Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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prec De M Aubin Louis Millin le 22 octobre 1810 Sans mention[1] De M. Clavier de Paris le 23 octobre 1810 Suiv

Rome, le 22 octobre 1810

G Alde Manuce Alde Manuce (1449-1515)
 
rand merci, Monsieur, de vos bons avis. Je suis enchanté que mon petit cadeau vous agrée. Je n'ai point eu d'autre dessein que de plaire aux gens comme vous. Il est sûr que les manuscrits m'ont fourni des choses très-précieuses. Mais, à dire vrai, mon travail n'est rien. J'aurais fait quelque chose à Paris avec des livres et du temps. Car il faut vous imaginer qu'on ne soupçonne pas en Italie, qu'il ait rien paru depuis les Alde2 en matière de grec ou de critique. M. Furia, bibliothécaire, n'aurait jamais su sans moi qu'il y eût d'autres éditions de Longus que celle de Jungermann3; c'est ce que vous pouvez voir dans la préface de son Ésope. Voilà dans quelle misère il m'a fallu travailler; logé à l'auberge, notez encore ce point, et dans les transes d'un homme qui voit les archers à ses trousses. Car je savais à merveille ce qui se tramait contre moi. Pensez à tout cela, et puis querellez-moi sur les fautes d'impression, je vous répondrai comme Brunet4 : Tu veux de l'orthographe avec une méchante plume d'auberge !
Le vizir de la Librairie5 a en effet donné un ordre de saisir tout mon grec. Mais cet ordre n'a pas été exécuté. Je ne sais bonnement pourquoi. Le fait est qu'on s'est contenté de prendre quelques informations, auxquelles j'ai répondu d'assez mauvaise humeur. Ma lettre a dû être envoyée à cette Excellence. Toutes ces chicanes m'ont déterminé à faire imprimer une complainte, diatribe, ou invective, comme il vous plaira l'appeler, en forme de Lettre à M. Renouard. On trouve que dans cette brochure je ne parle pas assez civilement des gens qui veulent me faire pendre. Je vous l'ai envoyée ; mais il se pourrait qu'on eût arrêté le paquet à la poste.
Si vous revoyez ce bon monsieur de la direction de la Librairie, assurez-le bien, je vous prie, que je n'ai point la rage de me faire imprimer ; que le hasard,

Et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant
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m'a fait traduire ce fragment ;

Que cent fois j'ai maudit cette innocente envie ;7

que je fais un vœu bien sincère, et un ferme propos de ne jamais rien écrire en quelque langue que ce soit pour le public ; qu'enfin lui et son directeur, si j'échappe de leurs mains redoutables peuvent compter qu'ils n'entendront jamais parler de moi.


[1] Sautelet donne Boissonnade comme destinataire.  Note1
[2] Teobaldo Manucci changea son nom en Aldo Manuzio est connu en France sous le nom d’Alde Manuce (1449-1515). En 1490, il s’établit à Venise comme imprimeur. Sa maison d'édition se consacra essentiellement aux œuvres grecques. Sa première publication fut une grammaire grecque et latine de Constantin Lascaris (1495). Il commença, la même année, l’impression des œuvres d’Aristote. L'invention de l'imprimerie (1434 pour la presse, 1450 pour les caractères mobiles métalliques), de fait, favorisa d'abord l'édition en latin. Le grec était moins connu et surtout plus difficile à reproduire typographiquement. Il mourut d’épuisement à Venise en 1515. Ses fils poursuivirent son œuvre.  Note2
[3] Jungermann Gottfried (ou Godefroy), originaire de Leipzig, (1577 ?-1610) fut si passionné pour les lettres qu’il quitta l’imprimerie Estienne pour occuper un poste de modeste correcteur auprès de l’imprimeur Wéchel, à Francfort. Il devint lui-même imprimeur et produisit le premier texte en latin des amours de Daphnis et Chloé qu’il annota lui-même.  Note3
[4] Né à Paris le 17 novembre 1766, Joseph Mira, alias Brunet, est un acteur comique. Condisciple de Talma, il s’assure réputation au Théâtre Montansier en mai 1799 dans Cadet-Roussel barbier à la fontaine des Innocents, folie en un acte de Joseph Aude. Il y incarne le rôle de Cadet Roussel. Il prend le pseudonyme de Brunet en hommage à Mme de Montansier dans la troupe de laquelle il avait fait ses débuts en 1795 et dont le nom véritable était Marguerite Brunet. Durant sa longue carrière, il interpréta plus de 600 rôles. Directeur du Théâtre des Variétés, à Paris, de 1820-1830, il meurt ruiné à Fontainebleau le 21 février 1853. La phrase que cite Courier est très certainement une réplique de l’acteur.  Note4
[5] Par ce sobriquet, Courier désigne Joseph Marie Portalis.  Note5
[6] On aura reconnu ici deux vers célèbres pris dans Les animaux malades de la peste.  Note6
[7] Vers pris dans la scène 1 de l’acte I de la pièce de Molière, Les Fâcheux.  Note7

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