Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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La dame de la Chavonnière

Un avenir prometteur

La dame de la Chavonnière de Laurence Winthrop
La dame de la Chavonnière de Laurence Winthrop
 
T out le monde n’a pas eu la chance d’avoir été parisien et élève de Louise-Élisabeth Vigée-Lebrun, de l’Académie royale de Paris, de Rouen, de Saint-Luc de Rome et d’Arcadie, de Parme et de Bologne, de Saint-Pétersbourg de Berlin, de Genève et Avignon. Jeune fille de bonne famille dont le père Etienne Clavier, passionné des écrivains de la Grèce antique, occupe depuis le 20 mars 1812 la chaire d'Histoire et Morale au Collège de France, Esther-Etienne-Herminie Clavier, couramment appelée par son troisième prénom, connut ce privilège. Le subtil autoportrait à l’aquarelle qu’elle a réalisé en 1833 nous permet de penser que l’élève eût pu avoir un avenir assuré sous la forme d’une belle carrière de peintre et être à son tour reconnue comme telle. La vie en décida autrement.
Cette vie, Laurence Winthrop, dont Herminie est la trisaïeule, s’est aventurée à la reconstituer dans une biographie romancée. Braquer la lumière sur la compagne oubliée d’une célébrité est osé et n’est pas sans risque. Ajoutons à ceci que pareille entreprise est pleine de mérite. Pour ne point se perdre et nous perdre, l’auteur a adroitement entrecroisé les chapitres inspirés de la réalité connue de tout couriériste avec ceux de l’imagination convoquée au banc de l’écriture par elle. Encore faut-il que cette « folle du logis », pour reprendre la saisissante formule de Malebranche, reste sage et vraisemblable. Sur ce point, pour s’être fermement accroché au garde-fou que la crédibilité oppose à la fiction soucieuse de s’affranchir de la réalité, le biographe n’est jamais mis en défaut.
Roman mené souvent tambour battant, comme dans le chapitre I. Alors que Napoléon vient de perdre devant la sixième coalition et est relégué sur l’Île d’Elbe, Herminie se choisit un destin personnel et la France un nouveau destin. Dans le récit qui s’offre à lui, le lecteur constate que tout se met rapidement en place comme agit justement le peintre figuratif de plein air, soumis aux changements de lumière : personnages, décors dans lesquels ils évoluent, leur passé, caractères, ce qu’ils attendent de l’existence. Mise en scène vivante comme le montrent ces premières lignes :

- Zaza, tu as vu mes bottines ? Les nouvelles que maman m’a achetées hier ? En chevreau noir, avec des boutons nacrés ? Il me les faut absolument. Je veux les mettre avec ma robe de percale. - Aucune idée. Si tu rangeais mieux tes affaires, tu les trouverais. C’est pour les invités de papa que tu te mets en frais ?
- C’est pour moi. J’aime me faire plaisir, mais j’aime aussi voir que je plais.
- Il y aura qui au salon ?
- Je ne sais pas !
- Menteuse, il y aura en tout cas M. Courier. Depuis qu’il est rentré d’Italie, il vient souvent voir papa et pas seulement pour parler de littérature grecque. J’ai bien vu qu’il t’observait et qu’il aimerait bien te parler… (p. 11)

« A quoi rêvent les jeunes filles ? » interrogera Alfred de Musset une vingtaine d’années après cette première scène imaginée. Ici, dans la famille Clavier, rien que de très banal : âgée de 19 ans, l’aînée des deux filles de la maison rêve d’épouser un ami de son père du nom de Paul-Louis Courier. Esther, la jeune sœur, que tout le monde appelle Zaza, du haut de ses quinze ans, fine mouche, l’a deviné. Elle gausse Herminie qui se défend mal.
On aura remarqué d’emblée le parti pris d’une langue orale familière sans être triviale. C’est que le personnage central de cette composition est lui-même moderne et revendique cette modernité sans jamais tomber dans l’excès débridé, la caricature de mœurs ou le trompe-l’œil.
Le chapitre III s’attarde sur les fiançailles d’Herminie et Paul-Louis qui a 42 ans puis sur la cérémonie de noces célébrées le 14 mai 1814. La précision du repas servi par des dizaines de jeunes garçons avec une rapidité et une habileté impressionnantes, visiblement rôdés à cet exercice aux invités dont Nicolas Haxo, l’ami le plus cher de Courier, ne fait pas partie1 ne laisse pas de faire saliver :

