Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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prec Sans mention de Rome le 9 mai 1810 De M. Renouard[1] Sans mention de Tivoli le 13 mai 1810 Suiv

A M. le Conseiller d'ÉtatParis, 11 mai 1810

Directeur général de la Librarie[2]

D Joseph-Marie Portalis Joseph-Marie Portalis (1778 - 1858)
 
ans un voyage que j’ai fait l’année dernière en Italie, j’ai eu le plaisir de découvrir à Florence, avec un de mes amis[3], Parisien et habile helléniste, qu’un manuscrit grec conservé dans la Bibliothèque de Médicis (La Laurentiana), contenait le Roman de Longus en entier, et qu’ainsi on pouvait rétablir la lacune qui existe dans le premier livre de cet ouvrage[4]. Transportés de joie de cette jolie découverte, nous prîmes aussitôt la résolution de publier ce fragment, mon ami se chargea d’en faire la copie, avec l’agrément des Bibliothécaires et bien entendu, sans déplacement du manuscrit dont il ne devait ni ne voulait faire aucun usage que dans la Bibliothèque, et sous l’inspection non interrompue des gardiens. Mes affaires m’appelant à Livourne je quitte Florence pour quelques jours ; à mon retour je vais à la Laurentiane, j’y trouve mon ami et les Bibliothécaires. On me dit que la copie est faite, mais qu’il est arrivé un accident bien désagréable ; M. Courier m’apprend que dans le cours de son travail, voulant l’interrompre pendant quelques moments pour converser avec le Bibliothécaire, il avait pris sur le bureau un papier indifférent pour marquer l’endroit où il avait à revenir, que vingt minutes après, à l’ouverture du livre il avait vu avec douleur que le papier, taché d’encre, à l’envers, était resté collé au manuscrit. On me montre le volume, avec la permission du Bibliothécaire, et en sa présence, je réussis avec quelque soin à détacher ce feuillet étranger, et j’y réussis sans endommager en rien le manuscrit, sans rien attaquer de l’épiderme de ce papier vieux et dégradé par les années. Nous voyons une tache grande comme un écu de six francs, et quelques petites taches à côté. Sur-le-champ, aucune incertitude on vérifie la copie manuscrite faite par M. Courier, et on a la satisfaction de reconnaître qu’aucun des mots couverts d’encre ne présente dans la copie aucun doute aucune incertitude ; c’est donc un malheur arrivé au volume, une tache désagréable mais non pas une perte irréparable, une sorte de calamité littéraire. Je reviens à Paris, et j’y attends cette copie grecque, que soit dit en passant j’y attends encore. A la fin de janvier un ami m’envoie de Milan un journal[5] où cet événement tout simple et auquel je n’ai aucune part, est travesti en un acte de vandalisme, un trait d’avidité, de la part du libraire français, et enfin la note est mensongère d’un bout à l’autre. On dit que j’ai fait la copie ; on l’a faite tandis que je n’étais pas à Florence ; qu’en rendant le ms. j’avais donné pour excuse que mon encrier s’était renversé. Je n’ai pas eu à rendre ce livre qui n’a été confié ni à moi ni à mon ami, et le détail que j’ai fait de l’accident montre la fausseté du récit mis au journal. On ajoute que cette tache est faite avec une encre indélébile qui ne se trouve ni à la Bibliothèque, ni dans aucune boutique de Florence, et que toute la partie inédite est couverte d’encre, tandis que la tache que j’ai vue n’est que de la grandeur d’un écu de six francs. Cette accumulation de faussetés n’a pu avoir pour cause que le désir de nous nuire de l’espèce de bonne fortune littéraire qui nous a fait découvrir en un moment ce que nombre de savants, beaucoup plus doctes que nous deux[6], n’avaient pas aperçu depuis plusieurs siècles ; mais comme le récit du journal travestit en une action basse et méchante ce qui n’est qu’un accident, qu’il attribue cette action à moi qui suis tout à fait étranger même à l’accident arrivé, je demande que vous ayez la bonté d’adresser à M. le préfet de l’Arno[7] une note par laquelle vous voudrez bien l’inviter à faire constater par les Bibliothécaires que la note insérée au journal est fausse en ce que le libraire français qui y est désigné n’a rien copié du ms., qu’il était absent de Florence quand la tache a été faite, et enfin que cette tache faite par une autre personne, qu’on nommera si l’on veut, a eu lieu dans la Bibliothèque sous les yeux de MM. les Bibliothécaires, et par l’effet d’un papier mis par mégarde dans le manuscrit.
Je joins la copie de la note italienne qui fait l’objet de ma réclamation, elle est du Corriere Milanese, 23 janvier 1810.
Recevez, je vous prie, mes excuses de cette importunité, mais vous ne sauriez croire quelle désagréable sensation a faite en Italie cette note calomnieuse, et incapable d’une mauvaise action, je dois employer tous les moyens pour ne pas rester chargé d’une inculpation dont il est si facile de démontrer l’entière fausseté.
Je suis avec respect

