Paul-Louis Courier

épistolier, pamphlétaire, helléniste
photo1 photo2
 
prec Sans mention de Tivoli le 12 septembre 1810 Sans mention Sans mention de Tivoli le 15 septembre 1810 Suiv

Tivoli, le ... septembre 1810[1]


O Jean Ambroise Baston de Lariboisière Jean Ambroise Baston de Lariboisière (1759 - 1812)
 
n m'assure, mon général, que vous ou le ministre[2] demandez de mes nouvelles, et que vous voulez savoir ce que je suis devenu depuis que j'ai quitté le service.
Ma démission acceptée par Sa Majesté, je vins de Milan à Paris, où après avoir mis quelque ordre à mes affaires, me trouvant avec des officiers de mes anciens amis qui passaient de l'armée d'Espagne à celle du Danube, je me décidai bientôt à reprendre du service. J'allai à Vienne avec une lettre du ministre de la Guerre qui autorisait le général Lariboisière à m'employer provisoirement. Cette lettre fut confirmée par une autre du major-général de l'armée portant promesse d'un brevet et on me plaça dans le quatorzième corps, toujours provisoirement.
Quelqu’argent que j'attendais m'ayant manqué pour me monter, j'eus recours au général Lariboisière dont j'étais connu depuis longtemps. Il eut la bonté de me dire que je pouvais compter sur lui pour tout ce dont j'aurais besoin, et comptant effectivement sur cette promesse, j'achetai au prix qu'on voulut l'unique cheval qui se trouvât à vendre dans toute l'armée. Mais quand pour le payer je pensais profiter des dispositions favorables du général Lariboisière, elles étaient changées. Je gardai pourtant ce cheval, et m'en servis pendant quinze jours, attendant toujours de Paris l'argent qui me devait venir. Mais enfin mon vendeur, officier bavarois, me déclara nettement qu'il voulait être payé ou reprendre sa monture. C'était le 4 juillet, environ midi, quand tout se préparait pour l'action qui commença le soir. Personne ne voulut me prêter soixante louis, quoiqu'il y eût là des gens à qui j'avais rendu autrefois de ces services. Je me trouvai donc à pied quelques heures avant l'action. J'étais outre cela fort malade. L'air marécageux de ces îles m'avait donné la fièvre[3] ainsi qu'à beaucoup d'autres, et, n'ayant mangé de plusieurs jours, ma faiblesse était extrême. Je me traînai cependant aux batteries de l'île Alexandre, où je restai tant qu'elles firent feu. Les généraux me virent et me donnèrent des ordres et l'Empereur me parla. Je passai le Danube en bateau avec les premières troupes. Quelques soldats, voyant que je ne me soutenais plus, me portèrent dans une baraque où vint se coucher près de moi le général Bertrand. Le matin l'ennemi se retirait, et loin de pouvoir suivre à pied l'état-major, je n'étais pas même en état de me tenir debout. Le froid et la pluie affreuse de cette nuit avaient achevé de m'abattre. Sur les trois heures après midi, des gens, qui me parurent être les domestiques d'un général, me portèrent au village prochain, d'où l'on me conduisit à Vienne.
Je me rétablis en peu de jours, et, faisant réflexion qu'après avoir manqué une aussi belle affaire, je ne rentrerais plus au service de la manière que je l'avais souhaité, brouillé d'ailleurs avec le chef sous lequel j'avais voulu servir[4], je crus que, n'ayant reçu ni solde ni brevet, je n'étais point assez engagé pour ne me pouvoir dédire, et je revins à Strasbourg un mois environ après en être parti. J'écrivis de là au général Lariboisière pour le prier de me rayer de tous les états où l'on m'aurait pu porter, j'écrivis dans le même sens au général Aubry qui m'avait toujours témoigné beaucoup d'amitié; et quoique je n'aie reçu de réponse ni de l'un ni de l'autre, je n'ai jamais douté qu'ils n'eussent arrangé les choses de manière que ma rentrée momentanée dans le corps de l'artillerie fût regardée comme non avenue.
Depuis ce temps, mon général, je parcours la Suisse et l'Italie. Maintenant je suis sur le point de passer à Corfou, pour me rendre de là, si rien ne s'y oppose, aux îles de l'Archipel; et après avoir vu l'Égypte et la Syrie, retourner à Paris par Constantinople et Vienne.


[1] Sautelet indique le général Gassendi et date du 5 septembre.  Note1
[2] Clarke, ministre de la Guerre.  Note2
[3] On sait que Courier avait contracté le paludisme durant la campagne de Calabre.  Note3
[4] Lariboisière.  Note4

trait

prec Sans mention de Tivoli le 12 septembre 1810 Home
Début
Sans mention de Tivoli le 15 septembre 1810 Suiv