Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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prec A M. Klewanski - 10 juin 1806 [sans mention]1 Sans mention de Crotone - 1806 Suiv

Monteleone … juin 18062

Général Jean-Louis-Ébénézer ReynierGénéral Jean-Louis-Ébénézer Reynier J 'arrive. Sais-tu ce qu'il3 me dit en me voyant : Ah, ah ! c'est donc vous qui faites prendre nos canons ? Je fus si étourdi de l'apostrophe que je ne pus d'abord répondre ; mais enfin la parole me vint avec la rage, et je lui dis bien son fait4. Non ce n'est pas moi qui les ai fait prendre ; mais c'est moi qui vous fais avoir ceux que vous avez. Ce n'est pas moi qui ai publié un ordre dont le succès dépendait surtout du secret ; mais je l'ai exécuté malgré cette indiscrétion, malgré les fausses mesures et les sottes précautions, malgré les lenteurs et la perfidie de ceux qui devaient me seconder, malgré les Anglais avertis, les insurgés sur ma route, les brigands de toute espèce, les montagnes, les tempêtes, et par-dessus tout sans argent. Ce n'est pas moi qui ai trouvé le secret de faire traîner deux mois cette opération, presque terminée au bout de huit jours, quand le roi et l'état-major me vinrent casser les bras. Encore, si j'en eusse été quitte à leur départ ! Mais on me laisse un aide de camp pour me surveiller et me hâter, moi qu'on empêchait d'agir depuis deux mois, et qui ne travaillais qu'à lever les obstacles qu'on me suscitait de tous côtés ; moi qui, après avoir donné de ma poche mon dernier sou, ne pus obtenir même la paie des hommes que j'employais. Et où en serais-je à présent, si je n'eusse d'abord envoyé faire foutre mon surveillant, trompé le ministre pour avoir la moitié de ce qu'il me fallait, et méprisé tous les ordres contraires à celui dont j'étais chargé ? Vous me tentez en m'assurant qu'une traduction de ces vieux mathematici me couvrirait de gloire. Je n'eusse jamais cru cela. Mais enfin vous me l'assurez et je saurai à qui m'en prendre, si la gloire me manque après la traduction faite. Car je la ferai, chose sûre. J'en étais un peu dégoûté, de la gloire, par de certaines gens que j'en vois couverts de la tête aux pieds et qui n'en ont pas meilleur air. Mais celle que vous me proposez est d'une espèce particulière, puisque vous dites que moi seul je puis cueillir de pareils lauriers. Vous avez trouvé là mon faible. A mes yeux, honneurs et plaisirs par cette qualité d'exclusifs acquièrent un grand prix. Ainsi me voilà décidé ; quelque part que ce livre me tombe sous la main, je le traduis, pour voir un peu si je me couvrirai de gloire.
canon Ce ne fût pas moi qui dispensai la ville de Tarente de faire mes transports ; mais ce fut moi qui l'y forçai malgré les défenses du roi. En un mot je n'ai pu empêcher qu'on ne livrât, par mille sottises, douze pièces de canon aux ennemis ; mais ils les auraient eues toutes si je n'eusse fait que mon devoir.
Voilà, en substance, quelle fut mon apologie, on ne peut pas moins méditée car j'étais loin de prévoir que j'en aurais besoin. Soit crainte de m'en faire trop dire, soit qu'on me ménage pour quelque sot projet dont j'ai ouï parler, il se radoucit. La conclusion fut que je retournerais pour en ramener encore autant et je pars tout à l'heure. Cela n'est-il pas joli ? Par terre tout est insurgé ; par mer les Anglais me guettent. Si je réussis, qui m'en saura gré? si j'échoue, haro sur le baudet5. Ne me viens pas dire : Tu l'as voulu. J'ai cru suivre un ami et non un protecteur ; un homme, non une Excellence. J'ai cru, ne voulant rien, pouvoir me dispenser d'une cour assidue, et, dans le repos dont on jouissait, goûter à Reggio quelques jours de solitude sans mériter pour cela d'être livré aux bêtes. Mais enfin m'y voilà. Il faut faire bonne contenance et louer Dieu de toute chose6, comme dit ton zoccolante7.
Toi tu bandes, tu fous, c’est assez. J'en ferai autant quand j'y serai, en bon lieu comme toi, s'entend. Maintenant je suis démonté de toute manière. Adieu. Guérin te remettra ceci, fais pour lui ce que tu pourras.


[1] Sautelet indique : A M. ***, officier d’artillerie.  Note1
[2] Sautelet indique : Le 22 juin 1806.  Note2
[3] Ce « il  » désigne le général Reynier.  Note3
[4]Expression empruntée à Monsieur de Pourceaugnac, acte I, scène 4.  Note4
[5] Expression tirée des fables de La Fontaine, dans Les animaux malades de la peste.  Note5
[6] Expression tirée des fables de La Fontaine, dans Le gland et la citrouille.  Note6
[7] Moine de l’ordre des Récollets qui marchait toujours chaussé de sandales.  Note7

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