Votre très humble serviteur

Ant. Aug. Renouard


[1] Renouard dont l’honneur était bafoué avait pressé Courier de dire haut et clair ce qui s’était passé à la bibliothèque de Florence le 10 novembre 1809. Celui-ci s’y était refusé. Aussi, après plusieurs mois d’attente, Renouard se décida-t-il à exposer lui-même le cours des événements relatifs à la tache faite sur le manuscrit du Longus.  Note1
[2] Il s’agit de Joseph-Marie Portalis. Né à Aix-en-Provence le 17 février 1778, fils du « père du code civil », il fut d’abord employé par Joseph Bonaparte jusqu’en 1805. Après la mort de son père survenue le 25 août 1807, il fut chargé par intérim du portefeuille du ministère des cultes et devint directeur de l’Imprimerie et de la Librairie (lire premier censeur impérial). En 1809, il fut fait comte d’Empire, mais déplut à Napoléon qui le destitua le 1er janvier 1811 de toutes ses charges. Il le rappela néanmoins le 14 décembre 1813 pour le nommer premier président de la cour d’appel impériale d’Angers, poste qu’il occupa jusqu’à la fin des Cent-Jours. Lors de la Restauration, il devint un des plus zélés défenseurs de la cause royaliste : Decazes le fit élire à la Chambre des pairs, dans laquelle il siégea pendant plus de trente années, et lui confia le poste de sous-secrétaire d’État au ministère de la Justice. Chargé par intérim du portefeuille du département de la Justice pendant l’absence du garde des sceaux, il fut nommé président de chambre en la Cour de cassation en 1824. Promu garde des sceaux en 1828, il échangea l’année suivante ce portefeuille pour celui des Affaires étrangères. Il se rallia sans se faire prier au gouvernement de Louis-Philippe, et continua de prendre une part active aux travaux de la Chambre des Pairs, dont il fut un des vice-présidents. Il prêta l’appui de sa voix et de son influence à toutes les mesures conservatrices et répressives. Il entra en 1838 à l’Académie des sciences morales et politiques. Il parvint étonnamment à conserver sa place de premier président de la cour de Cassation lors de la révolution de février 1848. Après le Coup d’État de 1851, Louis-Napoléon Bonaparte le nomma sénateur : bel exemple de « girouette » il réussit sans peine à servir tous les régimes jusqu’à sa mort survenue à Passy le 5 août 1858.  Note2
[3] Renouard fanfaronne quand il se prétend ami de Courier. Ce dernier ne marchandait certes pas son amitié mais ne l’accordait pas non plus facilement. Renouard use de ce terme sans doute pour « simplifier » son récit de cette affaire. D’autre part, il s’attribue une part dans la découverte du manuscrit du Longus que Courier, encore soldat, avait identifié comme complet lors de son passage à Florence le 20 décembre 1807.  Note3
[4] Renouard s’attribue un peu rapidement (et faussement) la découverte faite par Paul-Louis Courier. Il se flatte aussi d’être l’ami de Courier, ce qui est loin d’être une vérité.  Note4
[5] Il s’agit du Corriere Milanese du 14 janvier 1810, visiblement mal renseigné et qui affirma faussement que Renouard était responsable de la tache faite sur le manuscrit. Le bibliothécaire del Furia en personne remit en question cet article, rétablit la vérité et attribua à César ce qui revenait à César, entendre ici Courier, dans son factum du 5 février au directeur des études de Vimercate Dominique Valeriani.  Note5
[6] Téméraire maladresse de Renouard à l’encontre de Courier que cette affirmation selon laquelle qu’à des savants « beaucoup plus doctes que nous deux » avait, depuis plusieurs siècles, échappé cette découverte.  Note6
[7] Il s’agit du baron d’Empire Fauchet, Jean, Antoine, Joseph né le 31 août 1761 à Saint-Quentin, ami de Washington, membre du Grand Orient, préfet de l’Arno de 1809 à 1814, membre de la Légion d’honneur le 30 juin 1811. Il sera député de la Chambre des représentants pendant les Cents-Jours. Mis à l’écart par la Restauration, il mourut le 13 septembre 1834 à Paris.  Note7

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