Paul-Louis Courier

Korrespondent, Pamphletist, Hellenistische
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prec Sans mention de Tivoli le 14 mai 1810 [Sans mention] A la comtesse de Salm-Dyck de Tivoli le 20 juin 1810 Suiv

Tivoli, le 4 juin 1810

Monsieur

C Sextius Alexandre François de Miollis Sextius Alexandre François de Miollis (1759 - 1828)
 
’est à présent que si j'avais votre histoire de la Grèce je la lirais à mon aise et avec plaisir. Jamais je ne fus en lieu ni mieux en humeur de goûter une bonne lecture. Celle-ci m'arrivera au milieu de la poussière ou des boues de quelque grande ville. Mais quoi ? rien ne vient à point dans cette misérable vie. Je songe comment vous pourrez m'envoyer cela sans me ruiner, et voici ce que j'imagine. Il y a ici, c'est-à-dire à Rome, M. de Gérando qui me connaît un peu et vous connaît beaucoup. Il est du gouvernement provisoire de ce pays-ci, et en relation comme tous ses collègues avec les ministres ; ils s'envoient les uns aux autres de furieux paquets ; la poste ne va que pour eux. Je ne lui ai point fait de visite, parce qu'il m'eût fallu pour cela une culotte et un chapeau d'une certaine façon. Mais vous, ayant ami chez la gent ministérielle, vous pourriez lui faire parvenir, à lui de Gérando, sous le contre-seing, votre ouvrage et celui de M. Coraï, qui valent bien assurément les dépêches de ces Excellences. C'est ainsi qu'on m'a déjà adressé quelques volumes sous le couvert du général Miollis. Ce datif pluriel-là est aussi décemvir, et je ne le vois pas plus que le gérondif. Tous ces noms de rudiment ne plaisent guère à ceux qui sont sous la férule.
Le bruit de de cette tache d'encre a donc été jusqu'à Paris ? Je ne reçois lettre qui n'en parle. Comment diable ! des envieux, des détracteurs, des calomnies ! Tout beau mon cœur, soyons modeste ; mais en vérité voilà des honneurs que personne avant moi n'avait obtenus en traduisant cinq à six pages.
Renouard a tout vu, il vous contera le fait qui se réduit à une vingtaine de mots effacés dans autant de phrases ; en sorte que, si j'eusse trouvé le manuscrit tel qu'il est, j'aurais aisément deviné ce qui ne se peut lire aujourd'hui. Un papier me servait à marquer dans le volume l'endroit du supplément. Ce papier posé quelque part s'est barbouillé d'encre au-dessous, et remis dans le volume… vous voyez ce qui est arrivé. Eh bien, voilà toute l'affaire. Mais le bibliothécaire est un certain Furia qui ne me peut pardonner d'avoir fait cette trouvaille, dans un manuscrit que lui-même a eu longtemps entre les mains et dont il a publié différents extraits ; et voilà la rage. Tous les cuistres, ses camarades, comme vous pouvez croire font chorus, et toute la canaille littéraire d'Italie en haine du nom français. On appelle letterati, en Italie, tous ceux qui savent lire la lettre moulée, classe peu nombreuse et fort méprisée.
Au reste les gens de la bibliothèque, gardes, conservateurs, scribes et pharisiens, jusqu'aux balayeurs furent présents. Trois d'entre eux que j'ai bien payés, y compris le bibliothécaire, m'ont constamment aidé à déchiffrer, copier et revoir plusieurs fois tout le Longus et ils ne m'ont pas quitté. Les sottises des journaux italiens à ce sujet ne méritent point de réponse. A dire vrai, quelques coups de bâton seraient peut-être bien placés dans cette occasion. Mais c'est à Renouard d'y penser, car il est plus piqué que moi. Pour un petit écu ces gens-là se rosseront les uns les autres.
La calomnie, comme la vérole[1] est infuse dans les Italiens. Entre eux, elle est sans conséquence. Un homme vous accuse d'avoir tué père et mère, on sait ce que cela veut dire. C'est qu'il ne vous aime pas, et cela ne vous fait nul tort, tous vos parents d'ailleurs vivants.
Dieu seul est juge des intentions et Dieu voit mon cœur qui n'est pas coupable de cette noirceur. Car certes le trait serait noir, comme dit madame de Pimbêche2. Jugez, Monsieur, vous qui êtes juge, par la règle de Cassius3, cui bono? Je ne pouvais craindre qu'on m'ôtât l'honneur de la découverte, puisque Renouard l'avait déjà fait annoncer dans les journaux. Le profit? on ne s'avise guère de spéculer sur du grec. J'imprime ici le texte. Il ne s'en vendra point. Je le donnerai à tous ceux qui sont en état de le lire.
Ah ! Madame, que la gloire est à charge !

