Paul-Louis Courier

Courrierist, lampooner, polemist
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A Madame
Madame Courier
Rue des 4 Fils n°15
A Paris

Tours, jeudi au soir 7 novembre 1816.

Tours, le 7 novembre 1816.

J Petite maison (Indre-et-Loire) Petite maison
 
’arrive de Luynes et je trouve ici ta lettre de mardi. Je n’ai rien fait à Luynes, à peine ai-je pu arracher aux fermiers 1000F. Je ne poursuis point les marchands de bois parce que Doré a un fils qui va faire, dit-on un mariage fort avantageux, et mes poursuites contre le père empêcheraient, dit-on, ce mariage, qui pourra aider au paiement de ce qu'on me doit. Je n'en crois rien ; mais pour ne pas empêcher ces gens de coucher ensemble, j'attends le lendemain de la noce pour lâcher contre eux les huissiers. J'ai la réputation d'un homme qu'on ne paie que quand on veut. Cela me fait donner au diable.
Je n'ai point vu les Labéraudière : la mère est malade. Ils se sont fort bien conduits dans une infâme affaire qui a eu lieu dernièrement à Luynes. Dans ce village d'environ 1200 habitants, douze personnes ont été arrêtées pour propos séditieux ou conduite suspecte1. C'étaient les ennemis du curé et du maire2. Les uns sont restés en prison six mois, les autres y sont encore. Une jeune fille se meurt des suites de la peur qu'elle a eue en voyant arrêter son père. Or, dans cette affaire, il paraît que M. de Labéraudière s'est employé tant qu'il a pu en faveur de ces pauvres diables. Cela fait qu'on en dit beaucoup de bien dans le pays. Dans le fait, ce sont des gens fort estimables.

Vendredi à 6 heures du matin.

Je vais aujourd’hui à Larçai. Je verrai en passant la maison de cette bonne dame à qui j’ai parlé hier. Il paraît que cela nous convient. Une petite maison avec logement séparé pour notre garde, quatre arpents de vignes et un jardin le tout dans une exposition admirable, un air à rendre la santé3, et la vie aux morts. Je ne vendrai demain que la coupe de l’année dernière. Comme je veux vendre en deux lots celle de cette année, il faut pour la partager une opération qui ne se peut faire sur le champ et quand même on la pourrait faire, les marchands ne connaissant point chaque lot ne mettraient point aux enchères. Je vais donc aujourd’hui faire faire cette division ; et puis il faut de nouvelles affiches pour vendre ces deux lots dans un mois. Au reste je ne suis pas encore décidé. Si la vente est remise à un mois, je m’en retourne à Paris et reviendrai dans un mois.
J’avais été tranquille jusqu’à présent mais cette nuit j’ai réellement souffert de ne point t’avoir près de moi.
Je n’ai pas besoin, je crois, de te prêcher l’économie. J’apporte ici 1000 F, il faut que je paye à Debaune4 650F d’imposition, au garde ses gages d’un an. Compte un peu ce qui me restera. Je m’en vais batailler encore pour avoir quelques écus, je ne sais si j’y réussirai. Il faut espérer que ta mère5 nous payera exactement sans cela nous ne pourrions vivre.
Les affaires se font ici avec une lenteur assommante6. Ce qui se fait à Paris en une heure, ici demande huit jours. Bidaut est si finaud que je m’en défie toujours. Cependant les faits parlent pour lui. Tout mon argent me rentre et je vois qu’il me rend service.
Adieu. Voilà le jour, je t’embrasse. C’est l’heure comme tu sais. Je m’en vais chez mon ami Godeau7 lui demander un cheval.
Il fait beau mais froid. Je vais geler sur mon cheval, ou plutôt sur mon bœuf, car l’animal que Godeau me donne tient plus du bœuf que du cheval8.
Un curé me disait à Luynes qu'il ne voulait pas me lustrer du plaisir ..... Mets cela avec le dénaturer du médecin9.


[1] C’est la première allusion sous la plume de Courier de ce qui donnera matière à la Pétition aux deux chambres.  Note1
[2] L’abbé Lesourd et Louis de Lugré orthographié Delugré.  Note2
[3] Il ne faut jamais oublier que Courier était de santé précaire.  Note3
[4] C’est la première fois que se rencontre le nom, incorrectement orthographié, du maire de Luynes qui se fait appeler « Archambault-Debeaune », ce qui permet de croire qu’il descend de Jacques de Beaune, baron de Semblançay. Il deviendra très rapidement à l’origine de nombreux tracas pour Courier et le chicanera de mille manières.  Note4
[5] Cela semble signifier que la mère d’Herminie était une femme de tête et que son mari, Etienne Clavier se désintéressait des questions d’ordre matériel.  Note5
[6] Parfaite illustration de la légendaire « mollesse tourangelle ».  Note6
[7] Godeau devait être un voisin de la Filonnière.  Note7
[8] On se souvient que Courier était un cavalier émérite.  Note8
[9] Sautelet écrit en note : « Un médecin consulté par Courier lui répondit un jour gravement : Monsieur, ce symptôme me dénature votre maladie ; voulant dire dénote.  Note9

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