Matelote d’anguille et de carpe
Palais de bœuf à l’italienne
Salade de volaille aux anchois et aux cornichons
Fèves de marais
Fromage de Neufchâtel
Sorbet
Bourgogne montrachet champagne (p. 88)

La Chavonnière à Véretz
La Chavonnière, Habitation du pamphlétaire P.-L. Courier
près de laquelle il fut assassiné en 1825
La vie conjugale avec celui qui va bientôt devenir pamphlétaire redouté et redoutable et embrasser entièrement la mouvance résolument hostile au nouveau pouvoir en place ne répondra pas aux attentes et rêveries de la jeune femme. Le conte se transforme en mauvais rêve puis en cauchemar. Dans la Chavonnière, qui, sur les hauts de Véretz, surplombe le Cher nonchalant, qu’elle occupe souvent seule, Mme Courier prend conscience de la faillite de ses espérances : son talent de peintre ne trouvera pas à s’exercer, son amour du piano ne pourra être célébré faute d’instrument, le plaisir tiré de la conversation sera tari, les visites seront rares. Non que l’époux souvent absent soit indifférent aux aspirations de sa jeune Minette mais parce que les affaires du ménage sont calamiteuses et l’aimé accaparé par ses engagements politico-littéraires. Aussi Mme Courier devient-elle la dame de la Chavonnière et se transforme en administratrice de la ferme conjugale et des quelque soixante hectares qui en dépendent comme des 250 hectares de la forêt de Larçay acquise par son mari en décembre 1815.
Ceux qui connaissent la biographie du pamphlétaire ne seront pas surpris par le chapitre VII. Rien n’est celé de la vérité historique. Au terme d’une lente descente aux enfers du couple mûrit une atroce fermentation. Il en résulte une implacable machination : le maître de la Chavonnière est assassiné le dimanche 10 avril 1825.
S’ensuivent deux instructions, celle de 1825 où Herminie accuse sur-le-champ celui qui a tiré le coup de fusil sur son mari et ne sera pas jugé coupable au verdict du premier procès  celle de 1830 où, pour se venger, le coupable mis hors de cause affirme à son tour qu’Herminie fut le commanditaire de cet assassinat. La jeune mère – Mme Courier a eu deux enfants, deux garçons, l’aîné de dix ans, le plus jeune d’un peu plus de cinq ans - est assignée à comparaître devant le juge d’instruction à Tours. Elle se languira de ses fils le temps de son emprisonnement à Tours, au terme duquel, n’ayant trouvé aucune charge probante contre elle, le juge la relâchera.

Une deuxième chance

Théodore David Eugène Maunoir
Théodore David Eugène Maunoir
1er juin 1806 - 26 avril 1869
 
