armée de la Moselle, et maintes fois ensuite avant l'an XII.
Ces conseils reflètent peut-être un peu de l'amertume du destinataire qui en était largement doté. Esprit faux et envieux, d'une vaniteuse suffisance, qui le perdit plusieurs fois, mais instruit et bon militaire, Allix a pu en imposer à beaucoup, et sans doute aussi à Courier, avant d'être atteint du délire de revendication….
[3]

Prudent, Lelarge écrit « paraît bien avoir été destiné » et non « fut destiné ». La nuance n’est pas mince, elle honore l’intégrité intellectuelle de l’auteur.

Q uelle conclusion en tirer ? Qui est dans le vrai ?
Chaque thèse a ses raisons mais également ses faiblesses. Ainsi le fait qu’Allix, excellent militaire mais rétif à toute entreprise politique fut l’objet de mesures injustes de la part du Premier consul et de Marmont, serviteur du précédent, apporte de l’eau au moulin de Lelarge. Mais les preuves décisives manquent pour trancher en ce sens.
Peut-être la thèse de Desternes reste-t-elle la plus vraisemblable.
Pourtant, force nous est de reconnaître que pour ne pas être négligeable, la réponse à cette interrogation n’est pas le plus important. Ce qui est essentiel dans ce texte resté enfermé un quart de siècle dans les tiroirs et publié pour la première fois en 1828, c’est qu’il recèle en germe et non sans virulence tous les reproches que Courier adressera ultérieurement à la Restauration. Sa critique de la monarchie restaurée est la même que celle adressée au pouvoir consulaire donc au système mis en place par l’homme fort du moment. Aucune différence sur le fond. Simplement, dans les pamphlets à partir de 1819, Courier se spécialisera en quelque sorte dans la critique d’un régime en tout point comparable à l’ordre napoléonien.
Conseils à un colonel peut être considéré comme le premier écrit critique à connotation politique de Courier. En effet, il constitue une indéniable tentative de faire oublier l’Éloge d’Hélène dans lequel son auteur dit du bien d’un homme sans le nommer : Bonaparte.
Eût-il voulu aller à résipiscence que Courier ne se fût pas autrement comporté.

Jean-Pierre Lautman




[1] Robert Gaschet, La jeunesse de Paul-Louis Courier, Paris, Hachette, 1911 ; p. 167.  Note1
[2] Louis Desternes, Paul-Louis Courier et les Bourbons, Le pamphlet et l’histoire, Les Cahiers Bourbonnais, 1962 ; p. 36.  Note2
[3] André Lelarge, Le Figaro, supplément littéraire, samedi 2 février 1929 : Un épisode de la vie militaire de Paul-Louis Courier.  Note3

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