Paul-Louis Courier

Cronista, panflettista, polemista
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la Gazette du village

Je me révolte donc nous sommes

D u Livret de Paul-Louis, vigneron et de la Gazette du village, lequel fut écrit le premier ? Difficile de répondre à cette interrogation. Mais cette difficulté est de peu d’importance car, signe d’une effervescence des tensions politiques en France, ces deux pamphlets furent publiés au même moment, à savoir en février 1823. Ils sont donc les deux faces de la même médaille.
Médaille chauffée à blanc pour laisser trace indélébile à tout téméraire qui la voudrait saisir à pleins mains. Dans le Livret, un paysan « découvre  » la capitale dont l’adage prétend qu’il n’est bon bec que d’elle. Il en va tout autrement avec la Gazette du village, sorte de journal qui « n’est ni littéraire, ni scientifique, mais rustique  » et doit « intéresser tous ceux que le terre fait vivre, ceux qui mangent du pain… avec un peu d’ail…  »
Faussement naïf, le bonhomme Paul, c’est-à-dire cette construction à mi-chemin entre le paysan aux mains calleuses et aux reins douloureux et ce personnage directement sorti de l’univers habilement subversif de La Fontaine, est ici l’héritier en droite ligne de l’orateur athénien Lysias. Pas de théorie, non plus que de lyrisme cher à Chateaubriand mais de petits tableaux courts, vifs, tranchants, échos comiques ou dramatiques de la vie en province où bat le cœur de la France et que méprisent les gens de cour :

- Les vaches ne se vendent point. Les filles étaient chères à l’assemblée de Véretz, les garçons hors de prix…
- A Amboise, on plantait la croix dimanche passé, en grande pompe. Monseigneur y était…
- Nous voilà saufs de saint-Anicet, temps critique pour nos bourgeons. Si la vigne peut passer fleur et ne point couler…


Dans ces notes qui ressemblent à s’y méprendre à un journal intime, un fil rouge qui permet de suivre le feuilleton local de la lutte sourde entre les paysans et les autorités religieuses et politiques, ces deux s’épaulant l’une l’autre. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il s’agit bien d’une dramatisation singulière des réalités qui agitent le pays tout entier, la Touraine en particulier et, au cœur de celle-ci, Véretz. Une précision toutefois : si le vigneron de la Chavonnière centre son propos sur la paroisse où il habite avec son épouse et son fils aîné, sa plume effectue quelques incursions à Luynes, Saint-Etienne-de-Chigny, Amboise… Nous avons affaire là à une sorte de kaléidoscope qui, déchiffré comme il faut, compose un tableau accablant pour le pouvoir central et ses affidés.

Courier a-t-il mis en scène le peuple pour prioritairement s’en prendre au pouvoir ? Question oiseuse. Le bonhomme Paul connaît la condition du paysan et s’effraie de cette machine à broyer les hommes qui apparaît sous les traits de ce qu’on appelle la modernité :

- Pierre Moreau et sa femme sont morts, âgés de vingt et vingt-cinq ans. Trop de travail les a tués, ainsi que beaucoup d’autres. On dit travailler comme un nègre, comme un forçat ; il faudrait : travailler comme un homme libre.

Lointain écho du mot terrible jeté à la face du monde par Mme Roland au pied de l’échafaud, cette revendication légitime qu’est la liberté est impitoyable. Pour la petite histoire, dans le dossier de ce site consacré à Courier, « Ils ont dit de lui  », une place est réservée aux poètes et, parmi ceux-ci, sont reproduits plusieurs poèmes d’Eugène Bizeau (1883-1989) et un de son fils Max-Olivier. Il se trouve que Pierre Moreau et sa femme sont les parents de la grand-mère d’Eugène…

Courier dénonce ce mal que sont les nombreux impôts supportés par le peuple et, plus encore, ce fléau qui accable les paysans : la conscription. Cette dernière mesure mise en place par la Révolution prévoyait d’appeler les jeunes gens à protéger la patrie en danger. La Convention procéda à une première forme de conscription par la levée en masse de 300 000 hommes qui fut vivement contesté par le peuple.
Affirmant que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie  », la loi Jourdan du 5 septembre 1798 fonda durablement la conscription et le service militaire moderne. Échappant aux professionnels, le service des armes devint une obligation pour tous les citoyens mâles de 20 à 25 ans obligés de s'inscrire sur les registres communaux. Pour s’attirer les bonnes grâces de la bourgeoisie, Napoléon rendit possible, dans un premier temps, le remplacement sous les drapeaux de tout appelé par un autre homme payé pour ce faire ; dans un second temps, il instaura le tirage au sort et réglementa les exemptions de service.
Le peuple désapprouva ces mesures prises par « l’ogre  ». Désapprobation si puissante que, lorsque Louis XVIII octroya la Charte en juin 1814, il annonça avec un sens politique indéniable dans l’article 12 : « La conscription est abolie. Le mode de recrutement de l'armée de terre et de mer est déterminé par une loi.  »
Après quelques années de flottement, le roi confia à Gouvion Saint-Cyr, ministre de la guerre, le soin de définir cette loi. Avec le texte du 10 mars 1818 qui porte son nom, contrairement à la promesse de la Charte, le maréchal n’abrogea pas la conscription. La loi aménagea celle-ci en fixant à 40 000 le nombre d’hommes levés par tirage au sort, ce qui porterait à 240 000 le nombre d’hommes au terme de six années, durée du service du soldat. La loi prévoyait deux étapes : faire appel aux engagés volontaires puis, pour compléter ce premier nombre d’hommes, procéder au tirage au sort des conscrits au chef lieu de canton devant les autorités civiles. Les inscrits ou leurs représentants habilités étaient appelés dans l'ordre du tableau de recensement et devaient prendre un numéro dans une urne. Le tirage s'arrêtait quand le contingent prévu était atteint. La possibilité de racheter son numéro était toujours possible.
Les déserteurs étaient jugés par un conseil de guerre et risquaient la peine de mort, de sorte que ceux qui n’étaient pas assez riches pour se faire remplacer furent souvent acculés au suicide :
- Simon Gabelin, ne voulant point aller à l’armée…

Rarement, Courier ne s’est montré aussi humain que dans ce pamphlet qui constitue, d’une indiscutable manière, un plaidoyer pour la cause de ceux qu’aucun porte parole ne défend et qui n’ont que leur vie pour richesse... Cette précision pour renvoyer à leurs études les petits esprits ou les bien pensants qui ne voient en Paul-Louis Courier qu’un empêcheur de tourner en rond, un trouble-fête, un gâte-sauce ; il est essentiellement autre que cela : il est un homme qui souffre avec les autres hommes et clame la souffrance de ceux-ci.
Un peu plus d’un siècle plus tard, Albert Camus le rappellera à sa manière dans « L’homme révolté  » : « Je me révolte donc nous sommes  ».


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