Paul-Louis Courier

Korrespondent, Pamphletist, Hellenistische
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prec Lettre à sa mère du 10 janvier 1793 A sa mère Lettre à sa mère du 6 octobre 1793 Suiv

A la citoyenne Courier
Rue de la Vieille Estrapade
à Paris

[octobre 1793.]

T outes vos lettres me font plaisir et beaucoup, mais non pas toutes autant que la dernière, parce qu'elles ne sont pas toutes aussi longues, et parce que vous m'y racontez en détail votre vie et ce que vous faites ; c'est une vraie pâture pour moi que ces petites narrations dans lesquelles il ne peut guère arriver que je n'entre pour beaucoup.
J’ai renoncé d’écrire à M. Sergent, quoique j’eusse déjà commencé et que, suivant l’usage, je fusse même assez content de ce qui était fait. Vos réflexions m’en ont fait naître d’autres qui, fortifiées de ma paresse naturelle, m’ont déterminé à jeter tout au feu. Je ne m’en repens pas.
Il n'y [a] aucune apparence qu'on nous tire d'ici cette année, ni peut-être la suivante, en sorte que je n'en partirai que quand je me trouverai lieutenant en premier; car [alors] il me faudra peut-être passer dans une autre compagnie. Ce qu'à Dieu ne plaise.
Ma culotte de velours me sera donc bien utile ; avec une autre noire que j’ai ici, cela composera ma parure d’hiver. Ma culotte de peau qui peut se salir, mais non s’user, sera pour tous les jours. A la vérité, je n’ai pas un seul gilet propre pour l’hiver qui puisse aller avec mes beaux accoutrements, c’est pourquoi je voudrais bien qu’Acurbi m’en fît deux jolis et à la mode, sur lesquels vous lui donneriez votre avis. Je vais vous envoyer pour cela de l’argent et pour suppléer aussi aux dépenses que vous avez dû déjà faire ; car je vois clairement que tout ce que vous m’allez envoyer revient à bien plus de 100 fcs, et il serait ridicule qu’un argent qui vous est nécessaire sortît de votre poche pendant que j’en aurais ici qui ne me servirait à rien.
Plusieurs officiers de la garnison sont habillés plus richement, mais peut-être moins élégamment que moi, ce que je dis sans vanité. Ainsi vous pouvez être parfaitement tranquilles sur cet article.
Bernard Forest de Bélidor,
de Bernard Forest de Bélidor (1698-1761),
J’ai lu avec autant de plaisir que vous l’aviez prévu sans doute, les fragments de la lettre de mon père que vous aviez insérés dans la vôtre. J’espère bien que vous n’en recevrez aucune sans m’envoyer ou l’original, ou au moins de semblables extraits.
Si vous n’avez pas encore fait partir les livres qui sont achetés, joignez celui qui me sera bien utile à ce que disent les ingénieurs d’ici : Œuvres diverses de Bélidor concernant le génie et l’artillerie, in-8°.
Ces ingénieurs sont de rudes gens ; ils ont, en manuscrits, des ouvrages excellents sur leur métier que je les ai priés de me communiquer. Ils m’ont refusé cela sous de mauvais prétextes, ils craignent apparemment que quelqu’un n’en sache autant qu’eux.
Mon camarade est employé à Metz aux ouvrages de l'arsenal. Il m'a quitté ce matin, et son absence, qui cependant ne saurait être longue, me donne tant de goût pour la solitude que je [suis] déjà tenté de me chercher un logement particulier. Mon travail souffre un peu de notre société et c'est le seul motif qui puisse m'engager à la rompre ; car du reste je me suis fait une étude et un mérite de supporter en lui une humeur fort inégale qui avant moi a lassé tous ses autres, camarades. J'ai fait presque comme Socrate qui avait pris une femme acariâtre pour s'exercer à la patience, pratique assurément fort salutaire, et dont j'avais moins besoin que bien des gens ne le croient, moins que je l'ai cru moi-même. Quoi qu'il en soit, je suis en état de certifier à tout le monde que mon susdit compagnon a, dans un degré éminent, toutes les qualités requises pour faire faire de grands progrès dans cette vertu à ceux qui vivront avec lui.
Cherchez parmi mes livres deux vol. in-8°, c'est-à-dire du format de l’Almanach royal, brochés en carton vert. L'un est tout plein de grec et l'autre de latin. C'est un Démosthène qu'il faut m'envoyer avec [les] autres livrés. Ces deux volumes, sont assez gros l'un et l'autre, et assez sales aussi. [Si les premiers sont partis il faut laisser tout cela.]
Mes livres font ma joie, et presque ma seule société. Je ne m'ennuie que quand on me force à les. quitter, .et je les retrouve toujours avec plaisir. J'aime surtout à relire ceux que j'ai: déjà lus nombre de fois, et par là j'acquiers une érudition moins étendue, mais plus solide. A la vérité; je n'aurai jamais une. grande connaissance de l'histoire, qui exige bien plus de lectures, mais je gagnerai autre chose qui vaut autant selon moi et que je n'ai guère l'envie de vous expliquer, car je ne finirais pas si je me laissais aller à je ne sais quelle pente qui me porte à parler de mes études.
Je dois pourtant ajouter qu'il manque à tout cela une chose dont la privation suffit presque pour en ôter tout l'agrément, à moi qui sais ce que c'est. Je veux parler de cette vie tranquille que je menais auprès de-vous. Babil de femmes, folies de la jeunesse, qu'êtes-vous en comparaison ! Je puis dire ce qui en est, moi qui connaissant l'un et l'autre, n'ai jamais regretté dans mes moments de tristesse, que le sourire de mes parents, pour me servir des expressions d'un poète.

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