Paul-Louis Courier

Korrespondent, Pamphletist, Hellenistische
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prec [Sans mention] - juillet 1807 A M. ***, officier d'artillerie à Aversa1 A M. Bonnaud de Naples - 25 août 1807 Suiv

Naples le … juillet 1807

Duc de Lauzun
Antonin Nompar de Caumont,
Duc de Lauzun (1633-1723)
J 'ai reçu deux lettres de toi, une du 3, l'autre du 8 ; tu ne réponds point à la mienne d'un mese fa in circa2 par laquelle, je te priais de tâcher d'arranger mon compte avec Desgoutins3. Ce compte me semble un compte de juif ; à dire vrai je n'y connais rien ; il s'agit de change, et ce n'est pas mon fort que la banque.
Je suis, fort aise que tu aies vu monsieur mon parent. Je ne le connais pas, et l'en aime bien mieux. Ceux que je connais de mes parents4, je les ai tous in saccoccia5, et ils le méritent. S'ils pensaient, comme disait Lauzun, que j'eusse de l'argent dans les os, ils me les casseraient pour l'avoir6. Je me sers d'eux fort bien cependant; quand j'en veux tirer quelque service, je leur mande que je vais mourir ; je fais mon testament et aussitôt ils trottent. Ils sont tous plus vieux que moi et plus riches, mais quoi ? la rage d'hériter. Ils ont eu bon espoir lorsque j'étais en Pouille ; mes lettres arrivaient percées et vinaigrées, tu t'en souviens ; et depuis, dans la guerre de Calabre ; alors ma succession était de l'or en barre. Aussi m'aimait-on fort. Mais toujours un peu moins que si j'eusse été mort. Je conçois l’aversion7 des rois pour leur héritier présomptif. Dans le fait, tout cela est mal réglé ; j'arrangerais les choses autrement si j'étais législateur. Les héritages se tireraient au sort, et de même les charges et les commandements ; tout en irait bien mieux. Je te le prouverais si nous étions à nous promener à la Rubertzau8 : heureux temps !
Tu vois bien que je n'ai pas grand'chose à te marquer. Rien de nouveau ; sinon que je quitte cette armée tout de bon ; je t'ai conté cela dans une longue lettre à laquelle tu ne réponds guère. Je passerai à Milan. Je n'ai point encore mes ordres ; mais quand je les aurai, je ne me presserai pas9. Je me trouve bien ici, et si bien que peut-être… Enfin suffit. Tu peux m'écrire. Le fait est que je suis en paradis. Ce pays n'a point d'égal au monde. Il est cependant du bon ton de s'y plaindre, et de regretter Paris.

Un gueux, qui, quand il vint, n'avait pas de souliers10,

roule carrosse ici et trouve tout détestable. On ne vit qu'à Paris, où l'an passé peut-être il dînait à vingt sols quand on payait pour lui ; et le tout pour faire croire…
J'en aurais trop à dire, basta. Quand nous nous reverrons.


[1] Aversa est située à une vingtaine de kms au nord de Naples.  Note1
[2] Depuis un mois environ.  Note2
[3] Il s’agit en fait de Degoutin, quartier-maître depuis 1796. Le quartier-maître est un officier subalterne chargé de payer leur solde aux hommes.  Note3
[4] Courier vise ici ses cousins de Paris. Il les croit intéressés et pourtant tout laisse penser qu’ils ne l’étaient pas.  Note4
[5] Dans ma poche.  Note5
[6] Courier se souvient du propos que le duc de Lauzun avait tenu à la grande Mademoiselle, cousine de Louis XIV : « Ma soeur est une comédienne ; elle ne m'aime point, ni son mari. S'ils croyaient que j'eusse de l'argent dans les os, ils me les casseraient, tant ils sont intéressés. »  Note6
[7] Sautelet écrit « la haine ».  Note7
[8] Promenade célèbre de Strasbourg, ville où Courier fut affecté en 1801-1802.  Note8
[9] Toutes les éditions mettent ces deux verbes au conditionnel (aurais – presserais), ce qui ne convient pas avec le sens de ce qui est écrit.  Note9
[10] Fabrizio Ruffo (1744 - 1827). Napolitain cardinal et politicien. Son père, Litterio Ruffo était duc de Baranello et sa mère de la famille de Colonna. Il fut le protégé de son oncle, le cardinal Thomas Ruffo. Il entra dans les bonnes grâces de Giovanni Angelo Braschi di Cesera, lequel sera élu pape en 1775 sous le nom de Pie VI. Il fut choisi par le roi Ferdinand pour diriger au début de février 1799 un mouvement de résistance à l’envahisseur du royaume des Deux-Siciles : l’armée de la Sainte-Foi. Les Sanfédistes livrèrent une incessante guérilla aux Français dans un pays qu’ils connaissaient bien. En 1804, le cardinal refusa de reprendre la tête des insurgés napolitains.  Note10

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