Paul-Louis Courier

Epistológrafo, libelista, helenista
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Paul-Louis nous écrit ...

M onsieur et φίλων ἄριστε1,

Je ne voulais point vous écrire ; je voulais vous aller voir. Je me promettais de le faire après que j’eus consulté … comment dites-vous ? le site sur le net ? que vous me consacrez et notamment la page d’ouverture. C’est fait. Les gens qui ne réfléchissent point, à la tête desquels vous pouvez me mettre, trouvent encore dans votre époque de bons moments. Rien, je vous assure, ne pouvait me faire plus de plaisir que votre site hormis peut-être... nous verrons cela une autre fois. D’emblée, je vous dirai cette chose indiscutable : à la différence de bien des méchants bouquins qui prétendent parler de moi, je n’ai pas rencontré de niaiseries non plus que de malveillances sur ce site. La chose est si rare qu’il fallait que je vous la disse.
Cela s’explique sans doute par ce qui suit. Votre webmaster de complice, comme vous et moi, porte un prénom composé. Choix de nos parents. Bon choix sans doute réservé aux grandes âmes. Et puisqu’il est vrai que votre amitié me fait honneur, j’aurais mauvaise grâce à trouver quelque défaut à cette entreprise que vous avez menée avec votre ami. Vous savez comme moi que les amis de nos amis sont nos amis. Vous le remercierez donc quand vous le rencontrerez et lui direz que je ne tarderai pas à m’entretenir avec vous deux sur ce site http://www.paullouiscourier.fr
A présent, vous serez bien aise d’apprendre ce que je deviens.
Depuis que j’ai brutalement quitté ce monde, je n’ai pas trouvé une seconde de libre. Jamais je ne fus en lieu ni même en humeur de goûter autant de bonnes lectures. Je puis vous faire une confidence : là où je suis et où vous serez un jour, chacun se livre à l’activité qui le satisfaisait le plus du temps de son vivant et ne s’en dégoûte jamais. J’ai vu Vatel : il cuisine du matin au soir ; Aristote : il parle en marchant toujours suivi de ses élèves ; Michel-Ange : lui sculpte un jour, peint le lendemain ; Montaigne remplit des pages et des pages sans daigner lever la tête et Bonaparte s’échine à transformer Waterloo en victoire française… Hormis pour le fondateur de la nouvelle dynastie, défait par les Anglais, il m’est arrivé souvent d’être en bien moins bonne société. Quand je vivais, je pensais qu’il n’était pire compagnie qu’une compagnie de gens de lettres, et puis leurs conversations me faisaient crever de rire. Ici, on ne rit plus. Ni ne pleure. Plus de passions bassement humaines : les morts ne goûtent que le meilleur de la vie sans se poser de questions.
J’observe chaque jour notre nation. Si l’existence des Français n’a plus rien à voir avec celle menée quand je fulminai contre Napoléon, les mœurs de ces derniers sont bien les mêmes. Mais avant que je vous fasse part de mes observations, souffrez que je vous entretienne d’autre chose. Le rideau de fumée dissipé, j’ai pu me rendre compte qu’on a évolué mais pas forcément dans le bon sens. Quand j’habitais Véretz, les gens de labeur étaient occupés seize heures par jour ; le travail ne manquait pas. Le voici devenu privilège. Je vois tous ces jeunes ou toutes ces vieilles barbes non encore blanches condamnés à l’oisiveté et au fatalisme mendicitaire. Quand on connaît la richesse du terroir français, on sait qu’il recèle de quoi nourrir toutes les bouches et employer tous les bras. Faut-il croire qu’un démon veille de loin pour que cette situation reste en l’état ? Quant à la mondialisation, vous qui avez encore à traîner cette enveloppe qu’est un corps en connaissez plus que moi les effets. Tout ceci n’est pas de nature à rassurer un esprit libre. Dites-moi dans une prochaine de vos lettres (si vous écrivez encore) ce que vous pensez de tout cela. La vie d’un vivant et même d’un bon vivant m’intéresse au plus haut point.
Ce qui m’a surtout sauté aux yeux c’est cette vertu inchangée de mes compatriotes et donc des vôtres. Naguère, j’écrivis :

Tout le monde en France fait sa cour. C’est votre art, l’art de plaire dont vous tenez école ; c’est le génie de votre nation. L’Anglais navigue, l’Arabe pille, le Grec se bat pour être libre, le Français fait la révérence et sert ou veut servir. Il mourra s’il ne sert…

Je sais que ce que vous appelez « le politiquement correct » m’empêcherait aujourd’hui de formuler le même jugement. Pourtant, il n’y a rien à y changer. Le peuple a oublié qu’il fut un temps où il conduisit le monde sur un chemin pavé de bonnes intentions. C’est du passé. La vertu semble avoir disparu mais l’esprit de cour est resté, solide, inébranlable, sorte de noyau constitutif de l’âme française. Il sévit notamment dans le château où vécut le duc de Berry assassiné cinq ans avant moi. Cela me fait penser à une anecdote rapportée par Chamfort. Elle concerne l’aïeul d’un de mes vieux amis libéraux du temps où nous luttions contre les excès de la Restauration :