Les envieux mourront, mais non jamais l'envie.4

Je mérite l'envie, et plus même qu'on ne croit, non pas pour les six pages traduites, mais c'est qu'en effet je suis heureux. N'en dites rien au moins. On crierait bien plus fort. Il est vrai que je m'en moque un peu. Il y avait une fois un homme qu'on soupçonnait d'être content de son sort, et chacun, comme de raison, travaillait à le faire enrager. Il fit crier à son de trompe par tous les carrefours : On fait à savoir à tous, etc., qu'un tel n'est pas heureux. Cette invention lui réussit. On le laissa en repos. Moi, j'use d'une autre recette que j'ai apprise dans mes livres. Je dis, mais tout bas, à part moi : Messieurs, ne vous gênez point ; criez, aboyez comme il faut. Si la fièvre ne s'en mêle, vous ne m'empêcherez pas d'être heureux.
Le Longus vous plaira, je crois. Car outre le manuscrit de Florence, j'en ai un ici qui vaut de l'or. Il est cousin de celui-là, et quand ils sont d'accord on ne peut les récuser.
Si Stone veut absolument achever mon Xénophon, qu'il l'achève, pourvu que vous ayez la patience de suivre cela de l'œil. Il m'a paru qu'on avait changé la ponctuation et j'en suis fâché. Il faut bien se garder d'y mettre mon nom, ni rien qui me désigne.
M. Labey me demande : qu'est-ce que c'est donc que cette tache ? Il en a entendu parler. Et à qui n'en parle-t-on pas ? on ne tait que la trouvaille. De lui copier ce griffonnage, ce serait pour en mourir. Il servira pour vous deux. Tâchez de le lui faire tenir. Il demeure… attendez. C'est une rue qui donne dans celle des Cordeliers, vis-à-vis une autre rue qui mène dans la rue de la Harpe. Cela n'est-il pas clair ? Faites mieux, prenez l'Almanach Royal. M. Labey5 est professeur de mathématiques au Panthéon.


[1] Sautelet écrit « le mal de Naples ».  Note1
[2] Cf. Racine, Les Plaideurs, acte V, scène 7.  Note2
[3] Lucius Cassius Longinus Ravilla fut à Rome tribun de la plèbe en 137 avant J.-C., préteur vers 130, consul en 127, censeur en 125, juge spécial pour trancher l’affaire des vestales en 113. Il fit renoncer en matière de sentences criminelles aux jugements à haute voix pour les remplacer par une loi établissant le suffrage écrit sur tablette dite lex cassia tabellaria. Son intégrité n’eut d’égale que sa sévérité. Cicéron lui attribua, cette formule Cui Bono/A qui ceci profite-t-il ? Cassius laissait entendre par cette question qu’il faut toujours en matière d’affaire criminelle chercher un motif caché qui renvoie immanquablement à la partie responsable et qui se dissimule plus ou moins habilement.  Note3
[4] Renouard s’attribue un peu rapidement (et faussement) la découverte faite par Paul-Louis Courier. Il se flatte aussi d’être l’ami de Courier, ce qui est loin d’être une vérité.  Note4
[5] Jean-Baptiste Labey fut professeur à l'École militaire (où il eut Courier parmi ses élèves), à l'École centrale du Panthéon, à l'École polytechnique et au Lycée Napoléon.  Note5

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