U ne seconde vie se présentera à cette femme que la souffrance n’a pas épargnée. Après 1827, année où elle quitte la Touraine, elle vit à Paris chez sa mère veuve depuis 1817. Elle y fait connaissance d’un jeune étudiant Genevois : Théodore Maunoir. Ni Genève ni la Suisse ne dispensant cette discipline, ce dernier étudie la médecine à Paris. Lisons ce qui est dit après libération d’une femme qui n’aspire qu’à revoir ceux qu’elle aime :
Durant le voyage de retour, cahotée par la berline, elle eut le temps de mesurer le chemin parcouru depuis son départ de Paris, son emprisonnement, ses interrogatoires, les répercussions sur sa famille, la mort du père de Théodore, l’anxiété de sa mère, sa grossesse… Théodore était rentré de Genève après l’enterrement et l’attendrait à l’arrivée de la diligence à Paris. Elle se sentait lourde de fatigue du voyage et de ses trois derniers mois d’angoisse.
La jubilation de se retrouver libre, innocentée, le bonheur de retrouver Théodore et ses enfants furent cependant de courte durée. Beaucoup de problèmes restaient à résoudre dans les prochaines semaines. A commencer par les enfants. Que leur dire sur son absence de trois mois ? Mme Clavier avait expliqué que des complications liées à la vente de la Chavonnière et l’entretien de la forêt de Larçay avaient nécessité la présence de leur mère sur place. Mais Paul avait 10 ans et aurait d’autres questions quand il apprendrait que ses anciens amis de la Chavonnière étaient les assassins de son père.
Sa grossesse arrivait au sixième mois et s’achèverait vraisemblablement en juin, en plein procès ! Pourrait-elle éviter de s’y présenter ? Mais où aller ? Chez sa mère ? Sa vie mondaine avait déjà beaucoup souffert de l’incarcération de sa fille. Fallait-il y ajouter sa grossesse hors mariage ? […]
(p. 249)
La suite coule de source : Herminie met au monde en Italie, le 23 juin 1830, un petit garçon prénommé Charles et reconnu par Théodore. Un second fils nommé Paul leur naîtra en juin 1835 à Genève.
La relation entre les deux parents est officialisée par un mariage célébré selon le rite catholique à Paris le 13 novembre 1832 à l’église Sainte Eustache2. Pourquoi avoir attendu plus de deux ans pour légitimer cette relation ? Pour deux raisons : d’abord parce que, de confession calviniste, Théodore doit respecter la durée du deuil car son père, comme on l’apprend dans le passage cité à l’instant, est décédé. Le triste événement a brutalement eu lieu le 23 janvier 1830  ensuite parce que le futur époux s’engage corps et âme dans une lutte de tous les instants contre l’épidémie de choléra qui s’est abattue sur la France et à Paris en particulier. Dès mars 1832, lit-on à la page 255, Théodore passait ses journées et ses nuits à l’Hôtel-Dieu. Au début de l’épidémie, il avait la charge, assisté d’aides-soignants, d’une centaine de lits durant la journée. La nuit, une autre équipe prenait la relève pour laisser dormir celle du jour. Mais l’organisation avait volé en éclats dès le troisième jour face à l’explosion des urgences…
Cette seconde union permettra à Herminie de bénéficier d’une nouvelle existence. Plus jeune qu’elle d’une dizaine d’années, son époux s’empressera de lui rendre la vie la plus agréable possible. Les souffrances de celle qui fut la dame de la Chavonnière seront comme adoucies par le bonheur de la dame de Genève. Elle pourra enfin s’adonner à la peinture, la musique et aux joies de l’existence : Ses doutes, ses blessures faisaient place à l’harmonie et au possible bonheur à deux. (p. 232). Et si les enfants de son premier lit n’étaient retenus par leurs occupations en France ou hors de France, son bonheur serait total.
On ne dévoilera pas la fin de cette vie romancée sinon pour dire qu’il ne s’agit pas d’une happy end. Chacun découvrira cette fin et jugera à l’aune de ses critères si Herminie réussit ou non sa propre vie. Contentons-nous de dire que La dame de la Chavonnière nous présente une femme dont l’auteur nous prévient dans sa courte introduction qu’elle eut une « vie bouleversante et tourmentée » et qu’il convient de « percevoir la force de son tempérament et de ses qualités humaines ».
La consultation de la correspondance d’Herminie Courier remise à la BNF fut une aide précieuse pour l’écriture de ce roman. Il y a plus : la découverte inattendue de huit lettres jusque-là oubliées d’Herminie Maunoir retrouvées par chance par Laurence Winthrop dans les archives de la famille Maunoir, c’est-à-dire de sa famille, confère à cette biographie, qui est tout sauf hagiographie, outre un supplément d’âme, une indiscutable pertinence.

Jean-Pierre Lautman

Laurence Winthrop, La dame de la Chavonnière, Genève, éditions la Baconnière, 2015, 304 pages, 20 €

 



[1] [NDLR] Courier l’ignorait sans doute : à cette date, Haxo était prisonnier des Autrichiens depuis neuf mois.  Note1
[2] [[NDLR] Celle-là même ou Paul-Louis Courier fut baptisé le jour de sa naissance.  Note2

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