Le comte d’Argenson, homme d’esprit, mais dépravé, et se jouant de sa propre honte, disait : « Mes ennemis ont beau faire, ils ne me culbuteront pas : il n’y a personne ici plus valet que moi. »

Je crois que ce mal frappe partout et tous les âges.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés

comme les animaux de La Fontaine.
Triste constat. Mon jugement s’étayait sur le passé et le présent. J’étais loin d’imaginer qu’il aurait même valeur pour l’avenir…
Agréez, je vous en supplie, l’assurance très sincère de mon respect et de mon attachement et faites-en profiter votre ami Jean-François.

Courier

P.-S. Mille pardons pour ce chiffon et pour les ratures, je suis obligé d’économiser pour le moment ma réserve de feuilles, l’ayant partagée avec Pascal, Molière et Voltaire. Ils en sont grands consommateurs et suis obligé d’attendre la prochaine livraison. Je vous informerai s’il naît quelque chose de nouveau de leurs griffonnages. Ou, pourquoi pas ? des miens.


[1] φίλων ἄριστε : O le meilleur des amis.  Note1



Réponse d'un lecteur assidu

Paris, le 7 novembre 20…

M onsieur,

Notre ami commun m’a fait parvenir votre courrier malgré les vicissitudes que lui procure la tachitypie dont vous dénonciez ironiquement et prophétiquement naguère les effets pervers. Cette « nouvelle presse maniable, légère, mobile, portative, à mettre dans la poche » que vous imaginiez a hélas ! envahi les villes et les campagnes plus vite que la peste ou le choléra. Lorsque vous écriviez au rédacteur du Censeur « Je vous laisse à penser, monsieur, quel déluge va nous inonder, et ce que pourra la censure contre un pareil débordement », vous auguriez comme Remus et Romulus d’un avenir pour tous les peuples dont je ne saurais dire s’il est bon ou mauvais.

Adieu, les ressorts de la politique : intrigues, complots, notes secrètes ; plus d’hypocrisie qui ne fût bientôt démasquée, d’imposture qui ne fut démentie.

Vous ne pensiez si bien dire lorsque vous écrivîtes que cette machine permet d’imprimer sur l’heure et de « tirer à mille exemplaires toute la conversation, à mesure que les acteurs parlent ». Mille, que dîtes-vous ? un million ! un milliard ! Et même si les juges d’aujourd’hui décident avec la même équité que ceux qui ont « vécu à vos dépens », chacun peut aujourd’hui connaître les pensées, souvent plus basses que hautes, de ceux qui nous gouvernent et le faire savoir à ses voisins. Les rires sont devenus une arme de choix auprès des petites gens et des ignorants. L’art du pamphlet, que vous avez porté aux sommets, s’est répandu, permettez que je reprenne ce mot de vous, comme « la vérole infuse dans les Italiens », a pris racine et s’est développé en tout lieu de la terre. Au point qu’il ne se passe de soirées sans qu’une lettre ou un billet ne mette au pilori les puissants coupés du monde du labeur et nos courtisans et leurs légions d’alliés. Il n’en reste pas moins que toutes ces attaques atteignent rarement le niveau de qualité des vôtres, tant il est vrai que sur cette machine, on trouve tout et le contraire de tout.

Les fripons n’ont pas laissé cette invention envahir leurs territoires en restant coi. Les voleurs s’en sont emparé pour détrousser les bourgeois et les paysans avec une habileté que « Monseigneur le Garde des Sceaux, informé de ce fait, sur le simple récit, refusa de croire, en disant cela est impossible ». Leurs armes n’attentent plus à nos personnes, mais directement à nos bourses dont nous avons imprudemment laissé la gestion à de gras banquiers peu regardants sur la sécurité des fonds placés en leurs établissements. Vous en dirai-je plus aujourd’hui ? Ce serait, pour le coup, trop ennuyeux. Je vous en reparlerai prochainement lorsque vous viendrez à Paris nous porter des nouvelles de votre Touraine, car je ne vous surprendrai pas si je vous dis que fripons et banquiers font bon ménage.

Je ne sais quand ces quelques mots parviendront entre vos mains. Soyez assuré de toute ma sympathie et que je m’efforcerai d’apporter toute mon attention à ce que le site qui vous est consacré soit le plus fidèle reflet de ce que vous fûtes.

Présentez mes amitiés à Monsieur de La Fontaine dont l’esprit rebelle et les poèmes auliques continuent de me ravir.

Adieu mon cher Courier, vous pouvez me charger de toutes vos commissions, je ne quitterai point Paris de l’hiver, et suis avec mon attachement toujours le même, votre fidèle et dévoué serviteur.

C. L. M.


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